Antidépresseurs : le long som­meil sexuel

Troubles du désir, de l’orgasme, anesthésie génitale… Si les antidépresseurs sont connus pour altérer la libido, certains sont aujourd’hui accusés de provoquer une dysfonction sexuelle persistante, même après l’arrêt du traitement. Un effet encore méconnu des patient·es… et des médecins.

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©Marie Boiseau pour Causette

Longtemps, Hélène1 s’est crue « anormale ». Car, sexuellement, elle ne ressentait rien : ni envie ni plaisir. Et pas même son sexe. « Le néant. » À l’adolescence, pourtant, elle n’avait aucun mal à atteindre l’orgasme lorsqu’elle se masturbait. C’est à cette période, aussi, qu’elle a consulté un psychiatre pour des problèmes de sommeil et qu’elle s’est vu prescrire, pendant cinq mois, un antidépresseur, le Deroxat. « Dès les premières semaines, j’ai senti que le plaisir, l’orgasme, m’échappaient », se souvient cette femme de 37 ans. Peu de temps après, elle vit ses premiers ébats sexuels : « Mais mon sexe était tellement engourdi que je ne sentais même pas qu’on le touchait ! » Avec son deuxième petit ami, le problème perdure : « C’était comme si je me brossais les dents. » 

Détracteurs anglo-saxons

Depuis, vingt ans ont passé. « Vingt ans de larmes, de souffrances diverses et de questionnements vains », dit-elle. Au fil du temps, Hélène s’interroge : le Deroxat peut-il être à l’origine de ses troubles sexuels ? À l’époque, personne ne l’a mise en garde contre de possibles effets indésirables. Mais à force de recherches, Hélène a trouvé plusieurs articles faisant état de troubles sexuels persistants induits par des antidépresseurs, qui font écho à ce qu’elle vit. Une lueur au bout du tunnel : non seulement elle n’est pas seule, mais son problème porte un nom. C’est le Post-SSRI Sexual Dysfunction (PSSD), soit, en français, la dysfonction sexuelle post-ISRS.

Dans les pays anglo-saxons, des médecins alertent en effet depuis plusieurs années sur les effets néfastes des antidépresseurs, et particulièrement deux familles d’entre eux : les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) – dont font partie le Prozac, le Deroxat ou le Zoloft – et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine-noradrénaline (IRSNa). Parmi les plus fervents détracteurs de ces molécules, on trouve le psychiatre britannique David Healy, qui a cofondé Rxisk.org, un site d’informations sur les effets indésirables non (re)connus de certains médicaments. À commencer par les ISRS, massivement prescrits depuis leur mise sur le marché en 1987 et aujourd’hui accusés de provoquer une dysfonction sexuelle chez de nombreux·euses patient·es : une perte de libido, mais aussi des troubles de l’éjaculation, de l’érection, une anorgasmie ou une anesthésie génitale… Sans – et c’est bien là la nouveauté – qu’on sache très bien quand ces symptômes peuvent se manifester, ni pour combien de temps. « Certains patients développent des effets secondaires sexuels [qui] restent en totalité ou ne disparaissent pas complètement lors de l’arrêt du traitement. Pour d’autres, l’effet n’apparaît que lorsqu’ils arrêtent le médicament ou commencent à réduire le dosage », constate le Pr David Healy, qui a lancé une campagne en vue de financer une étude sur ces effets à retardement. 

S’il se refuse à jeter le bébé avec l’eau du bain, le sexologue et andrologue français Pierre Desvaux confirme : « Les ISRS sont des calmants de la sexualité et peuvent, à ce titre, provoquer des troubles de l’orgasme ou du désir. Quand on est dépressif, on a 40 % de risque d’avoir des troubles sexuels. Et quand on est dépressif traité, on a 60 % de risque d’avoir des troubles sexuels. C’est parfois le prix à payer pour sortir de la dépression. Mais il faut en informer les patients. » Et c’est là que le bât blesse.

Un problème émergent

La journaliste Ariane Denoyel, qui vient de publier Génération zombie. Enquête sur le scandale des antidépresseurs (éd. Fayard), a enquêté longuement sur la face cachée des ISRS. Si elle a « été frappée par les problèmes sexuels, leur ampleur et leur côté parfois irréversible », elle s’étonne du peu d’informations sur l’incidence sexuelle des ISRS. « Non seulement le patient ne sait pas, mais le médecin non plus : pour beaucoup, c’est impossible que les antidépresseurs soient en cause, encore plus après l’arrêt du traitement. » Depuis quelques années, pourtant, le problème commence à être reconnu. En 2015, la dernière version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie (le DSM-5) mentionnait ainsi qu’un dysfonctionnement sexuel induit par ISRS pouvait persister « après l’arrêt ». En 2019, à la suite d’une pétition lancée par Rxisk, puis à une étude du Comité de pharmacovigilance, l’Agence européenne des médicaments confirmait, à son tour, la persistance de ces troubles et recommandait aux fabricants de mettre à jour la notice de douze ISRS.

Des années d’errance

En attendant, nombre de patient·es sont confronté·es au déni du monde médical. À l’image de Camille, 36 ans, sujette à un trouble anxieux généralisé et traitée par antidépresseurs depuis l’âge de 16 ans – dont plusieurs années sous paroxétine. Autant d’années pendant lesquelles elle s’est crue « asexuelle », du fait de son absence de libido et d’une anesthésie génitale. Lorsqu’elle et son conjoint ont consulté deux sexologues, ces derniers y ont vu la conséquence d’un couple « trop égalitaire » pour l’un et « trop cérébral » pour l’autre. Ce n’est qu’après plusieurs années d’errance qu’une autre thérapeute a évoqué la piste médicamenteuse. Deux ans plus tard, Camille a réussi – difficilement – à se sevrer de la paroxétine –, son traitement a été modifié… et elle découvre aujourd’hui sa sexualité. Pourtant, elle s’inquiète de la facilité avec laquelle ces antidépresseurs « continuent d’être prescrits par des médecins de famille, sans forcément de suivi derrière ». Une situation exacerbée par le Covid.

En France, dans l’année qui a suivi le premier confinement, on a observé une augmentation de 1,9 million d’ordonnances d’antidépresseurs par les seuls médecins de ville, dans un pays où un adulte sur dix consommerait déjà de tels médicaments. Parmi ces patient·es, combien souffrent d’un PSSD ? « On ne le sait pas. Avec le Dr Luc Perrineau, nous venons justement de créer l’Association pour le contrôle des psychotropes et l’aide aux victimes [Acopav 2, ndlr], dont l’un des objectifs est d’obtenir une étude épidémiologique », explique la journaliste Ariane Denoyel. Une bataille qui ne fait que commencer. 

1. Le prénom a été modifié.

2. Le site de l’association : Acopav.fr

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