#Femmes2022 : lutte contre les vio­lences faites aux femmes, que pré­voient les can­di­dates et candidats ?

Premier épisode d'une série de chroniques de l'association féministe Politiqu'elles publiées sur Causette.fr, qui, toutes les deux semaines, décrypteront les programmes des candidat·es à l'élection présidentielle en matière de droits des femmes. Aujourd'hui, focus sur la lutte contre les violences sexistes, sexuelles et conjugales.

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Depuis plusieurs années, des collectifs féministes établissent un recensement des femmes tuées en France par leur compagnon ou ex-compagnon : on dénombrait 118 féminicides en 2015, 109 en 2016, 130 en 2017, 121 en 2018, 146 en 2019, 102 en 2020, 113 en 2022 et 13 déjà aujourd’hui au ce début de mois de février 2022 d’après le collectif #NousToutes. Ce décompte insupportable a permis de faire prendre conscience  du caractère massif et systémique de ces meurtres. La constance des féminicides appelle également les pouvoirs publics à prendre des mesures fortes et intensifier la lutte contre le continuum des violences faites aux femmes, dont le féminicide représente le degré le plus tragique. Dans une tribune publiée ce weekend pour un « Plan d’urgence pour l’égalité » , 7 dirigeantes féministes demandent par exemple la création d’une coordination nationale de lutte contre les violences faites aux femmes et 1 milliard contre les violences conjugales, tel que recommandé par le Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes. A 73 jours du premier tour de l’élection présidentielle, nous nous penchons sur les propositions formulées par les prétendants et prétendantes à l’Elysée.

Pas encore de programme pour Emmanuel Macron et un bilan en demi-teinte

Commençons par le candidat non déclaré à sa succession, Emmanuel Macron. En 2017, le Président de la République déclarait faire de l’égalité femmes-hommes la “grande cause du quinquennat”, c’est-à-dire faire de la lutte pour l’intégrité des femmes contre tous types de violences sexistes ou sexuelles une priorité. Des avancées significatives ont eu lieu sous le mandat d’Emmanuel Macron en particulier concernant l’arsenal législatif avec par exemple la loi renforçant l'action contre les violences sexistes et sexuelles adoptée en 2018  ou la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales entrée en vigueur en 2020. La mise en place du numéro d’urgence 3919 et des bracelets anti-rapprochement peuvent également être mentionnés. Néanmoins, le bilan global est assombri par d’importants manques mis en lumière par les associations féministes en termes de moyens alloués, d’effectivité du cadre et  de la prévention. Par ailleurs, la mise en cause de ministres en exercice dans des affaires de violences sexuelles ont envoyé des signaux négatifs sur la priorisation du sujet dans l’agenda du gouvernement (le parquet de Paris a requis un non-lieu dans le cadre de l'enquête sur des accusations de viols visant l'actuel ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin). Le programme du (bientôt) futur candidat Emmanuel Macron n’est pas encore disponible et pourrait formuler des propositions répondant à certains manques des dispositifs actuels.

Que prévoient les principaux candidats et candidates déclarés ?

De façon générale, dans une société post #Metoo, presque l’ensemble des candidats déclarés se sont exprimés sur les violences faites aux femmes. Néanmoins, le niveau de détail et d’ambition varient fortement en fonction des candidats avec l’apparition d’un clivage gauche, droite et extrême droite assez marqué à l’heure actuelle. Les candidats en dessous des 1% d’intentions de vote ne sont pas traités dans cet article.

Le milliard contre les violences faites aux femmes fait consensus à gauche

Les candidates et candidats à la succession d’Emmanuel Macron reprennent à leur compte les critiques des associations féministes et experts sur le manque de moyens attribués à la lutte contre les violences sexistes. Ainsi, à gauche, les candidats proposent de suivre l’exemple espagnol, en allouant 1 milliard d’euros à la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est le cas de la plupart des candidats de la gauche puisque cette proposition est formulée par Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Yannick Jadot ,Anne Hidalgo ainsi que de la candidate nouvellement déclarée Christiane Taubira. Le candidat insoumis prévoit également de mettre en œuvre, dès 2022, un plan d’urgence de lutte contre les féminicides dont le financement représente le premier levier. C’est une mesure que nous pouvons qualifier d’ambitieuse. Rappelons que le Haut Conseil à l’égalité préconisait en 2018 une enveloppe d’1 milliard d’euros pour mettre fin aux violences conjugales et non pour la lutte contre l’ensemble des violences sexistes et sexuelles.

