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© Luna Harst

Lauren Bastide arrête son pod­cast “La Poudre” : “Je laisse des héri­tières, et c’est extrê­me­ment joyeux”

Lauren Bastide a annoncé, jeudi 21 décembre, la fin de La Poudre. Elle explique à Causette les raisons de l’arrêt d’un podcast aujourd’hui devenu culte et dresse le bilan de sept années qui ont accompagné une révolution féministe.

“Cet épisode, c’était le dernier de La Poudre.” L’annonce est tombée comme un couperet à la toute fin de l’épisode de La Poudre, podcast féministe qu’on ne présente plus, publié jeudi. Lauren Bastide, l’illustre maîtresse des lieux depuis 2016, y recevait pour la deuxième fois la militante écoféministe indienne Vandana Shiva et clôturait ainsi le ballet de sept années de rencontres.

Plus de sept ans en effet que la journaliste féministe donne deux fois par mois la parole à des femmes inspirantes, des écrivaines, des artistes, des femmes politiques, des chercheuses, des militantes… En sept ans et huit saisons, plus de 250 femmes ont fait parler La Poudre, pas loin de 200 épisodes ont vu le jour, deux livres, des conférences, des tables rondes et surtout vingt millions de téléchargements. Un carton, donc.

Lauren Bastide revient pour Causette sur ces sept dernières années et sur les prochaines qui s’annoncent tout aussi foisonnantes. Car si aujourd’hui La Poudre prend fin, n’ayez crainte, Lauren Bastide ne nous quitte pas pour autant. Bien au contraire. Entretien.

Causette : Vous avez pris la décision d’arrêter La Poudre. Pour quelles raisons ?
Lauren Bastide : C’est quelque chose qui me travaillait depuis un petit moment. Ça fait sept ans que je fais ce podcast. Et sept ans, c’est quand même une sacrée durée. C’est un cycle et je commençais à me sentir petit à petit dans une forme de routine. J’ai envie de choses nouvelles, et surtout, j’ai des idées nouvelles. J’ai eu un déclic le soir du Paris Podcast Festival [en octobre, 2023, ndlr], où on m’a remis le prix du meilleur podcast de conversation ex æquo avec Joyeux Bazar, d’Alexia Sena. J’ai senti que c’était le moment d’arrêter, que la boucle était bouclée et que La Poudre était devenue une sorte d’institution. Je pense aussi que je suis allée explorer à peu près toutes les thématiques qu’on pouvait explorer sur le genre et le féminisme. Et puis j’ai l’impression qu’il y a besoin d’ouvrir de nouveaux espaces de conversation sur d’autres thématiques. J’ai notamment un projet qui a commencé à prendre forme dans ma tête ces derniers mois.

Comment vivez-vous cet arrêt ?
L. B. : J’ai pris cette décision très sereinement. En étant sûre que c’est ce que je voulais faire. J’ai l’impression que tout s’est aligné et j’ai choisi avec soin mes deux dernières invitées, Lénaïg Bredoux et Vandana Shiva. Je voulais absolument terminer avec Lénaïg Bredoux, codirectrice de la rédaction de Mediapart, qui vient elle-même de sortir un livre qui dresse, six ans après, le bilan de #MeToo [“#MeToo, le combat continue”, aux éditions Seuil], parce que La Poudre a vraiment accompagné cette période. Je crois que l’on peut parler de la fin d’un cycle féministe, avec l’impression de rentrer à présent dans une nouvelle phase de lutte. On est peut-être moins dans l’exaltation, dans l’espoir et dans la joie, comme on a pu l’être ces dernières années, mais plus dans un sentiment de résistance. Cet avant-dernier épisode, c’était donc un peu le bilan, aussi, de ces sept dernières années. Et puis Vandana Shiva, c’était la première fois que je réinvitais une femme en épisode individuel, je me suis dit, ça aussi, c’est un signe. Ça veut dire qu’un nouveau cycle s’ouvre. Je trouvais ça super de finir avec cette femme qui incarne justement le fait que la pensée féministe doit absolument s’accompagner d’une pensée décoloniale et d’une pensée écologiste. D’une pensée globale sur la vie. C’était la parfaite façon de clôturer ce cycle.

La Poudre existe depuis 2016. Qu’est-ce que vous retenez de ces dernières années ?
L. B. : Quand je l’ai lancé, je savais que j’étais en train de faire quelque chose qui avait du sens, mais je ne m’attendais pas à ce que ça en ait autant. Ça m’a complètement dépassée. Depuis la sortie du dernier épisode, ce matin, je reçois tellement de messages qui me bouleversent. Il semblerait que j’ai changé la vie de pas mal de femmes, et c’est juste dingue. À chaque signature de bouquin, il y a toujours des lectrices qui viennent me dire “merci pour La Poudre. En sept ans, j’ai reçu des milliers de messages de personnes de tous les âges, de tous les pays, de tous les milieux sociaux et de toutes les générations. Des femmes qui ont changé le cours de leur vie en écoutant La Poudre. Qui ont compris des choses sur leurs conditions, qui ont été inspirées par des parcours de vie qui ressemblaient au leur ou étaient au contraire à l’opposé du leur. Des femmes qui ont changé de métier, qui ont repris des études. C’est fou. Cette communauté d’auditrices, c’est ce que j’ai envie de retenir là tout de suite et je tiens à les remercier toutes du fond du cœur. Ce cercle vertueux qui s’est créé entre mes invitées, mes auditrices et moi. Car je pense qu’on s’est toutes fait grandir. J’ai tellement grandi, j’ai tellement changé et j’ai tellement compris de choses en sept ans. Et je pense que ça l’a été pour mes invitées aussi. Pour beaucoup, ça a été un moment de révélation énorme de faire cette interview. La Poudre, c’était avant tout un superbe espace de sororité.

