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Parentalité : faut-​il men­tir sur le père Noël ?

Tous les mois, Causette interroge des parents imparfaits pour les sonder sur la façon dont ils et elles se démènent avec l’éducation de leurs bambins. Et quel système D ils et elles mettent en place pour survivre…

Au même titre que la petite souris et, dans une moindre mesure, les cloches de Pâques, le père Noël appartient au panthéon des croyances enfantines. On peut même dire qu’il le domine, jouissant d’une publicité dont ses comparses ne bénéficient pas. Oui, mais voilà, y faire croire sa progéniture ou non : la question divise dans les chaumières. Car au-delà du casse-tête généré par l’acte de faire gober à ses rejetons qu’un gars en surpoids peut passer par le conduit étroit de la cheminée et distribuer des millions de cadeaux de par le monde en moins de douze heures, il y a aussi le dilemme moral : comment enseigner à ses gamin·es l’importance de la vérité tout en leur servant annuellement un bon gros mytho. Lequel, selon une étude, vole en éclats aux alentours de leurs 6 ans et 8 mois (oui, c’est précis).

Marianne, un fils de 13 ans

Marianne, 42 ans, l’avoue, en ce qui concerne Noël, c’est elle qui a pris les rênes (et non pas les rennes). « Mon mari s’en fout un peu donc j’ai imposé le père Noël. » Et pour cause, elle garde un souvenir émerveillé des réveillons de son enfance. Les gâteaux et le verre de lait disposé devant la cheminée, le tout qu’on retrouvait entamé le matin avec un petit mot laissé par Papa Noël. « On n’avait pas le tonton qui déboulait, boudiné dans sa houppelande rouge avec sa barbe élastiquée. Ce n’était pas trop le genre de la maison », prévient-elle. Non, ce qui plaisait à Marianne, « c’est que tout était invisible. Et laissait donc la part belle à l’imagination de chacun ».

Reproduisant ces rituels avec son fils, elle y voit même une preuve d’amour : « Pardon, mais se manger à 2 heures du matin une moitié de carotte pour donner l’impression qu’un renne l’a boulottée alors qu’on vient de se faire un repas gargantuesque : c’est héroïque ! » Sans oublier la lettre personnalisée à rédiger avec une bouteille de champagne dans le cornet… À ce sujet, Marianne convoque même Françoise Dolto à la rescousse. En 1962, le frère de la psychanalyste, Jacques Marette, alors ministre des PTT, la charge de rédiger la première réponse type aux
lettres envoyées par les enfants au père Noël. « Si Françoise Dolto valide, alors ça passe », estime Marianne.

Saisie d’un doute, elle envoie néanmoins un WhatsApp à son fils âgé aujourd’hui de 13 ans : « Tu nous en veux de t’avoir fait croire au père Noël ? » La réponse tombe, dans le plus pur style ado laconique : « Nan, tkt. » Marianne non plus n’en veut pas à ses parents. En revanche, trente-cinq ans après, elle a toujours la rage contre sa copine d’école, Christelle G. : « C’est elle qui m’a balancé à la récré que le père Noël n’existait pas. Si elle lit ces lignes, qu’elle sache que je n’ai pas oublié ! »

Marine, deux filles de 8 et 6 ans et Ingrid, deux filles de 4 et 1 an

A contrario, Marine, 39 ans, a choisi de ne pas enfumer ses filles de 8 et 6 ans. Cela a à voir avec ses parents et ceux de son conjoint. « On a tous les deux souffert de leurs mensonges », raconte-t-elle. Et de se rappeler que par exemple, alors qu’elle ne voulait pas manger de lapin, sa mère lui en servait en lui faisant croire qu’il s’agissait de poulet. Quant à son conjoint, un secret familial a obscurci son enfance.

Pour Ingrid, 35 ans, mère de deux filles de 4 et 1 an, il s’agit de ne pas prendre sa descendance pour des andouilles. « Pourquoi on leur ferait ce que nous, en tant qu’adultes, on n’aimerait pas qu’on nous fasse, à savoir nous mentir ? » D’accord, mais comment procéder ? « On n’a pas pris notre fille de 3 ans entre quatre z’yeux pour lui dire que le père Noël n’existait pas », précise Marine. Il s’est plutôt agi de demander à la fillette ce qu’elle en pensait. Et de faire le lien avec ses héros de Pat’ Patrouille (dessin animé de pompiers-chiens) : « On sait qu’ils n’existent pas, mais on peut avoir envie d’y croire un peu. » Et d’appeler à la rescousse un livre jeunesse, Liv et Emy fêtent Noël (Nathan, 2016) : l’histoire de deux petites filles qui, durant la période des fêtes, croisent plein de pères Noël et s’interrogent légitimement sur son existence.

