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© JOEL MARQUIS

Sarah Marquis : je marche seule

Elle a passé la moitié de sa vie à arpenter les régions les plus lointaines et hostiles de la planète. Toujours seule, toujours à pied, Sarah Marquis ne cesse de retourner se frotter à la nature et à la vie sauvage.

Alors que vous êtes confortablement assis·e dans votre canapé pour lire cet article, Sarah Marquis, elle, marche. L’exploratrice s’est envolée en mai vers une zone « dangereuse et désertique », unique information qu’elle a accepté de dévoiler avant son départ. Elle ne devrait rentrer qu’au bout de plusieurs mois et après avoir parcouru des milliers de kilomètres. Australie, Mongolie, Laos… À 51 ans, la Suissesse a déjà fait le tour de la Terre et raconté ses aventures dans une dizaine d’ouvrages. Le dernier en date, intitulé 15 histoires d’expédition inédites qui ont changé ma vie 1, décrit les moments les plus fous de sa carrière.

Récits de sa traversée du désert de Kimberley, en Australie, au milieu des crocodiles, ou de cette course-poursuite en Mongolie pendant laquelle elle aurait pu mourir si elle n’avait pas fait preuve d’un immense sang-froid… Sarah Marquis a tout vécu ou presque. Dire d’elle qu’elle est courageuse, c’est enfoncer une porte ouverte. La liste de ses exploits parle d’elle-même. Mais, à écouter les rares proches qui ont accepté de nous répondre – la plupart des personnes sollicitées ont refusé de s’exprimer faute d’avoir pu lui demander son accord –, elle possède également tout un tas de qualités. « C’est une femme hors norme, atypique, commente David Michel, journaliste à L’Équipe ayant partagé quelques jours d’exploration avec elle en Tasmanie en 2018. Son maître mot, c’est l’indépendance : elle veut tout faire seule et ne compte jamais sur quelqu’un d’autre. »

« Elle est loin d’être misanthrope, mais sa seule boussole, c’est sa liberté »

Huguette Maure, directrice littéraire

Devenu un ami intime de l’exploratrice, David Michel ne s’est encore pas remis de son bref compagnonnage avec elle dans ces terres hostiles. « Il faisait une chaleur atroce, se souvient-il. Elle venait de se casser le bras dans une très grosse chute, avait dû être hospitalisée et elle traînait une lourde charrette avec ses affaires. Mais elle avait toujours le sourire, elle était rigolarde et ultra détendue. Franchement, je ne m’attendais pas à autant d’enthousiasme. »

Pas question, donc, d’alimenter le cliché de l’exploratrice solitaire qui fuit la civilisation. Sarah Marquis est un caméléon. « Quand je la vois à Paris, il n’y a pas plus urbaine, détaille Huguette Maure, directrice littéraire chez Michel Lafon, l’éditeur français de Sarah depuis une vingtaine d’années. Elle est loin d’être misanthrope, mais sa seule boussole, c’est sa liberté. » Une ligne de conduite que la principale intéressée confirme dans un entretien vidéo à L’Équipe, publié en octobre 2022. « Mon fil rouge, c’est la nature. Sans la nature, moi, je meurs. Je me recharge dans la nature. De temps en temps, je suis chez les humains. De temps en temps, je suis dans la nature. Je suis une sorte de pont entre les deux. »

Fascinée par l’ailleurs

Sa première aventure date de 1993. Tout est parti d’un déclic. « Un beau jour, j’ai tout quitté : job, appartement, mec. Et très vite, j’ai pris un billet d’avion… J’avais 21 ans. J’ai retiré l’argent de ma caisse de retraite, ce qu’il ne faut jamais faire apparemment, et j’ai atterri, seule, sans parler un mot d’anglais, en Australie »,
raconte-t-elle. Élevée dans la campagne suisse jurassienne, elle développe très jeune une fascination pour l’ailleurs, pour les paysages plus arides que ceux de son enfance. Parmi ses modèles, elle cite souvent Alexandra David-Néel, journaliste et première femme européenne à avoir pénétré la cité interdite de Lhassa, au Tibet, en 1924.

