Audrey Tribot, l’influenceuse lit­té­raire aux 100 000 abonné·es

À tout juste 25 ans, Audrey Tribot a reçu en août, le « YouTube trophée d’argent », qui récompense le palier des 100 000 abonné·es pour sa chaîne littéraire « Le souffle des mots ». Une première en France pour une influenceuse littéraire.

Capture d’écran 2022 10 21 à 11.26.47 3
Audrey Tribot. ©DR

Ses boucles brunes dansent autour de son visage à chacun de ses pas. Mais ce qui frappe en premier chez Audrey Tribot, c’est son sourire lumineux. Son air chaleureux jure avec la morosité ambiante de cette fin septembre. La pluie bat contre les vitres de son appartement de Villemoisson-sur-Orge (Essonne) et la jeune femme, enrhumée, s’excuse tout de suite : elle parlera du nez. Un rapide tour du propriétaire donne pourtant l’impression que l’automne a été inventé pour elle : des bougies allumées, des plaids duveteux, du thé encore fumant, un chat qui ronronne joyeusement sur un tabouret... Et surtout, un peu partout, des piles de bouquins.

Voici la raison de notre visite. À 25 ans, Audrey Tribot peut se vanter d’être la première influenceuse littéraire française à dépasser les 100 000 abonné·es sur sa chaîne YouTube, « Le souffle des mots ». Plus qu’une YouTubeuse, Audrey Tribot est une BookTubeuse. Aux confins du site de vidéos existe le monde merveilleux de BookTube, dans lequel des vidéastes - souvent des femmes - se filment en train de parler de livres. Sur ses vidéos, on retrouve Audrey dans sa chambre, qui tient plus d'une librairie que d'un endroit où dormir, avec ce même sourire éclatant et le fameux « Coucou tout le monde » cher aux influenceur·euses. La chatte Alaska s'est, elle, très vite imposée comme mascotte de la chaîne. Petite nouveauté depuis quelques semaines : le trophée en métal qui trône désormais sur le mur. Audrey a réussi l’exploit, dans le milieu de l'influence littéraire, d’obtenir en août un « YouTube trophée d’argent », graal récompensant les YouTubeur·beuses atteignant l’ambitieux palier des 100 000 abonné·es.

Vivre de sa passion 

Au moins une fois par semaine, Audrey partage une vidéo à sa communauté : la fréquence à laquelle s'astreignent les YouTubeur·euses pour ne pas se faire oublier de l'algorythme. Pour Audrey, tout a commencé dans sa chambre d’ado, pas très loin d’ici. Celle qui passe des heures au CDI de son collège se lance sur YouTube à l’été 2013, à peu près au même moment où le phénomène de BookTube, importé des États-Unis, débarque en France. Au début, la jeune fille de 15 ans partage seulement une vidéo de temps à autre, pour se faire des ami·es qui partagent comme elle la passion des livres. « Pendant longtemps, j’avais trois « j’aime » : mon père, ma mère et ma sœur », précise-t-elle en riant, replaçant ses lunettes rondes sur le bout de son nez.

En grandissant, raconter des histoires face caméra devient une affaire sérieuse. En témoigne aujourd’hui Mathilde Manceau, qui travaille consciencieusement sur la table de la cuisine. Elle est son amie depuis les débuts et depuis peu, son attachée de presse. À 16 ans, Audrey comptait 1 000 abonné·es sur sa chaîne. 10 000 le jour de ses 18 ans. Un succès qui la pousse, il y a cinq ans, à prendre une décision radicale et déterminante : son master commercialisation du livre (évidemment !) en poche, Audrey se lance à temps plein dans le métier d’influenceuse littéraire. Avec la crainte au départ de ne pas pouvoir en vivre. « Le confinement a été décisif, je me suis rendu compte que j’adorais faire ça, explique-t-elle. Avant, je n’étais pas vraiment sûre que c’était un métier. J’avais quelques contrats par ci par là mais pas de salaire fixe à la fin du mois. Cette instabilité me faisait peur. »

« Faut vraiment que les gens soient passionnés pour regarder une meuf qui présente des livres pendant une heure. »

