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Quitter la nuit - © Haut et court

“Quitter la nuit”, “Rosalie”, “Madame Hofmann”, “Sans cœur” : les sor­ties ciné de la semaine

Un premier film belge qui explore l’après-coup d’un viol, un long-métrage français qui raconte l’émancipation d’une femme à barbe en 1870, un documentaire haletant qui dresse le portrait d’une infirmière marseillaise en plein Covid, un récit d’apprentissage queer en forme de vacances buissonnières au Brésil : voici les sorties ciné du 10 avril.

Quitter la nuit

Âpre est la nuit, parfois. Celle que nous raconte Delphine Girard démarre sur un coup de fil : une femme en danger appelle la police. Nous voilà projeté·es, alors, dans l’habitacle d’une voiture qui file dans la nuit noire, sur une route déserte. On entraperçoit à peine le visage fermé, crispé, du conducteur, et guère plus celui de la femme à ses côtés, qui prétend être au téléphone avec sa sœur. Sa voix faussement anodine et enjouée crépite de tension, de crainte et même de terreur en réalité. À l’autre bout du téléphone, l’opératrice du service d’urgence de la police comprend rapidement, à demi-mot, sa détresse. Grâce aux indices disséminés tout au long de cette conversation vacillante, la voiture finira par être stoppée et l’homme arrêté.

C’est la fin de cette nuit affolante, mais c’est aussi le début d’un récit déconcertant, voire déstabilisant, très marquant. Aussitôt interrogée par la police, Ali, la jeune femme au téléphone, raconte ainsi, courageusement, comment Dary, le conducteur, l’a violée au sortir d’une boîte de nuit. Puis elle rentre chez elle et c’est alors que Quitter la nuit s’éloigne des codes du thriller pour nous immerger dans un récit plus complexe et peut-être plus intrigant encore. De fait, si Dary se retranche dans un déni classique, Ali, elle, n’adopte pas exactement le comportement “attendu” d’une victime. De retour chez elle, elle prend une douche et refuse d’obtempérer quand on lui impose des examens médicaux au lendemain de son agression. Par ailleurs, elle ne se rend pas au procès de son violeur, deux ans après les faits. Autant de résistances qui permettent à Delphine Girard, réalisatrice et autrice, d’interroger les failles d’un système judiciaire peu ou prou dépassé sinon inadapté. Pourquoi, par exemple, le bon déroulement de l’enquête, puis du procès, devrait-il entièrement reposer sur Ali ?

Entrelaçant façon puzzle le destin de ses trois protagonistes – Anna, la policière, revient un peu plus tard dans le récit –, la cinéaste privilégie à raison une écriture minutieuse et un filmage dépouillé, scrutant lentement, au plus près, l’impact de cette histoire sur chacun·e. On a d’autant plus de mal à s’en détacher qu’il et elles sont interprété·es en finesse par Guillaume Duhesme (Dary), Veerle Baetens (Anna) et surtout Selma Alaoui (Ali), captivante de force fragile. Ultime raison de plonger dans ce premier long-métrage belge (qui est l’extension d’un court-métrage, Une sœur, nommé à l’Oscar en 2018) : il parie sur la sororité pour mieux se reconstruire…

Quitter la nuit, de Delphine Girard.

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© Haut et court

Rosalie

C’est un beau film sur la différence et l’acceptation de soi. C’est aussi, surtout, un film qui interroge la féminité et l’image que l’on s’en fait. Même situé dans la campagne française de 1870, il parlera à toutes et à tous, tant ses thèmes moteurs dialoguent avec notre époque. Cela d’autant plus qu’il est porté par Nadia Tereszkiewicz, lumineuse à souhait dans le rôle-titre.

Huit ans après La Danseuse, son premier long-métrage, Stéphanie Di Giusto s’intéresse de nouveau à une figure féminine célèbre quoique méconnue, puisque Rosalie s’inspire –librement – de l’histoire de Clémentine Delait, une tenancière de bar atteinte d’hirsutisme qui fit le choix, à 36 ans, en 1901, de ne plus raser sa barbe dans un geste féministe qui ne disait pas encore son nom. Décalant son récit juste après la guerre de 1870, la cinéaste française ne cherche pas le réalisme grand spectacle à tout crin, fort heureusement, quand bien même le duvet épais qui recouvre le visage et le corps de sa Rosalie jolie, jeune épousée d’un soldat fourbu, blessé, reconverti en tenancier de café endetté, semble bien réel. Plus que les poils, ce sont les sentiments qui l’intéressent, raison pour laquelle son récit, faussement classique, nous happe sans tarder.