Les propositions en matière de prise en charge

Par ailleurs, la question de la prise en charge des victimes de violences conjugales et sexuelles est l’une des plus développées dans les programmes et déclarations analysées.

Concernant l’accueil des victimes, le candidat Fabien Roussel propose de créer, dans chaque département, des centres psycho-traumatiques avec un accueil médico-judiciaire. Cette proposition de centre d’accueil départemental est également préconisée par Jean-Luc Mélenchon. Anne Hidalgo et Yannick Jadot penchent plutôt, quant à eux, pour des solutions au sein-même des commissariats : la présence d’assistants et assistantes sociales pour la première, la création de lieux d’accueil dédiés au sein des commissariats pour le deuxième. Ces candidats mettent également l’accent sur la nécessité de former le personnel policier et judiciaire, reprenant ainsi une mesure plébiscitée de longue date par les associations. Cette formation viendrait renforcer la formation initiale pour les gendarmes et les policiers mise en place sous le quinquennat d’Emmanuel Macron (respectivement dix et douze heures de formation initiale, puis une possibilité de poursuivre lors de la formation continue). La formation de ces corps de métiers est en effet une condition sine qua none d’une lutte efficace contre les violences faites aux femmes. La formation à l’accueil de la parole est essentielle pour qu’aucune plainte ne soit refusée.

Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel et Anne Hidalgo veulent mettre en place un accompagnement psychologique, mais le candidat communiste va plus loin en annonçant une prise en charge gratuite et immédiate des soins psycho-traumatiques par la Sécurité Sociale. Anne Hidalgo préconise la mise en place d’un référent unique pour accompagner la victime dans toutes ses démarches, dès le premier signalement, sur le modèle britannique. Du point de vue de l’accompagnement judiciaire, c’est Yannick Jadot qui offre la possibilité de mettre à disposition une aide juridictionnelle adaptée au dépôt de plainte ainsi que des mesures préventives avec le déploiement d’outils d’éloignement et de signalement et une amélioration des plateformes d’écoute. Le candidat Jean-Luc Mélenchon souligne l’importance de s’appuyer sur des associations afin d’accompagner les victimes le plus rapidement possible et la candidate socialiste Anne Hidalgo souhaite également renforcer le rôle des associations.

Une fois que les victimes ont déposé plainte, il faut les éloigner des partenaires dangereux, ce qui rend la question du logement primordiale. C’est en ce sens que le candidat Fabien Roussel propose la création, dans chaque département, d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale, qui serait couplé au centre d’accueil départemental. La candidate socialiste, quant à elle, souhaite donner une priorité aux femmes dans le parc de logements sociaux et Yannick Jadot, tripler le nombre de places pour les femmes dans les centres d’hébergement d’urgence. La candidate Valérie Pécresse souhaite également que les femmes victimes de violences aient des places prioritaires dans le logement social. On peut noter que sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, plus de 2 700 places en hébergement destinées aux femmes victimes de violences ont été créées et que le gouvernement a récemment indiqué sa volonté d’en créer 1 000 supplémentaires. Parmi les différentes propositions des candidats, on peut souligner que seul Jean-Luc Mélenchon émet des propositions concernant des hébergements plus pérennes que les hébergements d’urgence, qui sont également indispensables pour les femmes victimes de violence et les éventuels enfants.

Sanction et répression des violences sexistes et sexuelles

Sur le plan judiciaire, en plus de la formation des magistrats mise en avant par Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot (en sus des neuf heures de formation dans le cursus initial des magistrats depuis 2019), le candidat écologiste mise sur la création de tribunaux et de brigades spécialisés ainsi que l’instauration de la possibilité de déposer plainte dans les établissements de santé (et de former les personnels de santé à ces enjeux). Le candidat Jadot est également l’un des seuls à s’être exprimé sur une volonté de réforme du Code civil ainsi que de l’arsenal pénal pour que le viol soit caractérisé par l’absence de consentement de la victime. La candidate de droite Valérie Pécresse préconise également la création d’une justice spécialisée, et insiste particulièrement sur la réduction des délais : elle souhaiterait ainsi que les violences intrafamiliales, et en particulier conjugales, soient instruites en 72h et jugées en 15 jours. Finalement, le candidat Roussel propose que les crimes sexistes et sexuels relèvent d’une cour d’assises et non plus d’un tribunal correctionnel. La candidate Anne Hidalgo préconise également la création d’unités de police et de magistrats spécialisés, avec un parquet spécifique et souhaite la fin de la correctionnalisation des viols. La mise en place de tribunaux spécialisés, sur le modèle espagnol, est une proposition également relayée par plusieurs associations.

