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De gauche à droite © Pan Distribution, © Gaumont Distribution, © Haut et Court et © Arizona Distribution

Les Filles vont bien, Le Temps d’aimer, Perfect Days, Augure… Les sor­ties ciné de la semaine

Une épopée intime et atypique dans la France des années 1950, une déambulation zen et poétique à Tokyo, un conte troublant et magnétique en République démocratique du Congo, une chronique solaire et ludique en Espagne… Voici les sorties ciné du 29 novembre.

Les Filles vont bien

Un premier long-métrage solaire, gracieux, malin et subtilement mélancolique pour commencer. Écrit et réalisé par la comédienne espagnole Itsaso Arana, Les filles vont bien déploie son intrigue autour d’un groupe d’actrices qui, le temps de quelques jours en été, se réunissent dans une maison à la campagne pour répéter une pièce de théâtre. À l’abri de la chaleur et isolées de tout. 

On pourrait presque croire à du Rohmer au départ, façon Conte d’été à la sauce ibérique, sauf que non : c’est à la fois plus fragile dans l’écriture et plus joueur dans le dispositif. Au cœur de ce récit se niche en effet une mise en abyme : ladite pièce a été écrite par Itsaso Arana, et chaque protagoniste du film porte les nom et prénom de l’actrice qui l’interprète. 

Vertige de l’humour : une aura ludique enveloppe d’emblée nos héroïnes tandis qu’elles s’amusent à essayer leurs costumes, froufroutant en diable, et répètent leur texte, passant d’une pièce à l’autre. Vertige du flou : elles-mêmes ne savent plus très bien faire la différence, peu à peu, entre ce qu’elles jouent, ce qu’elles ressentent et ce qu’elles ont vécu (fragments de confession face caméra à l’appui). 

Pas de panique, il ne s’agit pas, pour autant, d’une réflexion abyssale, encore moins pontifiante, sur le métier de comédienne. Ce qui rend attachant Les filles vont bien, c’est son absence de prétention. Quand bien même ses nombreux dialogues (les filles sont tchatcheuses !) abordent de grands sujets, tels l’amitié, l’amour, la mort, la maternité ou la solitude, le ton reste léger et charmant, même quand la mélancolie s’invite subrepticement. Dédié à la circulation de la parole et à l’échange, le premier film d’Itsaso Arana est donc avant tout un film de troupe, qui croit aux vertus du théâtre… et de l’été. 

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Les Filles vont bien, d’Itsaso Arana. 

Le Temps d’aimer

Katell Quillévéré est une cinéaste discrète quoique remarquable. Ses films lui ressemblent, qui, chaque fois, marient avec talent classicisme et modernité. Ainsi Le Temps d’aimer, son
quatrième long-métrage (après Un poison violent, Suzanne et Réparer les vivants)… Bien que nous projetant, au départ, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, soit près de quatre-vingts ans en arrière, il questionne nombre de thèmes contemporains, du déterminisme social à la bisexualité. L’intérêt est d’autant plus grand que ce récit de 125 minutes, qui s’inspire de l’histoire de la grand-mère de la réalisatrice, adopte une forme romanesque captivante…

Jugez plutôt : Le Temps d’aimer articule son bel élan autour de deux proscrits, également discrets mais remarquables, qui vont avoir la force de mêler leurs destins pour mieux se réinventer. Ensemble. Nous sommes en 1947, Madeleine (Anaïs Demoustier, tour à tour vibrante et déterminée) fait partie de ces femmes qui ont été tondues à la Libération parce qu’elles ont eu une liaison avec un soldat allemand. Devenue mère célibataire, on la retrouve serveuse dans un hôtel-restaurant en bord de mer, en Normandie. C’est là qu’elle rencontre François (Vincent Lacoste, d’une fragilité inhabituelle, très touchante), un étudiant solitaire, légèrement claudicant, issu d’une famille riche, assez insaisissable pour tout dire. Comme s’il fuyait, lui aussi, quelque chose d’indicible. Ils se reconnaissent mutuellement, sans même avoir besoin de se parler, puis choisissent de s’unir, construisant alors un lien indestructible entre eux, bien que le secret de François finisse par les rattraper… 

On ne sait ce qui émeut et emporte le plus ici. La solidarité complexe, formidable, qui unit Madeleine et François, ces êtres à part qui vont s’aimer d’une manière atypique. Par-delà les blessures, les tabous et les aléas de la vie. à travers eux, le film propose une réflexion passionnante sur la notion de couple, ce drôle de pacte utopique. Ou… la façon dont Katell Quillévéré met en scène cette histoire au long cours, oscillant entre séquences frontales (le film démarre sur des images d’archives éprouvantes, en noir et blanc, de femmes tondues) et ellipses magnifiques. Quoi qu’il en soit, on se laisse prendre et surprendre par le souffle syncopé, unique, de cette épopée intime. 

