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Photo : Sinitta Leunen

Dépression post-​partum : l’État lâche le dis­po­si­tif “1 000 jours blues” (et les mères)

[Info Causette] Deux ans et demi à peine après sa création, le dispositif “1 000 jours blues”, créé pour mieux prendre en charge la santé mentale des parents, voit aujourd’hui ses financements s’arrêter. Au détriment des familles et malgré des résultats concrets.

Le chantier avait pourtant été lancé en grande pompe. Souvenez-vous : à l’automne 2019, le gouvernement mettait sur pied une commission d’expert·es sur “Les 1 000 premiers jours”, appelé·es à formuler des propositions pour permettre aux pouvoirs publics de mieux accompagner les jeunes parents et leur bébé. Un an plus tard, ladite commission a rendu son rapport et, peu de temps après, le gouvernement inaugurait un site et une appli dédié·es aux 1000 premiers jours.

Dans son sillage, est aussi  apparu le dispositif “1000 jours blues”, destiné à mieux prendre en charge la santé mentale des jeunes parents. Un enjeu de taille, alors qu’une femme sur six souffre de dépression post-partum et que le suicide est la deuxième cause de mortalité maternelle dans l’année qui suit un accouchement. C’est donc pour mieux prévenir et traiter ces souffrances psychiques qu’est née l’application “1000 jours blues”, en 2021, sous la houlette de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).

“80 % ont intégré un parcours de soin”

Concrètement ? “Cet outil met à disposition des parents l’échelle d’Édimbourg, qui est une échelle d’auto-évaluation d’un état dépressif, utilisée par des professionnels de santé – souvent par les psys, mais de plus en plus par les sages-femmes et les médecins généralistes. À elle seule, elle ne suffit pas à poser un diagnostic, mais elle permet de savoir où la personne en est. Sur l’appli, en fonction de leurs réponses au questionnaire, les parents voient s’afficher une couleur verte, orange ou rouge, et peuvent ensuite demander à être recontactés par SMS ou par téléphone ou contacter directement un professionnel du répertoire 1 000 jours blues”, détaille Élise Marcende, présidente de l’association Maman Blues, qui a travaillé sur le dispositif d’octobre 2021 à avril 2023. Avec des résultats positifs.

“Depuis la création de l’appli, un peu plus de 122 000 personnes ont rempli le questionnaire. Sur les douze derniers mois, on a eu 52 000 parents testés, dont un peu plus de 2 000 ont demandé à être recontactés. Parmi eux, 800 ont été orientés vers des professionnels, et 80 % ont intégré un parcours de soin”, rapporte Wanda Hervieu, infirmière en santé mentale, qui a pris la suite d’Élise Marcende en avril dernier. C’est elle qui, en plus de constituer un annuaire de professionnel·les à destination des parents, recontacte les usager·ères qui en formulent le besoin. “Tout notre intérêt, c’est qu’on oriente les parents de façon cohérente et efficiente. On ne va pas orienter tout le monde vers des CMP [centres médico-psychologiques, ndlr] alors qu’ils sont déjà débordés. En fonction des lieux, des situations et des possibilités, on va orienter les parents vers du libéral, sur les maternités, sur les PMI…”, poursuit-elle. Un travail précieux – tant pour les parents en souffrance que pour les professionnel·les débordé·es – qui, contre toute attente, prendra fin dans quelques semaines. Car le financement du dispositif n’a pas été renouvelé.

La politique des “1 000 premiers jours” laissée à l’abandon

Depuis le début déjà, la minuscule équipe – quatre personnes aujourd’hui, pas toutes à temps plein, et dont seulement deux sont mobilisées sur le traitement des questionnaires et le suivi des parents – doit avancer dans l’incertitude permanente, les financements étant renouvelés au compte-goutte, trimestre après trimestre. Et depuis de début de l’année, elle fait face au mutisme du ministère. “À l’origine, le dispositif était géré par la DGOS et la DGCS. Puis la DGOS s’est désinvestie et n’est plus restée que la DGCS. Depuis des semaines, alors que nous leur demandons régulièrement ce qu’il va se passer, c’est le silence radio. Officiellement, rien ne nous a été annoncé. Et finalement, on m’a appris hier la fin de ma mission dès épuisement du budget, soit au plus tard à la fin du mois de mars”, rapporte Wanda Hervieu, qui vient de lancer, avec d’autres, une pétition dénonçant l’abandon de ce dispositif et, plus largement, le délitement de la politique des 1000 premiers jours.

Pourquoi le ministère a-t-il, sans mot dire, décidé de couper les vivres à un dispositif qui a pourtant fait ses preuves ? Causette a voulu comprendre les motivations de la DGCS qui, pour l'heure, n'est pas en mesure de nous répondre. Pour autant, on imagine aisément qu’il s’agit, ici comme ailleurs, de faire des économies budgétaires. Pas sûr que l’État y gagne, cependant. Car si le financement du dispositif s’élève à 200 000 euros par an environ, la prise en charge d’une dépression post-partum, elle, est estimée à 74 000 euros par parent touché, selon les informations communiquées par les pouvoirs publics eux-mêmes. Et à l’arrivée, c’est le système de santé comme les parents qui trinquent.

“En clair, ça veut dire que le dispositif s’arrête, sans rien dire. Sans même prévenir les parents qui ont commencé à s’entretenir avec Wanda [Hervieu] ou qui parfois reprennent contact avec elle. Les parents sont lâchés dans la nature, comme ils l’étaient avant. C’est comme le sac des 1 000 premiers jours, qui a été remis pendant un temps aux parents vulnérables et qui a lui aussi disparu. Toutes les petites actions qui avaient été mises en place s’arrêtent”, dénonce Elise Marcende. “Ce projet autour des 1 000 premiers jours, qui a généré beaucoup d’enthousiasme de la part des professionnels et des usagers, était porté par Adrien Taquet [qui a été Secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance et des familles de 2019 à 2022]. Une fois qu’il est parti, tout le monde s’est désinvesti et tout le monde a cherché à préserver son budget, au détriment des parents et de leur santé mentale”, abonde Wanda Hervieu. Qui s’interroge, au passage, sur les motivations politiques d’une telle décision. “Est-ce qu’aujourd’hui, parce qu’on parle de réarmement démographique, qu’on veut que les Français fassent des enfants, on préfère ne pas parler des difficultés maternelles, au motif que ce ne serait pas une bonne publicité ?” C’est à se poser la question.

Lire aussi I Accouchement : le stress post-traumatique touche 3 % des femmes

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