Marine Le Pen n’a pas encore dévoilé de proposition concernant la lutte contre les violences faites aux femmes. Elle a toutefois d’ores et déjà pris la parole à plusieurs reprises pour défendre la sécurité des femmes ainsi que l’importance de protéger les femmes face au harcèlement de rue à connotation sexuelle, qu’elle souhaiterait rendre passible de prison.

Le candidat Eric Zemmour n’a, à ce jour, proposé aucune mesure de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Rappelons à ce propos que des accusations pour violences sexuelles ont été exprimées à l’encontre du candidat.

Les mesures de prévention encore peu développées par les candidats

Il s’agit du volet le moins développé à l’heure actuelle dans les programmes des candidats en matière de lutte contre les violences. En matière de prévention, le candidat Jean-Luc Mélenchon prévoit notamment de faire appliquer les cours d'éducation sexuelle, allant plus loin que la loi mise en place. Pour Yannick Jadot, la lutte contre les féminicides et les violences conjugales est indissociable de la lutte pour l’égalité réelle et contre la "culture du viol".  La candidate Anne Hidalgo préconise la mise en place d’éducation au consentement dispensée par des professionnels et une mise à l’échelle des dispositifs de bracelets électroniques et anti-rapprochement. Enfin, la candidate Valérie Pécresse propose de lancer des campagnes de sensibilisation dès le plus jeune âge de type “Tu m’aimes, tu me respectes”.

Ce qu’il manque et notre conclusion à ce stade

Certains sujets semblent être des impensés de la lutte contre les violences en particulier sur le volet prévention. La grande absente du débat est la prise en charge des auteurs de violences, pourtant essentielle pour lutter sur le long terme contre les violences conjugales et pour éviter les récidives. On peut en ce sens notamment penser à la proposition de la FNACAV de créer et de développer des structures d’intervention en direction des auteurs de violences conjugales et familiales.

Concernant les violences en ligne, la lutte contre les nouvelles formes de proxénétisme en ligne dans le cadre de la protection des mineurs est absente de tous les programmes. La dimension genrée du cyberharcèlement est également trop peu prise en compte, bien que les candidats socialiste et écologiste prévoient de lutter contre les messages sexistes en ligne. La lutte contre les violences faites aux femmes doit intégrer tous les espaces où les femmes peuvent être victimes, notamment l’espace en ligne et il est urgent d’améliorer la lutte contre les violences en ligne en responsabilisant les plateformes et réseaux sociaux et en œuvrant à l’effectivité des sanctions existantes.

Ainsi,  on note une place croissante de sujet de la lutte contre les violences faites aux femmes dans les programmes, avec des propositions complètes et pluridisciplinaires, tendance que l’on notait déjà en 2017. L’accent mis sur la collaboration avec les associations féministes semblent également une réelle avancée par rapport à la campagne de 2017. Néanmoins, des manques persistent en termes de moyens, prévention et de lutte contre les récidives dans la plupart des programmes. L’association Politiqu’elles appelle ainsi les candidates et candidats à considérer davantage le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles et à formuler des réponses précises, chiffrées et à la hauteur du défi que représente leur éradication.


Cet article a été réalisé par l’association transpartisane Politiqu’elles dans le cadre du cycle de chroniques « Femmes 2022 » en partenariat avec Causette. L’association s’appuie sur l’analyse des programmes et déclarations des candidates et candidats ainsi que sur des auditions des responsables thématiques au sein des différentes de campagnes.  L’équipe projet est pilotée par le binôme Sandrine Elmi Hersi et Agathe Hervey.

La présidente-fondatrice de l’association Fatima El Ouasdi, également élue LREM locale, n’a pas souhaité prendre part au projet compte tenu de ses engagements politiques actuels, afin de garantir la neutralité politique de l’analyse.

Dans un souci de transparence les membres de l’équipe du projet ont également tenu à partager leurs précédentes activités en lieu avec la politique. Agathe Hervey a été collaboratrice parlementaire d'Erwan Balanant (MODEM) jusqu'au 11 février. Sandrine Elmi Hersi a été collaboratrice de la députée Paula Forteza en 2020, ainsi que candidate lors des dernières municipales sur la liste Nouveau Paris (portée par Cédric Villani). Mathilde Lebon, également membre du projet, a participé aux primaires du parti réunionnais Banian en 2021.

Un premier rapport, “Femmes 2017”, avait été publié par l’association lors de la précédente campagne présidentielle. Plus d’infos : [email protected]

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