« Je sais que, dès le moment où j’ai la prétention de tout maîtriser, je suis morte »

Sarah Marquis, exploratrice

Au fil de ses pérégrinations, Sarah Marquis a accumulé les savoirs. Végétarienne depuis l’adolescence, elle connaît sur le bout des doigts les vertus nutritionnelles des plantes des régions qu’elle explore. Elle a aussi appris à repérer celles qui étaient dangereuses comme cette fois en Australie, où, rongée par la faim, elle goûte une baie non identifiée et perd temporairement la vue. « Un plaisir rapide peut coûter la vie dans ce genre d’environnement… On ne m’y reprendra plus à manger quoi que ce soit d’inconnu sans passer par les étapes de détection de toxicité », conclut-elle dans son dernier livre.

En totale autonomie

Chaque nouveau voyage est préparé minutieusement des mois durant. Outre l’entraînement physique exigeant auquel elle s’astreint, elle accumule des informations précises sur sa destination. Un mois avant le départ officiel à pied, elle s’installe dans une maison modeste, histoire de laisser à son organisme le temps de s’acclimater à ce nouvel environnement. Si elle s’élance seule, une petite équipe restée en Suisse veille malgré tout sur son avancée. Parfois, son frère vient la ravitailler. Mais la plupart du temps, elle est en totale autonomie et ne peut donc compter que sur elle-même.

« C’est une amoureuse de la nature, de manière intime, confirme Huguette Maure. Elle a un sens de l’observation extraordinaire qui garantit sa survie. Un jour, elle s’est retrouvée sans eau. Elle a suivi des traces de pas et a aperçu un oiseau réputé pour repérer les points d’eau à 5 kilomètres à la ronde. C’est près, mais il ne faut pas se planter ! »

« Le simple fait de manquer de la seule substance qui décide de la vie ou de la mort [l’eau] donne une tout autre perspective à la vie »

Sarah Marquis, exploratrice

En 2015, elle obtient le titre d’« exploratrice de National Geographic », une distinction honorifique qui salue son travail et lui permet de décrocher des financements pour ses voyages, mais dont elle ne tire pas de gloire particulière. « Elle n’est pas dans une logique de palmarès, de toujours plus. D’ailleurs, il ne faut surtout pas dire d’elle qu’elle fait de la randonnée extrême, elle déteste ça », estime David Michel. Une forme de modestie, de simplicité confirmée par son éditrice. « Elle n’est pas du genre à frimer. De toute façon, dans ces expéditions, face à la nature, on ne peut être qu’humble. » Dans son livre, elle l’affirme sans détour : « Je sais que, dès le moment où j’ai la prétention de tout maîtriser, je suis morte. »

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Campement en Australie-Occidentale, en 2015. © SARAH MARQUIS
Existence presque ascétique

Quand elle ne marche pas, Sarah Marquis trouve refuge dans une micro maison qu’elle a construite avec son frère, nichée dans la montagne valaisanne. Elle ne se soucie guère de cet espace réduit. Elle y mène une existence presque ascétique. « Elle pourrait vivre plus confortablement, souligne Huguette Maure. Ses livres se vendent plutôt bien, autour de 30 000 exemplaires, elle pourrait avoir plus que 40 m2, mais je crois, ça ne l’intéresse pas. » Pas question, non plus, de monétiser sa gloire à outrance. « Les patrons de la Silicon Valley l’adorent et sont prêts à payer très cher pour lui organiser des conférences. Mais ça n’est pas son truc, même s’il lui arrive d’en faire quelques-unes pour gagner un peu d’argent », croit savoir David Michel. La quinquagénaire blonde, au large sourire solaire, a de toute façon une sorte d’instinct pour repérer illico les gens avec qui elle n’a aucune affinité. « Elle n’aime pas ceux qui n’ont que le profit comme ligne de vie, ceux qui se vautrent dans les artifices ou qui ne respectent pas la nature », lâche Huguette Maure, qui la verrait bien écrire des livres sur la cuisine végétarienne pour transmettre ses immenses connaissances. Mais, pour le moment, Sarah Marquis ne pense qu’à la marche. Inutile de lui parler d’arrêter. « Je crois qu’elle ne se pose même pas la question, souligne David Michel. Elle n’a que 51 ans. Aussi longtemps qu’elle aura la patate et l’énergie, elle continuera. » Sans doute est-elle déjà en train de songer à sa prochaine expédition…

Lire aussi l Vacances : elles ont choisi de partir seules

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  1. 15 histoires d’expédition inédites qui ont changé
    ma vie
    , de Sarah Marquis. Michel Lafon, 2022.
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