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Le Temps d’aimer, de Katell Quillévéré.

Perfect Days

Dépaysement garanti avec le nouveau film de Wim Wenders ! Le réalisateur allemand, globe-trotteur depuis toujours, nous propose en effet de suivre les déambulations quotidiennes de Hirayama, l’homme chargé de nettoyer les toilettes publiques de Tokyo (précisément du quartier de Shibuya). Trivial, voire peu ragoûtant ? Bien au contraire : cette nouvelle balade irradie de poésie et de beauté tranquille, mais si !

Sans doute, l’impression de douceur émane-t-elle, en premier lieu, du personnage (fictif) de Hirayama, esthète dans l’âme qui aime les livres, les arbres et les pop songs (sa playlist, qu’il active dès qu’il pénètre dans sa fourgonnette, est un pur bonheur en soi). Bien sûr, sa vie structurée, très routinière (il ne s’y passe pas grand-chose), cache quelques douleurs, nichées dans un passé refoulé ; mais son sourire narquois et sa bienveillance inébranlable emportent immédiatement l’adhésion. Pas un instant, la répétition de ses gestes ne lasse. Pas un instant, la simplicité revendiquée de sa vie n’agace. 

Le charme irrésistible de son interprète, Koji Yakusho, merveilleux acteur, y est évidemment pour beaucoup. La beauté inattendue des lieux clés du film itou. Car si Perfect Days (titre qui s’inspire de Perfect Day, l’une des chansons les plus connues de Lou Reed) rayonne, c’est aussi grâce à l’architecture stylée, étonnante car formidable de couleurs et de créativité, des lieux d’aisance qui jalonnent le parcours quotidien de Hirayama. Pour être claire, on est très loin des pissotières publiques françaises ! C’est dire si cette excursion improbable, aussi zen que touchante, fait du bien…

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Perfect Days, de Wim Wenders.

Augure

Ce premier film signé Beloji, artiste belgo-congolais protéiforme, relève de l’expérience, aussi bien visuelle que sensorielle. Au pire, il vous intriguera, puisqu’il ne ressemble à rien de connu ; au mieux, il vous embarquera dans son monde tissé de couleurs, de musiques, de mystères et de superstitions et vous sidérera. À la façon d’un conte, ou d’un sortilège.

Ce qui est sûr, c’est que Baloji, dont le nom signifie à la fois “homme de sciences” et “sorcier” en swahili, ne goûte guère aux vertus du réalisme. Certes, son récit semble démarrer simplement, avec Koffi, son protagoniste, qui s’en retourne en République démocratique du Congo après quinze ans d’absence, afin de présenter sa femme, belge et enceinte de jumeaux, à sa famille. Jusque là, tout va bien, hormis un premier plan étonnant qui ressemble à un rêve (ou un avertissement). Bientôt, pourtant, un sentiment de malaise, voire d’inquiétante étrangeté, s’immisce dans chaque séquence, rendant l’intrigue de plus en plus imprévisible. Dans la chaleur étouffante d’une Afrique des plus mystiques, on comprend alors que Koffi est considéré comme un sorcier par les sien·nes et qu’il n’est pas le bienvenu (ni sa blanche épouse). Heureusement, il rencontrera trois autres personnages, trois marginaux·ales qui, comme lui, cherchent à s’affranchir du poids des croyances et des assignations.

Foisonnant et hybride (on passe sans ambages de la comédie au film fantastique), Augure n’est, fort heureusement, pas uniquement traversé de visions, d’esprits et de rites spectaculaires. Plus ou moins opaques, quoique d’une puissance visuelle inouïe. En dressant les portraits complexes, entremêlés, intrigants de ses quatre parias, qui tous et toutes, pour des raisons diverses, ont refusé le modèle dominant, Baloji questionne également avec beaucoup de finesse des thèmes qui, pour le coup, parlent à tout le monde. A savoir la place des femmes, le viol, le poids du patriarcat et/ou la transmission. C’est dire si son cinéma est envoûtant… et pertinent.

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Augure, de Baloji.

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