les rencontres du papotin
Thomas Pesquet aux Rencontres du Papotin (©© ÉLISE LLINARES-FRANCE TV)

Dans les cou­lisses des "Rencontres du Papotin"

Chaque mois, sur France 2, Les Rencontres du Papotin accueillent une personnalité pour une interview « sans filtre » réalisée par des journalistes autistes. Une adaptation pour la télé du journal papier Le Papotin, né, lui, il y a plus de trente ans. Alors que l'émission fait sa rentrée avec Jonathan Cohen ce samedi, relisez notre reportage dans les coulisses de ce programme qui connaît un vrai succès d’audience. Quand il ne fait pas le buzz…

Ce matin du 8 février, mercredi depuis plus de trente ans, s’ouvre la conférence de rédaction du Papotin, « journal atypique » – c’est ainsi qu’il se présente – publié environ une fois par an. Julien Bancilhon, psychologue et rédacteur en chef depuis 2019, s’adresse à la trentaine de participant·es de tous âges qui a pris place dans le centre culturel de la Mission bretonne à Paris (XIVe). « Le Festival de Luchon nous a remis un… pardon, deux prix. Celui de l’émission événementielle et celui de la meilleure émission. C’était inattendu. Tu veux nous parler un peu de Luchon ? Sébastien, tu connais ? T’y es allé, toi ? Écoute, si tu te sens de nous écrire un texte, ça pourrait être pas mal. Et peut-être qu’on pourrait avoir une illustration d’Adrien ? »

Mais aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de travailler à la revue : depuis l’automne 2022, Le Papotin a aussi son émission de télé. Pour le prochain et dernier tournage de la saison, cinq jours plus tard, l’équipe se prépare à accueillir l’astronaute Thomas Pesquet, à la suite de Camille Cottin, Gilles Lellouche ou Emmanuel Macron. « Une équipe nous aide dans nos recherches autour de l’invité. Avant la conférence de rédaction du mercredi, j’ai pu envoyer à tout le monde une biographie écrite de l’invité ainsi qu’une vidéo de trois minutes, pour ceux qui ne savent pas lire », explique le rédacteur en chef.

Ici, pas de condition ni de sélection préalable : dès lors qu’ils ou elles ont envie de participer (et que leur emploi du temps au sein de leur institution le leur permet), toutes et tous ont leur place au sein du Papotin. Soit « une cinquantaine de journalistes et une quinzaine d’accompagnants, qui viennent d’une dizaine d’institutions médico-sociales », décrit Julien Bancilhon. Thomas vient de l’établissement de service et d’aide par le travail (ESAT) Turbulences ! qui propose du travail ou une formation professionnelle autour des métiers du spectacle à ses bénéficiaires. « Moi, je lis des poèmes et je les partage au Papotin, raconte Thomas. J’écris dans des cafés. Ça, c’est sur mon temps libre. Mais pour préparer les interviews, c’est beaucoup de travail. » Actuellement, il planche sur un texte autour du tremblement de terre en Turquie. « Ça peut être engagé, dit-il, mais pas que... Il y a aussi de l’amour. » Pour David, « Le Papotin, c’est du plaisir » et le tournage, « un moment vraiment sympa ».

Préparation collégiale

Alors que s’installent les dernier·ères retardataires, Alexandre, qui participe au Papotin depuis plus de vingt ans, prend la parole. Il a, comme à son habitude, pris soin d’envoyer ses questions en amont à Julien Bancilhon. « Tu as écrit : “Qui vous a conseillé d’aller dans l’espace ? Est-ce que c’est une de vos lubies personnelles ?” Je trouve ça amusant de parler de “lubie”. Tu peux nous expliquer cette question ? », rebondit le rédacteur en chef. « En fait, je pense qu’il est un petit peu barge, tu m’excuseras le terme. Parce qu’il y a des risques terribles », explicite Alexandre, tout en listant les petits et gros pépins auxquels s’exposent les astronautes. À quelques chaises de là, Hortense a écrit un texte inspiré du livre de photos 2 de Thomas Pesquet. Félix, lui, aimerait bien parler des extraterrestres. Quant à Stanislas, c’est plutôt le quotidien dans l’espace qui l’intéresse. « Comment il fait pour vivre plus de six mois dans une capsule qui est étroite comme le pilier qui est ici ? Moi, je sais que je ne pourrais pas tenir deux semaines », concède le jeune homme, tandis qu’autour de lui, des blagues commencent à fuser.