Chahutant les codes et les genres, à tout point de vue, elle nous donne même à suivre deux récits intenses pour le prix d’un… D’abord le parcours d’émancipation d’une héroïne timide, puis frondeuse et de plus en plus courageuse, arborant sa barbe en plein jour et voulant être aimée telle quelle, au grand dam de quelques villageois et notables haineux qui ne veulent la voir que comme un monstre. Trop forte, trop puissante, trop moderne pour son époque, direz-vous ? Pas sûre qu’elle serait mieux acceptée aujourd’hui ! Et ensuite une histoire d’amour très touchante entre ladite Rosalie, épouse vibrante de sensualité et de vie, et Abel, son mari plus âgé, partagé entre désir, dégoût et compassion (magnifiquement incarné par Benoît Magimel). Un portrait jamais barbant, c’est dit !

Rosalie, de Stéphanie Di Giusto.

Rosalie Copyright Marie Camille Orlando 2023 TRESOR FILMS GAUMONT LDRPII ARTEMIS PRODUCTIONS
© Marie-Camille Orlando - 2023 TRESOR FILMS - GAUMONT - LDRPII - ARTÉMIS PRODUCTIONS--

Madame Hofmann

On aime tellement les documentaires bienveillants, humains, hyper sensibles et justement engagés de Sébastien Lifshitz (Les Invisibles, Bambi, Petite fFlle) que l’on n’est pas surpris·e de le voir filmer une femme en lutte dans un hôpital aujourd’hui. Enfin… hier, puisque Madame Hofmann saisit son héroïne, Sylvie Hofmann, cadre infirmière depuis quarante ans à l’hôpital Nord de Marseille, au plus fort de l’épidémie du Covid en 2020.

Une battante, qu’il a accompagnée et filmée une année durant, toujours à courir et sourire entre ses patients, son service (d’oncologie et de soins palliatifs), sa mère, sa fille, son compagnon. Une passionnée qui ne compte ni ses heures ni ses agacements, jonglant avec un manque de personnel et de moyens toujours plus criant et navrant. Une plus-que-dévouée, jusqu’au jour où elle se laisse convaincre par sa mère et son otorhino qu’il va peut-être falloir qu’elle pense à elle (elle n’entend plus très bien, d’un coup d’un seul et vit sous la menace d’une maladie héréditaire), voire qu’elle envisage de prendre sa retraite…  

“L’Année de tous les dangers”, sinon de toutes les bascules, tel aurait pu être le titre de ce documentaire haletant (“Le temps passe vite, si vite”, n’arrête-t-elle pas de dire) si Sébastien Lifshitz avait voulu jouer la carte du drame ou du spectaculaire. Sauf que rien de tel ici : à la fois chaleureux et droit, délicat et puissant, intime et politique (le constat sur l’abandon de l’hôpital public est sans appel, la preuve par l’image), Madame Hofmann dresse simplement, avec force intelligence, le juste portrait d’une héroïne ordinaire. Respect !

Madame Hofmann, de Sébastien Lifshitz.

©Ad VitamMadame Hoffman
©Ad Vitam

Sans cœur

Une semaine de cinéma sans un récit d’apprentissage adolescent ? Impossible, tant ce genre a les faveurs des cinéastes du monde entier ! Celui-là nous vient du Brésil et nous projette en 1996 dans un village de pêcheurs du Nordeste. Là où Tamara profite de ses derniers jours de vacances avant de partir à Brasilia pour ses études, quittant alors sa famille, ses copains, son bord de mer. Là, aussi, où elle va entendre parler d’une drôle de fille dénommée “Sans cœur”, à cause de la balafre qui traverse sa poitrine, avant de se sentir irrésistiblement attirée par elle…. Sans cœur conjugue ainsi deux premières fois : celle du tandem formé par Nara Normande et Tião, qui signe là un premier long-métrage très prometteur, et celle de son héroïne, qui se découvre queer à un moment charnière de sa jeune vie. Démarrant par de superbes prises de vue sous-marines, qui semblent nous immerger dans un conte onirique, son récit flâneur, incertain, épouse de fait le flux et reflux des eaux turquoise qui clapotent alentour. Très doux, même si le danger n’est jamais loin. Très frais, sous le soleil exactement. Un peu languissant et pourtant magnétique. Pour finir, Sans cœur charme, berce et ravage tout à la fois… comme un coup de cœur !

Sans cœur, de Nara Normande et Tião.

Les Valseurs Sans Coeur 3
© Les Valseurs

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