HD Gros seins causette Taillefert
© Léa Taillefert pour Causette

De l'inconvénient d'avoir des gros seins

Au quotidien, les gros seins pèsent leur poids. J’aime les miens. Mais certains jours, j’en donnerais bien un peu à mes copines.

Je m’appelle Marianne, comme le symbole de la République française qui s’exhibe dépoitraillée dans les mairies. C’est le prétexte que j’ai trouvé pour vous parler de mes seins. Un mot, d’abord, sur ceux de l’icône tricolore. Il n’existe pas de modèle officiel du buste de Marianne : les sculpteur·trices peuvent la confectionner couverte, l’un des tétons à l’air ou topless. Nul décret ne fixe non plus la grosseur de ses attributs. Ainsi, en 2014, une Marianne à la taille fine et à la poitrine proéminente a été retirée de la mairie de Quimper (Finistère), quelques jours après son installation.

En 2011, un autre buste jugé trop sexy avait été éliminé à Neuville-en-Ferrain (Nord), près de Lille. L’artiste avait voulu symboliser la générosité de la République en accordant à sa statue une poitrine opulente. Ses formes n’ont pas plu à tout le monde. Les miennes sont apparues tôt et se sont développées vite. À 12 ans, ma grand-mère m’a offert mon premier soutien-gorge. Elle disait : « Tu es petite, mais bien proportionnée. » Et puis, ça a poussé. Pendant longtemps, je me suis estimée 90 D. Avec un D, comme « déni ». Je voyais bien que mes soutiens-gorge débordaient. Mais les lettres suivantes dans l’alphabet signifiaient une poitrine au-delà de ce que je pouvais assumer.

Vers 25 ans, lors d’un achat dans une boutique de lingerie élégante, j’ai dû admettre que je faisais du 90 E. Avec un E, comme « énorme ». Je me fournissais jusque-là en sous-vêtements basiques dans un grand magasin où personne ne venait vérifier en cabine si tout rentrait. Ce jour-là, une vendeuse m’a gentiment expliqué l’importance de connaître et d’accepter sa taille.

Une étude, menée par des chercheur·ses spécialisée·s sur la science de la poitrine (oui, ça existe) à l’université de Portsmouth, au Royaume-Uni, montre que plus de 70 % des femmes portent un soutien-gorge inadapté. S’il est trop étroit, ses baleines appuient dans la masse au lieu de se posi­ tionner correctement et il finit par déformer l’arrondi du sein. Reste à sortir un budget proportionnel à sa dotation et à renoncer à ces petites choses en dentelle si jolies sur les mannequins : en « grande taille », seules quelques marques haut de gamme proposent autre chose qu’une lingerie de grand­mère avec des bretelles de quatre centimètres de large.

En 2020, à la faveur d’une stimulation hormonale, j’ai rejoint la catégorie 90 G. Avec un G, comme « gigantesque ». Au cours des quinze mois qui ont suivi – neuf de grossesse et six d’allaitement – j’ai rangé mes obus dans des brassières d’allaitement informes, ne sachant plus que faire de tout ça. Heureusement, ils ont fini par dégonfler pour revenir à leur taille initiale. J’entends d’ici les petits bonnets de lectrices pester contre cette plainte.

Le rebond de l’obus

Je vous assure, au quotidien, rien de pratique. Grâce à ma balance de cuisine, j’ai découvert que je portais 480 grammes par sein. Soit deux paquets de riz pendus à
mon torse, lui-­même planté sur un corps de 1,60 mètre pour une taille 38. Je vous mets au défi de courir après un bus avec deux melons charentais qui ballottent devant. Toujours d’après les observations des chercheurs de Portsmouth, le rebond des boobs mal soutenus peut atteindre 21 centimètres... En serrant un peu les bras autour du buste, je l’attraperais, ce bus, mais il me faudrait ensuite rattraper un sein qui s’est fait la malle.