Questions métaphysiques ou ultra-pragmatiques, traits d’humour, remarques abruptes ou poétiques : c’est cette alchimie singulière du Papotin qu’il s’agira, dans quelques jours, de faire vivre face caméra. « Après la conférence de rédaction, j’appelle certains journalistes pour voir ce qui les intéresse, dans quelle direction ils souhaitent aller… développe Julien Bancilhon. Ça aide à s’organiser, à se faire une idée de ce qui se dira le jour même, pour que les surprises soient un peu orientées. Mais en même temps, l’idée, c’est aussi de laisser place à la spontanéité. Parfois, on se dit : “Celui-là, il a une question géniale, qui a toutes les chances de terminer au montage final.” Mais entre la réponse de l’invité, la façon de poser la question, les autres interventions… Il y a toujours des choses inattendues. »

Histoire “hors normes”

À vrai dire, l’histoire même du Papotin relève de l’inattendu. À l’origine de cette aventure démarrée en 1989, un ancien prof de français devenu éducateur à l’hôpital de jour d’Antony (Hauts-de- Seine), Driss El Kesri. « J’étais une recrue un peu particulière, parce que je n’ai pas vraiment fait d’études pour être éducateur ou soignant. Je suis venu un jour à l’invitation d’un ami psychiatre, et je ne suis jamais reparti », se souvient-il. À l’époque, peu de structures accueillent les personnes autistes, souvent renvoyé·es vers les hôpitaux psychiatriques. L’hôpital de jour d’Antony, ouvert à un public âgé de 15 à 25 ans, compte alors parmi les pion- niers. « À ce moment-là, la grande majorité de ces jeunes n’était jamais allée à l’école, ou très peu. Certains étaient mutiques. Alors ils se sont construit d’autres manières de communiquer, que j’ai trouvé fascinantes. L’idée du Papotin, c’était vraiment de leur proposer un espace d’expression, un endroit où on peut tout dire. On voulait aussi mettre ces jeunes en lumière, que les gens puissent les regarder autrement, en citoyens », poursuit Driss El Kesri, qui a passé la main à Julien Bancilhon en 2019.

Depuis toujours, Le Papotin refuse d’ailleurs de se présenter comme un projet thérapeutique : c’est un pro- jet culturel et journalistique à part entière. Un espace de rencontre, aussi. En trois décennies, plus d’une centaine de personnalités ont été interviewées par ces journalistes atypiques – Barbara, Daniel Pennac, Stéphane Hessel… Ou encore Olivier Nakache et Éric Toledano. Venus au moment de la sortie de leur film Intouchables (2011), ce sont eux qui ont eu l’idée d’en faire une émission de télé, avec le concours de leur ami d’enfance, le producteur Jérôme Lament. « On a travaillé pendant deux ans et demi pour trouver comment restituer ces moments suspendus et s’insérer dans les programmes télé du moment, tout en proposant quelque chose d’éminemment atypique », retrace Clément Chovin, coproducteur de l’émission, venu assister, comme chaque mercredi, à la conférence de rédaction. Après avoir tâtonné, essayé différentes for- mules et essuyé le refus d’une chaîne privée, c’est finalement sur France 2 que Les Rencontres du Papotin ont trouvé leur place, après le JT du samedi soir.

Lumière et transparence

Lundi 13 février, le jour du tournage est arrivé. Le plateau est situé à l’Institut du monde arabe, sous une verrière panoramique surplombant la capitale – et non en studio. « La télé a tendance à chosifier ses personnages, à artificialiser les choses. Nous, on voulait un lieu de vie, où l’on puisse tout voir : les interactions, les caméras, les interventions d’un cadreur ou d’un assistant… Pour qu’on voie bien qu’il n’y a pas d’intervention cachée de la production », poursuit Clément Chovin. Les journalistes du Papotin se préparent, quelques étages plus bas, le temps des derniers réglages. L’organisation est toujours la même, pour ne pas trop perturber les journalistes. Un petit déjeuner est prévu à leur arrivée. Puis, pendant que certain·es se font légèrement maquiller ou coiffer, la figure familière de Florence Chataignier Mars, productrice éditoriale, rappelle à chacun·e ses questions qu’elle a notées lors de la conférence de rédaction. Peu à peu, les journalistes, pas plus impressionné·es que ça, sont invité·es à monter et à s’installer en plateau. En lien avec Julien Bancilhon, Florence Chataignier Mars leur a préparé un plan, tenant compte des problématiques des un·es ou des autres : présence d’un·e accompagnant·e, arrivée ou départ pendant le tournage, affinités entre les journalistes…

L’invité fait son entrée sous l’œil des caméras qui enregistrent depuis un moment déjà, sans que quiconque puisse savoir à l’avance ce qui ressortira de ces trois heures de tournage. « Notre métier, c’est d’avoir une main permanente sur la conduite de l’émission, de tout prévoir et tout découper [en séquences, ndlr]. Là, c’est tout l’inverse : il faut penser que tout peut survenir, et que tout ce qu’on pourrait prévoir pourrait ne pas advenir », sourit Clément Chovin. Charge ensuite à l’équipe de production de tirer de ces trois heures d’enregistrement un épisode de vingt-huit minutes, qui sera diffusé dans les prochains mois. « Il y a un premier filtre, au regard de ce qui est exploitable. Comme c’est un tournage en prise directe, il arrive que le son ne soit pas bon et qu’on ne puisse pas exploiter une séquence. On veille aussi à ne pas utiliser des plans qui pourraient heurter ou atteindre l’intégrité des personnes. Une fois qu’on a quelque chose qui nous satisfait, on l’envoie à Julien [Bancilhon]. C’est un travail collégial », poursuit le producteur. Le rédacteur en chef abonde : « On a le dernier mot sur le montage, c’est contractuel. Et c’était important pour nous. »