Reste à gérer la question des copains et copines qui, eux, y croient encore. Ingrid reconnaît que dans l’école de son aînée, ce n’est pas trop compliqué : « Elle est dans
une école de hipsters, tendance Montessori donc pas mal de parents sont sur la même ligne que nous. »
Marine, elle, remarque que sa grande apprécie la connivence qui se noue avec ses parents : « Quand le sujet arrive sur la table, elle nous fait des petits clins d’œil. Cela crée une complicité entre nous autour de ce sujet. »

Florence, une fille de 10 ans

Florence, 50 ans, note bien la difficulté dans laquelle cette situation peut mettre nos mouflet·tes : « En fait, en tant que parents, on a le beau rôle. Parce qu’on dit la vérité à nos enfants. Mais on leur demande en même temps de mentir à leurs copains qui croient au père Noël… » Car chez elle aussi, le gros papy rougeaud est prié de garer son traîneau ailleurs. Pour elle, l’éviction du père Noël permet également de ne pas placer l’enfant dans une logique passive et purement consommatrice. « On a expliqué à ma fille que pour recevoir des cadeaux, il faut aussi en offrir. » Depuis la petite section, la petite bricole donc à chaque Noël des présents pour l’ensemble du clan. Et tout comme Marine et Ingrid, Florence estime que l’absence du père Noël n’oblitère en rien la magie de la période des fêtes. Gâteaux au four et décoration festive remplissent cet office.

Non, franchement, Florence n’a pas eu de souci pour gérer la question du père Noël, qu’elle « avait vue venir de loin ». En revanche, elle s’est lamentablement laissée piéger par… Minnie. « On s’est fait avoir comme des bleus, soupire-t-elle. Lors d’une visite à Disneyland, ma fille a fait une photo avec Minnie, l’a vue lors de la parade. Au retour, c’était foutu : elle croyait dur comme fer que la souris existait en vrai… » Et de reconnaître « avoir bien ramé » pour lui faire admettre qu’il s’agissait d’un personnage de fiction. Triompher du gros bonhomme en rouge pour ensuite trébucher sur un rongeur en robe à pois : un peu les boules…

Qu’en dit le Dr Kpote ?

« Le mytho est l’ADN de Noël. Du petit Jésus né sans coït grâce à la PDA (procréation divinement assistée) au vieux barbu qui livre le monde entier en une nuit bien avant Amazon, sans oublier les pâtisseries glacées qu’on déguste en famille, tout relève du grand bluff. Alors, avec ma compagne, on a toujours laissé nos enfants penser ce qui les arrangeait pour un 25 décembre apaisé. Cette nuit-là, on est nombreux·euses à avoir la boule, non pas sur le sapin, mais au ventre. Alors, comme les Ramones, j’ai toujours acheté la paix du ménage. "Merry Christmas – I don’t want to fight tonight", "Ce soir c’est Noël, pas de bagarre", qu’ils chantaient, les frérots keupons new-yorkais.

Selon le pognon investi en thérapie, on a plus ou moins envie d’y mettre de l’émotion, de faire perdurer le mythe du bonheur. Jeune adulte, j’ai fui l’événement. Et puis j’ai eu une descendance et j’ai kiffé de faire claquer la porte en criant "Oh oh oh", signifiant "Ayé c’est fait" dans la langue du Grand Nord. Alors on jouait à "C’était toi ?" "Non c’était pas moi", débat vite réglé à la simple vision du paquet
de cadeaux. Je parle au passé parce que maintenant, les nain·es ont grandi. Le soir, chacun·e passait sa commande : frites, burgers, paëlla, sushis, tout sauf la conventionnelle dinde et ses marrons. Tout en louant la magie de Noël, avec ma compagne, on se sifflait notre bouteille de champ’, ce produit qui tintinnabule dans la bouche et fait croire aux histoires à dormir debout. Au final, on s’est servi de bonnes tranches de vie sur canapé et sans s’enguirlander.

Et puis, dans la nuit, pendant que les gamin·es rêvaient de voyages en traîneau sous des flocons de canons à neige, on se payait notre propre nuit de la Nativité… mais contracepté·es, parce que tout de même ça coûte un bras, cette connerie. »

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