Quels sont les moments les plus forts que vous avez vécus de l’autre côté du micro ?
L. B. :
Il y a eu tellement de moments forts que c’est difficile de répondre à cette question. Tous les enregistrements en public et les tables rondes. Celles sur le droit à l’IVG à l’Assemblée et sur les violences obstétricales à la Sorbonne par exemple. Il y a aussi des épisodes qui ont littéralement changé ma vie. Le fait d’avoir interviewé Assa Traoré assez tôt dans son militantisme, ça m’a beaucoup éclairée et éveillée dans le mien. J’ai aussi interviewé Virginie Despentes, Gloria Steinem, Judith Butler, Maggie Nelson, Paul B. Preciado, Christiane Taubira… J’ai eu la chance d’échanger avec les plus grand·es penseurs et penseuses de notre époque. C’est quand même assez fou en termes de privilèges. Je pense que sur mon lit de mort, quand je ferai le déroulé de mon existence, ça apparaîtra, forcément. Je pense aussi à des épisodes qui ont été moins écoutés que d’autres comme ceux de Salcuta Filan, ou de Rachel Keke. Ils ont permis de donner la voix à des femmes qui en ont moins et c’est important.

Justement, quand vous avez lancé La Poudre, en 2016, vous vouliez donner la parole aux femmes et pallier ainsi le faible temps de parole médiatique qui leur était alloué. Sept ans plus tard, les choses ont-elles avancé sur ce terrain ?
L. B. :
Je crois que ça a un peu changé. La grande différence, c’est qu’aujourd’hui on peut dire que c’est un problème et il n’y a pas grand monde qui peut nous contredire. À l’époque, en 2016, dire “le temps de parole des femmes dans les médias n’est pas assez élevé, il faut que ça change”, ça paraissait presque radical et complètement saugrenu. Je crois qu’aujourd’hui ça ne choque plus personne de raisonner avec cette logique de comptage et de quotas. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de femmes qui sont autorisées à donner leurs avis. Ce qui ne veut pas dire qu’on est moins cyberharcelées, que les victimes qui dénoncent des violences sont immédiatement crues, il y a encore énormément à faire, mais je crois que les choses ont bougé.

Avec l’arrêt de La Poudre, est-ce que vous avez l’impression de laisser les féministes “orphelines” ?
L. B. : Non, j’ai le sentiment de passer le relais. Peut-être qu’il y a sept ans, j’étais un peu seule, même si, et c’est important de le dire, il y avait déjà d’autres femmes qui travaillaient sur ces questions. Aujourd’hui, en tout cas, il existe des dizaines de podcasts féministes. Il y a énormément d’endroits où on donne la parole aux femmes. Je n’ai pas l’impression de laisser un désert. Je laisse un endroit foisonnant où il y a plein de nouveaux formats. Et, surtout, une génération d’héritières. C’est merveilleux de voir aujourd’hui arriver des femmes de 20 ans et 30 ans, ou même plus jeunes, qui ont été biberonnées à La Poudre. Donc je ne laisse pas des orphelines, bien au contraire. Je laisse des héritières, et c’est extrêmement joyeux. Par ailleurs, je ne laisse tomber personne puisque je vais lancer un nouveau projet.

Est-ce qu’on peut en savoir plus sur ce projet à venir ?
L. B. :
Je vais lancer un nouveau podcast, sur une autre thématique, je vous en dis plus le 18 janvier. J’espère que ça aura un impact comparable à celui de La Poudre. Je pense que ça parlera à beaucoup de gens. En ce qui concerne La Poudre, bien évidemment, je ferai une soirée en janvier pour lui dire au revoir. J’ai d’ailleurs décidé d’inviter les anciennes interviewées, parce que c’est le plus beau panel de femmes qu’on puisse imaginer.

Rassurez-nous, il sera toujours possible d’écouter La Poudre ?
L. B. : Bien sûr, tous les épisodes seront pour toujours disponibles gratuitement, d’abord sur Spotify, qui les abrite en exclusivité depuis deux ans, et bientôt sur toutes les plateformes d’écoute. C’est important parce que, tous les jours, je reçois un message de quelqu’un qui vient de découvrir La Poudre. Ce sont des archives précieuses, des voix enregistrées pour toujours. Et d’ailleurs, je vais m’assurer qu’elles le soient pour toujours. J’ai le projet de donner les rushs à une bibliothèque féministe, de façon à mettre symboliquement toutes les interviews à disposition des chercheur·euses et des futur·es chercheur·euses qui travailleront sur ces questions. Car finalement, La Poudre n’est pas morte, elle s’arrête juste de grandir.

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