Préoccupations universelles

Sur le plateau, c’est Grégory qui ouvre le bal : « Tu fais quoi comme métier ? Vous avez beaucoup d’amis dans l’espace ? Vous avez des projets de vacances ? », le questionne-t-il du tac au tac, avant d’égrener ses propres souvenirs de famille. En subtil chef d’orchestre, Julien Bancilhon laisse place à la digression, puis l’inter- rompt avec une pointe d’humour pour passer la parole à Maxime – « Maxime est de ces journalistes qui sont davantage dans le commentaire que dans la question », glisse-t-il avec douceur à l’oreille de Thomas Pesquet. Une intervention qui s’éternise, un journaliste qui se rassoit sans avoir posé sa question, un autre qui quitte le tournage alors qu’on pensait lui donner la parole… Le rédacteur en chef, qui connaît et suit Le Papotin depuis près de vingt ans, a manifeste- ment l’habitude de composer avec ces petits aléas.

Viennent ensuite les questions d’Alexandre (« Est-ce que c’est pas un peu flippant de savoir ce qui peut arriver – même si on ne vous le souhaite pas, bien sûr ? »), de Félix (« Est-ce que vous avez déjà croisé des ovni ? »), ou de Mathias (« Tu as peur de la mort ? »). Il y a aussi celles d’Hélène, alias Babouillec, venue avec sa mère : la jeune femme, qui ne parle pas, utilise un alphabet pour poser ses questions philosophico-poétiques. « Penses-tu que le terreau agricole t’ait planté les pieds sur terre ? Être autiste nous installe dans un dispositif social no man’s land : te sens-tu comme un autiste ? » Et puis il y a les questions qui nous traversent tous et toutes, mais qu’on ne pose qu’au Papotin : « Comment faites- vous pour aller au petit coin ? » interroge Cathy. « Quand les gens disent que tu es parfait, est-ce que ça t’agace ? » demande Raphaël. « Oui ! » lâche Pesquet, qui est amené à se livrer sur son rapport à la célébrité, mais aussi à sa famille, à sa compagne… « Pour les journalistes du Papotin, les sujets liés à l’enfance, à la famille, au quotidien, aux obsessions ou à l’angoisse sont fondamentaux et entrent merveilleusement en résonance avec les gens », résume Clément Chovin.

C’est sans doute là l’une des raisons des excellentes audiences des Rencontres du Papotin – après quelques mois d’existence, l’émission a déjà été vue au moins une fois par plus de neuf millions de personnes. Quant au numéro où l’on a entendu Emmanuel Macron s’exprimer sur son couple, sa grand-mère Manette ou son « pognon », il a réuni plus de cinq millions de téléspectateur·rices. Un franc succès pour Le Papotin… et un joli coup de com’ présidentiel ? Cela a pu être reproché à l’émission, notamment sur les réseaux sociaux. « La rencontre avec Emmanuel Macron a créé une caisse de résonance assez forte, analyse le coproducteur Clément Chovin. On s’en doutait. Mais je pense que c’était surtout lié à l’exercice de Macron, parce qu’il y avait la suspicion d’une communication politique derrière, donc d’une main guidée… Alors que sur chaque émission, y compris celle-là, les journalistes du Papotin parlent de ce dont ils ont envie, que ce soit des choses extrêmement anodines ou super politiques. » Thomas, journaliste du Papotin, considère qu’il « a joué le jeu ».

D’un président à l’autre

La rédaction avait d’ailleurs déjà interviewé deux présidents en exercice, Jacques Chirac en 2002 et Nicolas Sarkozy en 2015. Sauf que cette fois, la rencontre a été filmée et diffusée à une heure de grande écoute. Et que, du fait de l’ADN du Papotin, elle a permis au président actuel de se montrer sous son jour le plus humain.

« Il serait naïf de croire que l’intervention d’Emmanuel Macron n’est pas, au moins en partie, un exercice de communication. Cela est d’autant plus gênant que sa politique et son bilan en termes de handicap sont critiquables », appuie Julie Dachez, chercheuse en psychologie sociale, conférencière et elle-même autiste. Elle salue néanmoins l’existence d’une telle production télévisée qui, si elle ne la juge pas parfaite, vient renouveler le regard porté sur l’autisme dans les médias. « La diversité des personnes autistes, comme celle du spectre autistique, est représentée. Par ailleurs, l’émission donne à voir des journalistes qui font un travail de très grande qualité », apprécie-t-elle. C’est aussi là son point fort : malgré sa rédaction hors normes, elle ne prétend pas représenter l’autisme ou les personnes autistes.

« Jamais il n’est question d’“inclusion”, ni même d’autisme, estime Clément Chovin. On ne cherche pas à catégoriser ou à se faire les porte-voix de quoi que ce soit. On fait juste une émission de rencontres et c’est ça qui est formidable. »

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