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© Nicolas DUPREY / CD 78 / Flickr

Brigitte Virey, pédiatre libé­rale : « Boucher les trous dans les hôpi­taux d’accord, mais qui prend en charge nos patients ?»

Pour répondre à la saturation des services hospitaliers, notamment pédiatriques, le gouvernement a annoncé dimanche le déclenchement d’« un plan d’action immédiat » et 150 millions d’euros. Des mesures insuffisantes pour Brigitte Virey, pédiatre libérale et présidente du Syndicat national des pédiatres français (SNPF).

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Brigitte Virey, pédiatre libérale
et présidente du Syndicat national
des pédiatres français (SNPF)
©DR

La fièvre monte dans les hôpitaux publics. À peine trois semaines après le début de l’épidémie hivernale de bronchiolite, et alors que le pic de cette maladie respiratoire qui touche les tout petits est encore loin, les services de pédiatrie sont d’ores-et-déjà en état de tension maximale. Les services de réanimation débordent. La faute au manque de lits, qui entraîne une déprogrammation des soins et des hospitalisations, des transferts de bébés loin de leur domicile ainsi que des sorties prématurées. Face à cette situation délétère, plus de 4 000 soignant·es du secteur ont tiré la sonnette d’alarme en écrivant une lettre ouverte au président de la République. Dans celle-ci, publiée vendredi 21 octobre par Le Parisien, ils·elles s’alarment de la saturation des services pédiatriques hospitaliers et dénoncent un manque de personnel ainsi que des conditions de travail et de prise en charge des enfants dégradées depuis des années.

Le gouvernement n’a pas tardé à réagir. Pour tenter d’éteindre l’incendie, le ministre de la santé François Braun a annoncé dimanche sur le plateau de BFMTV un « plan d’action immédiat ». C’est-à-dire l’activation de plans blancs dans les hôpitaux les plus touchés ainsi que le déblocage d’une enveloppe de 150 millions d’euros pour l’ensemble des services hospitaliers « en tension », dont la pédiatrie. La somme permettra de répondre aux besoins de renfort de personnel et de valoriser la pénibilité de certains horaires de travail (nuit, week-end et jour férié). L'une des signataire de la lettre ouverte à Emmanuel Macron, Brigitte Virey, pédiatre libérale à Dijon (Côte-d’Or) et présidente du Syndicat national des pédiatres français (SNPF), explique à Causette la déception de la profession à la suite de ces annonces. 

Causette : Quelle est la situation actuelle des services pédiatriques français ? 
Brigitte Virey :
Les hivers en pédiatrie sont toujours compliqués, mais là, ça devient ingérable. La gestion de l’épidémie de bronchiolite montre bien à quel point la pédiatrie est en souffrance en France. Neuf fois sur dix, cette maladie se guérit bien, mais parfois un tout petit bébé peut faire une décompensation. Il a alors besoin d’oxygène et doit être hospitalisé en réanimation. Sauf qu’on ferme des lits en réa depuis des années et qu’il n’y a plus assez d’infirmières. Pour gérer l'afflux de patients, on fait sortir des enfants hospitalisés plus tôt, on repousse des opérations, des soins et donc on retarde la prise en charge d’enfants qui en ont besoin. 

« Beaucoup d’infirmières en pédiatrie ont de plus en plus l’impression de faire un travail mécanique, de ne plus avoir le temps de prendre en charge correctement les enfants alors même qu’ils ont davantage besoin d’être rassurés. »

Face à cette situation d’urgence, le gouvernement a annoncé le lancement d’un plan d’action immédiat, avec notamment le déclenchement de plans blancs locaux. Qu’en pensez-vous ? 
B.V. :
Réquisitionner du personnel dans d’autres services qui sont eux aussi sous tension n’est pas une solution à long terme. On l’a vu, avec la gestion de la crise du Covid, ce n’est plus tenable. En pédiatrie, les soignants sont épuisés et ce sont les enfants qui sont pénalisés. C’est fatigant d’entendre le gouvernement parler de plan d’action immédiat alors que la situation hospitalière actuelle était largement prévisible. On sait qu’au moment des bronchiolites, les cabinets libéraux et les services hospitaliers sont sous tensions. Ça s’aggrave évidemment cette année avec une épidémie particulièrement précoce (elle arrive en décembre en général) mais à chaque fois c’est la même chose avec les infections hivernales. Là, c’est la bronchiolite, mais après ça sera la grippe et le rotavirus [qui cause la gastroentérite, ndlr]. C’est sans fin. Et on connaît la solution à ce problème de fond : recruter du personnel. 

