two women lying on hammock
© 🇸🇮 Janko Ferlič

Droit de la famille l Le poly­amour : et les enfants dans tout ça ?

Elsa Costa-Attal est avocate au Barreau de Paris depuis 2017. Elle exerce principalement en droit des personnes, de la famille et des mineur·es et enseigne également ces matières dans différentes facultés de droit. Souhaitant faire comprendre certains points de droit au plus grand nombre, elle a proposé à Causette, l'article ci-dessous sur ce que dit la loi en matière de parentalité polyamoureuse.

L’amour à trois, à quatre, à plusieurs... dont acte ! Et les enfants dans tout ça ? À l’heure où de plus en plus d’enfants naissent, grandissent et vivent au sein de ces ménages polyamoureux, la question se pose de savoir comment la loi et le droit encadrent leur situation. En premier lieu, un constat sans appel : les ménages polyamoureux et leurs enfants ont une existence sociologique certaine mais font face à un vide juridique total. Concrètement, il n’existe aujourd’hui aucun droit liant directement l’enfant au compagnon polyamoureux de ses parents ! Le fait de vivre sous le même toit, de participer à l’éducation physique et morale de l’enfant ne confère pas un statut juridique spécifique au compagnon polyamoureux. Étonnant ? Que faut-il en déduire ? La législation française serait-elle hermétique aux changements sociétaux en matière familiale ? Évidemment non. Ou du moins pas aussi frontalement...

Il n’a pas été possible, d’un point de vue légal, d’ignorer totalement la remise en cause du modèle familial traditionnel et l’émergence de formes multiples de parentalité. En conséquence, de nouvelles mesures ont été prises mais elles ont été centrées principalement sur la notion d’autorité parentale. L’alternative utilisée aujourd’hui pour « contourner » ce vide juridique est la « délégation partage de l’autorité parentale ». « Autorité parentale », « délégation partage »... concrètement ça veut dire quoi ? On y vient !

L’autorité parentale correspond à l’ensemble de droits et devoirs exercés par les parents dans l'intérêt de leurs enfants mineurs. Ce sont donc les pères et mères qui exercent conjointement l’autorité parentale. Mais, ils peuvent décider, ensemble ou séparément, de déléguer l’exercice de l’autorité parentale à un tiers, membre de la famille ou proche de confiance. Est alors transférée, lorsque les circonstances l’exigent, tout ou partie de l’autorité parentale. C’est le Juge aux Affaires Familiales qui statue sur les modalités de partage en tenant notamment compte de « l’intérêt de l’enfant ». Quel est le but ici ? Donner un statut légal au compagnon, à la compagne du parent biologique qui participe, au quotidien à l’éducation de l’enfant (beau-père/belle-mère de l’enfant) ou avec qui un projet parental a été initié (ménage polyamoureux).

Récemment d’ailleurs, le 7 janvier dernier, le Juge aux Affaires Familiales près le Tribunal Judiciaire de Paris a validé deux demandes de délégation à propos du partage de l’autorité parentale entre quatre adultes. Il s’agissait d’un couple d’hommes d’un côté et d’un couple de femmes de l’autre, amis, qui, ensemble, ont eu des enfants. L’un des hommes a eu un premier enfant avec l’une des femmes, tandis que l’autre homme a eu un second enfant avec l’autre femme. Les enfants étaient élevés depuis leur naissance par les quatre adultes.

Mais alors, il existe des droits qui lient l’enfant au compagnon polyamoureux de ses parents, me diriez- vous ? Non. Pas directement. Si ce genre de décision est sans nulle doute remarquable, elle ne présage pas de l’avenir et sa portée reste limitée. D’abord en théorie, car la délégation de l’exercice de l’autorité parentale n’est pas forcément définitive (elle prend fin à la majorité de l’enfant, ou à l’occasion d’un autre jugement justifiant de « circonstances nouvelles »). Ensuite d’un point de vue pratique, puisque l’idée est que chaque titulaire de l’autorité parentale devra donner son accord pour les décisions importantes de la vie de l’enfant. Or, l’entente est déjà souvent compliquée au sein d’un couple « duo » alors imaginez si les décisions doivent être prises à trois, quatre, ou plus !

Mais enfin et surtout, il faut bien comprendre ici que le compagnon polyamoureux ne devient pas parent de l’enfant ! En d’autres termes, l’enfant a toujours deux parents au plus. Et un ou plusieurs autres adultes qui se comporterons comme tels. Si l'on a pu entrevoir un pas supplémentaire vers la pluriparentalité (au sens de la reconnaissance d'une parentalité sociale), force est de constater que le statut de « parent » n'est toujours pas reconnu au « parent d'intention » (le ou la compagnon·ne polyamoureux·se), ce qui empêche la reconnaissance d'une quelconque filiation. C’est tout l’obstacle, de taille, à la parentalité pluri-amoureuse !

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En savoir plus sur Elsa Costa-Attal : Engagée, l'avocate est très impliquée dans le respect du Droit des femmes, la lutte contre les violences conjugales et auprès des mineurs en difficulté. Elle est également membre de l'Antenne des Mineurs du Barreau de Paris, où elle assiste et représente les mineurs devant toutes les juridictions.

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