Aujourd’hui, la jeune femme peut se verser chaque mois un salaire confortable, parfois jusqu’à 3 000 euros. Jouant la carte de la transparence, elle précise à Causette gagner sa vie grâce aux revenus publicitaires créés par les vues sur sa chaîne mais surtout grâce à ses nombreuses collaborations avec des maisons d'édition. « C’est moins tabou aujourd'hui de faire des placements de produits », souligne Audrey. Pour autant, l’influenceuse tient à clarifier qu’elle ne se force jamais à parler d’un livre qu’elle n’aime pas. « S’il ne me plait pas, je le dis. Cela m’est déjà arrivé d’annuler un partenariat quand je n'aimais vraiment pas le livre. »

Chaque semaine, Audrey parle d’un nouveau bouquin face caméra avec une caractéristique immuable toutefois : l’influenceuse aborde presque exclusivement la littérature jeune adulte. D’une part, parce qu’elle adore le genre et d’autre part parce que sa communauté se compose surtout de jeunes femmes entre 15 et 30 ans. Elle précise d’emblée qu’il n’y a pas que de la romance et d’ailleurs elle « n’aime pas trop ça », les love stories. « C’est une littérature hyper riche et large, qui permet à chacun de s’identifier sur des sujets sociétaux et engagés actuels comme la transidentité par exemple », pointe la jeune femme. Elle en convient néanmoins : difficile d'élargir son public au-delà d'une cible de jeunes femmes. « Faut vraiment que les gens soient passionnés pour regarder une meuf qui présente des livres pendant une heure », dit-elle en riant.

Démocratiser la lecture 

C’est pourquoi, forte de sa petite notoriété, Audrey Tribot se déplace de plus en plus dans les bibliothèques, les collèges et les salons littéraires pour animer des ateliers autour de la lecture ado. « J’ai dû en faire une vingtaine depuis 2020 », lance-t-elle avant d’être aussitôt coupée par Mathilde : « Non, plutôt une bonne cinquantaine ! » Dans les salons, l’influenceuse s’est d’ailleurs forgée une solide réputation. « Impossible de faire un mètre sans que quelqu’un la reconnaisse », rigole Mathilde, qui lève la tête de son ordinateur.

Et, que ce soit face caméra ou face au public, il y a toujours l’idée de faire découvrir et aimer la lecture au plus grand nombre. « Il y a cette image que la lecture concerne uniquement les œuvres classiques, pour moi c’est du snobisme ! L’important, c’est de lire, même si c’est des mangas ou des BD », soutient celle qui conteste fermement lorsqu’on lui dit que les jeunes lisent de moins en moins. « Je ne suis pas d’accord, les jeunes lisent, il y a dix ans j’avais l’impression d’être la seule à lire mais plus aujourd’hui. »

«Pour moi, surconsommer de la culture n’est pas un problème écologique  »

Sur la table basse trône une dizaine de livres. En plus de ceux qu’elles achètent, Audrey Tribot en reçoit très régulièrement de la part des services de presse de maison d’édition, désireuses d’apparaître sur Le souffle des mots. L’influenceuse, qui a tenté sans succès la liseuse électronique, balaie cependant toute dérive écologique. « Je ne les garde pas tous, je les donne souvent à mes abonnés ou à mes proches, ils ont toujours une seconde vie, dit-elle. Pour moi, surconsommer de la culture n’est de toute façon pas un problème écologique. »

Alaska, la petite chatte d’Audrey vient de sortir de sa sieste et se love contre sa maîtresse sur le canapé. L'heure pour nous de prendre congés. Au même moment, Alexandre, son fiancé, vient de passer la porte. S’il ne gravite pas dans le monde de l’influence littéraire mais dans celui un peu moins funky du notariat, Alexandre est un solide maillon de sa chaîne. « Je l’aide à filmer et parfois à faire les tâches un peu chiantes comme l’administratif », pointe-t-il en riant. Comme Audrey, il adore lire. « Je l’ai draguée en lui faisant croire que j’avais lu un de ses livres préférés, L’écume des jours, de Boris Vian, depuis c’est une blague entre nous », raconte t-il. Alexandre a encore le temps de se rattraper : Audrey nous l’assure, l’exemplaire doit encore traîner dans sa précieuse bibliothèque.

Partager
Articles liés
anzin greves

Anzin, février 1884 : Zola va au charbon

Bientôt adapté sous la forme d’une mini-série pour France 2 après l’avoir été au cinéma par Claude Berri en 1993, Germinal n’est pas né que de l’imagination d’Émile Zola. L’écrivain s’est en effet fortement inspiré du combat de mineurs nordistes...

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.