Cancer du sein : le dépis­tage à l'aveugle

En Allemagne, des femmes aveugles détectent des masses minuscules et permettent d’augmenter les chances de survie des malades. Surtout, ce dispositif plus humain rassure les patientes.

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© Marie Boiseau pour Causette

« En deux, trois minutes de palpation sommaire, on peut passer à côté de beaucoup de choses, estime Frank Hoffmann, gynécologue à Duisbourg, en Allemagne. Je voulais trouver un moyen d’améliorer cette prévention précoce et je me suis rendu compte qu’il fallait des personnes avec un sens du toucher plus développé. » C’est ainsi qu’en 2006, il lance le projet Discovering Hands, pour former à la palpation mammaire des femmes aveugles ou malvoyantes, habituées à utiliser le toucher de manière intensive dans la vie quotidienne. L’idée est de se donner plus de chances de déceler des tumeurs (90 % des patientes sont en vie cinq ans après un diagnostic précoce). Or, 70 000 femmes sont diagnostiquées chaque année en Allemagne. 

Discovering Hands avance que les femmes aveugles formées – des Medizinisch-Taktile Untersucherinnen (MTU) – détectent jusqu’à 30 % en plus de changements dans les tissus que les médecins, d’après une étude préliminaire menée avec l’université d’Essen, en 2008. Elles peuvent donc déceler des masses de 6 à 8 mm de diamètre, tandis que des médecins gynécologues sont capables de dépister des grosseurs de 1 à 2 cm… Surtout, elles peuvent prendre le temps : ces salariées de Discovering Hands, entreprise d’économie sociale, sont mises à la disposition des cabinets de gynécologie, où elles conduisent leur propre consultation. 

« Dès le début, je prends le temps d’expliquer à la patiente le procédé », indique Danielle Toussaint, « palpeuse médicale » à Karlsruhe et à Fribourg, non loin de la frontière française. Après avoir apposé des bandes rayées sur chaque sein pour se repérer et délimiter des zones, la palpeuse analyse du bout des doigts chaque centimètre carré de chair, à trois niveaux de profondeur. « Cela peut durer entre trente minutes et une heure, selon la taille de la poitrine », détaille la Française expatriée. Si elle suspecte un nodule, elle en parle au médecin à la fin de la consultation, seul·e habilité·e à établir un diagnostic : « À ce moment-là, je peux poursuivre par une échographie et décider ensuite si une mammographie est nécessaire », précise la Dre Elke Grote, gynécologue à Karlsruhe. Elle ajoute que « cet examen ne remplace pas la mammographie, car elle seule peut repérer des microcalcifications par exemple, premier stade de tumeur maligne ». En revanche, elle peut servir de première étape de prévention, surtout pour des femmes de moins de 55 ans, qui représentent presque 30 % des nouveaux cas de cancer du sein chaque année. « Ce sont chez les jeunes femmes que cela peut se développer le plus rapidement », déplore Danielle Toussaint, qui lors de ses neuf mois de formation a étudié l’anatomie, le système lymphatique, le développement des métastases, etc. En Allemagne (comme en France), seules les femmes de plus de 50 ans sont invitées à effectuer une mammographie (prise en charge) tous les deux ans.

Prendre le temps d’accueillir

Daniela, elle, a 45 ans et est assidue aux consultations MTU depuis près de dix ans : « J’en sors toujours apaisée, contente d’avoir fait ma prévention pour l’année », raconte-t-elle. Patiente du Dr Hoffmann à Duisbourg, elle trouve que c’est une très bonne alternative à l’autopalpation : « Je n’ai ni le temps ni les capacités de palper ma poitrine comme le font les MTU. Surtout, j’ai tendance à surinterpréter et à m’inquiéter très vite. Elles, elles savent très bien différencier une masse graisseuse d’une boule suspecte. » Daniela est très satisfaite « de la sympathie et de l’empathie » des professionnelles, avec qui elle dit « nouer une relation de confiance ». « Je crois que c’est un point important, confirme la Dre Grote. Avec les MTU, les femmes bénéficient d’un accueil privilégié, de temps, de la possibilité de poser des questions. »

La consultation annuelle de Daniela est prise en charge par son assurance maladie, comme une trentaine d’autres caisses allemandes. Mais les deux plus importantes, AOK et Barmer, manquent à l’appel. Tout de même, « ce sont 10,3 millions d’Allemandes qui bénéficient d’une consultation totalement prise en charge chaque année », rappelle Frank Hoffmann. Le coût de la consultation est de 46,50 euros en moyenne, et certaines femmes s’en acquittent même sans remboursement. Daniela va jusqu’à offrir des « bons cadeaux » à ses amies. Il n’est pas nécessaire d’être déjà patiente chez le gynécologue qui travaille avec une MTU. Il suffit de prendre rendez-vous, même sans ordonnance de son médecin généraliste. Et puis, « les hommes aussi peuvent venir », précise Danielle Toussaint, qui en a récemment examiné deux en rémission de cancer. Ils représentent un peu plus de 1 % des nouveaux cas chaque année.

Une opportunité professionnelle bienvenue

Si les patientes apprécient le dispositif, les professionnelles aussi. Danielle Toussaint « aime [s]on métier et se sent “utile” ». Après une carrière de théologienne et de professeure de religion à l’école, elle souhaitait continuer dans le contact humain et « aider les femmes ». En devenant MTU, son handicap est devenu son point fort. Aujourd’hui, elle travaille vingt heures par semaine, entre Fribourg et Karlsruhe.

Dans toute l’Allemagne, elles sont près de quarante MTU, disséminées dans cinquante-huit cabinets, cliniques et centres Discovering Hands. Le projet a « fait des petits » en Autriche, en Inde, en Colombie et au Mexique. 


En France, aucun signe d’intérêt

Frank Hoffmann a essayé d’approcher des partenaires français dès le début, mais sans avoir suffisamment d’éléments à présenter. Récemment, il était en contact avec une association d’innovations sociales à Marseille, qui cherche à mettre le corps médical autour de la table. Danielle Toussaint, elle, avance que les professionnel·les français·es ne sont peut-être pas prêt·es à déléguer un peu de leur pouvoir à des employées non-­médecins. Contacté, le Syngof (Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France) a indiqué ne pas souhaiter réagir

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