Côté dressing, depuis belle lurette, j’ai fait une croix sur certaines fringues, à commencer par les robes bustiers ou dos nu. Personne n’a envie de voir mes seins défier la gravité. Marquer ma taille avec une ceinture ? On oublie, autant présenter ma poitrine sur un plateau. Les chemises cintrées ? Soit ça bâille, soit ça ne reste pas boutonné long­ temps. Et quand j’ai le malheur de porter un décolleté, on ne me regarde plus dans les yeux. « Ah, tu es venue avec tes obus », me lance à chaque fois mon amie Stéphanie.

« Vers 25 ans, j'ai dû admettre que je faisais du 90 E. Avec un E, comme "énorme" »

Dans l’espace public, un décolleté clignote souvent comme une invitation à plonger dedans. Mon amie Maude 1, fort pourvue elle aussi, se rappelle très bien quand et pourquoi elle a arrêté d’arborer du monde au balcon : « J’ai eu tous les regards sur moi durant une journée entière, alors que je portais un débardeur. Après ça, plus jamais. » J’admire l’humoriste Constance, qui a fièrement dévoilé son 90 E lors d’une chronique sur France Inter en août 2018. Après avoir dézingué « les regards libidineux des pervers qui louchent sur [ses] nichons » dans les transports en commun, la chroniqueuse a fini topless face aux caméras qui filment le studio de radio. Dans les jours qui ont suivi, elle a reçu des dizaines d’insultes sur les réseaux sociaux.

Gros bonnets sur le banc de touche

Être dotée de beaux volumes appelle des regards, mais aussi des questions que les gens ne poseraient sur aucune autre partie du corps. Pour mon amie Laura, les remarques du type « Tu dois avoir mal au dos » lui pèsent davantage que son bonnet E. « J’ai de gros seins depuis toujours, je ne me questionne pas plus que ça. Mais avec ce genre de remarque, sous une apparente bienveillance, on me signifie que je ne suis pas normale. » Non, elle ne souffre pas du dos. Moi non plus.

J’ai questionné mon ostéopathe, Aurore Sacarrère, sur les potentiels troubles musculo­squelettiques provoqués par une forte poitrine. « Le corps est aligné autour d’un axe vertical, toute courbure qui en sort nécessite un effort pour compenser. Toi, par exemple, tes épaules sont enroulées vers l’avant, faute de pouvoir te tenir droite. Chez d’autres, ça peut créer une douleur sur la zone de courbure de la colonne. »

Si je ne souffre pas physiquement, j’ai déjà envisagé une réduction mammaire, quand j’avais 20 ans. À l’époque, je pra­tiquais l’escalade à haut niveau depuis une dizaine d’années. J’étais la seule compétitrice dotée de deux airbags qui m’éloignaient du mur de dix bons centi­mètres. Toutes les autres grimpeuses affichaient un torse peu vallonné.

Dans de nombreux sports, les tenues, positions ou mou­vements ne sont pas adaptés aux morphologies avec des formes . Certaines athlètes finissent par se faire opérer, voire par mettre un terme à leur carrière. En 2010, la joueuse de tennis roumaine Simona Halep a troqué son bonnet E pour un B afin d’éliminer cette poitrine qui gênait son service. De mes recherches, j’avais retenu que l’opération – assez chère – laissait une importante cicatrice en forme de T inversé, du téton à la base du sein. Et que la Sécurité sociale remboursait l’acte si le volume retiré était supérieur à 300 grammes par sein.

J’ai finalement gardé les miens intacts et fait en sorte de les aimer, ou du moins, de laisser d’autres personnes les aimer plus que moi. Parce que c’est fou quand même, à quel point deux trucs aussi encombrants au quotidien pour moi peuvent provoquer autant de fantasmes et de fascination chez les autres, les hommes comme les femmes.

Lire aussi l Le taux de dépistage du cancer du sein et colorectal est insuffisant en France

  1. Le prénom a été changé[]
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