Justement, le gouvernement a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 150 millions d’euros pour répondre aux besoins de renfort de personnel dans les services hospitaliers sous tensions, notamment pédiatriques... 
B.V. : Il faut bien préciser que tout n’est pas destiné aux services pédiatriques. Ensuite, bien sûr qu’il faut embaucher du personnel, mais ça ne va pas se faire comme ça. Il faut leur donner des preuves de confiance, augmenter les salaires des infirmières et surtout leur donner des conditions de travail dignes de ce nom. Il y a un vrai manque d’attractivité dans le secteur et beaucoup de professionnels quittent l’hôpital parce qu’ils sont complètement épuisés. On leur demande de plus en plus de rentabilité. Beaucoup d’infirmières en pédiatrie ont de plus en plus l’impression de faire un travail mécanique, de ne plus avoir le temps de prendre en charge correctement les enfants alors même qu’ils ont davantage besoin d’être rassurés. Professionnellement et humainement, les professionnels n’en peuvent plus. 

« Dans le libéral comme dans les services hospitaliers, c’est la mort dans l’âme qu’on annule des consultations non-urgentes. Il faut bien se rendre compte que les enfants même en bonne santé ont besoin d’un suivi médical. »

Pour faire face à la saturation, le ministre de la Santé François Braun a appelé les pédiatres libéraux·ales à soutenir l’hôpital public. Même son de cloche du côté de la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin le Bodo, qui compte « sur la solidarité avec la médecine de ville ». Qu’en pensez-vous ? 
B.V. : C’est à croire qu’ils pensent qu’on fait du tricot en libéral ! En ce moment, on a dix à quinze consultations d’urgences par jour, et ça va être comme ça tout l’hiver avec la pathologie infectieuse hivernale qui débute. Nous sommes 2 600 pédiatres libéraux en France, ça fait donc environ 30 000 consultations d’urgences par jour. Boucher les trous dans les hôpitaux d’accord, mais qui prend en charge nos patients ? Comme dans les services hospitaliers, c’est la mort dans l’âme qu’on annule des consultations non-urgentes. Il faut bien se rendre compte que les enfants même en bonne santé ont besoin d’un suivi médical. Alors pour faire face, on rajoute des rendez-vous, on prend du temps sur les congés. Et on n’a pas attendu les déclarations du ministre de la Santé pour le faire. 
Ce serait aussi irresponsable de nous envoyer boucher les trous dans les hôpitaux : on ne connaît ni le matériel ni le personnel ni l’informatique des services. On est bien plus efficace dans nos cabinets, d’autant que nous avons des tests de diagnostic rapides, pas besoin d’envoyer les résultats en labo, le résultat est connu en deux minutes. 

« Notre rôle en amont est essentiel : si l’enfant est suivi et déjà vu par un pédiatre, ça permet de limiter les arrivées à l’hôpital et donc de désengorger les services. »

L’ancienne pédiatre et sénatrice LR Florence Lassarade a dénoncé un manque de plus en plus important de pédiatres libéraux sur le territoire, disant même que « la pédiatrie libérale est en train de disparaître complètement ». C’est aussi ce que vous constatez ? 
B.V. : Bien sûr et on le martèle depuis des années. Pourtant, notre rôle en amont est essentiel : si l’enfant est suivi et déjà vu par un pédiatre, ça permet de limiter les arrivées à l’hôpital et donc de désengorger les services. Mais encore faut-il qu’il y ait du monde en amont. Nous sommes 2 600 en France et nous ne couvrons pas tout le territoire. Les déserts médicaux existent aussi en pédiatrie alors même qu’on a des solutions : permettre à chaque professionnel d’avoir un assistant médical ainsi que la mise en place d’équipes de soin spécialisées, c’est-à-dire des pédiatres qui se structurent pour rayonner sur un large territoire. Ces mesures permettraient de prendre en charge plus d’enfants, même ceux éloignés géographiquement. C’est le gros problème en France. 

Le ministère de la Santé a promis l’organisation au printemps d'« assises de la pédiatrie » qui mettront « autour de la table toutes les parties prenantes concernées afin de travailler sur l’ensemble des difficultés structurelles ». C’est une source d’espoir ? 
B.V. : On n’a pas de renseignements précis sur ces assises donc j’attends de voir, mais j’ai peur que cela ne soit que des promesses qui au final ne débouchent sur rien. 

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