Dauphins échoués : et si 2020 était l’année du changement ?

Cet été, pas une semaine sans que les journaux de la côte Atlantique recensent l’échouage d’un dauphin sur nos plages. Tandis que l’association Sea Shepherd prédit l’année de tous les records en termes de mortalité de ces cétacés due à l’activité de l’homme, l’État français, mis face à ses manquements, commence à prendre la mesure du problème.

Dauphin
Un dauphin échoué sur la plage de Pors Carn en Bretagne, début août © Sea Shepherd

Le 8 août 2020, un dauphin s’échoue sur la plage de Bréville-sur-Mer, près de Granville, dans la Manche. En attendant que son cadavre soit débarrassé, les plaisanciers recouvrent son corps « d’un peu de sable, notamment sur sa plaie », racontent-ils à Ouest France. Car l’animal, comme tant d’autres apportés par les flots sur les rivages de la côte Atlantique, a « une plaie au flanc et la queue attachée par une corde ». Signe que, comme mille cent cétacés échoués à l’ouest du pays en 2019, sa mort est due à la pêche. 

L’année 2020 devrait être largement pire : entre le 1er janvier et la mi-février, six cents cétacés échoués avaient déjà été recensés par Pelagis, un observatoire scientifique sur la conservation des mammifères et des oiseaux marins. Mais ce décompte macabre n’est « que la face immergée de l’iceberg », alarme Lamya Essemlali, interviewée par Causette. La présidente de l’association Sea Shepherd France, qui milite pour la protection des cétacés, explique que selon Pelagis, « en moyenne, seuls 18 % des dauphins tués par l’activité humaine échoueraient sur les plages, quand 82 % resteraient dans l’océan à cause des courants marins ». Ce qui donne cette estimation vertigineuse : en 2019, c’est 11 300 cétacés qui auraient été tués par la pêche dans l’océan atlantique.

“Apparemment, la viande de dauphin ferait de très bons steaks”

Lamya Essemlali, présidente de Sea Sepherd France

Le constat est celui d’une concurrence déloyale. En pêchant dans les zones où les dauphins viennent se nourrir de poissons, les petits navires autant que les chalutiers les attrapent dans leurs filets. La consommation de leur viande étant strictement interdite en France, ces espèces étant protégées, les pêcheurs coupent généralement leurs queues prises dans les mailles pour les remettre à l’eau blessés et sans chance de survie. « Nous le savons depuis trente ans, mais cette catastrophe est jusqu’à présent passée sous les radars médiatiques, observe Lamya Essemlali. L’ampleur du phénomène fait qu’on commence à en parler aujourd’hui. » Parfois, les dauphins sont retrouvés non pas avec la queue coupée mais le dos dépecé. Sea Shepherd, qui fait circuler les photos sur ses réseaux sociaux très actifs, dénonce un « marché noir de la viande de dauphin par le bouche-à-oreille ». « Apparemment, cela ferait de très bons steaks, ironise Lamya Essemlali. Nous avons recueilli plusieurs témoignages de pêcheurs, à qui il faut garantir un strict anonymat parce qu’ils ont peur des représailles. Ils viennent de départements différents, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’une pratique isolée mais d’un savoir-faire traditionnel encore en vigueur. »

2 juillet : la France condamnée deux fois

Si la situation est donc critique, un sursaut collectif en faveur de ces bêtes se dessine. Grâce à l’action des lobbies environnementaux au premier rang desquels Sea Shepherd, le politique comme le judiciaire commencent à s’emparer sérieusement de l’affaire. Coup sur coup, et le même jour, le 2 juillet 2020, la Commission européenne mettait en demeure la France pour manquement à la protection des dauphins, tandis que le tribunal administratif de Paris condamnait notre pays pour les mêmes raisons. 

L’action judiciaire avait été menée par Sea Shepherd. Le tribunal lui a donné raison, en condamnant l’État français pour « méconnaissance de ses obligations en matière de protection des mammifères marins et de contrôle des activités de pêche ». Le jugement s’est appuyé sur les obligations de l’État, dans le cadre de la législature européenne « Natura 2000 », ainsi que sur le code de l’environnement français, qui imposent la « surveillance des navires et des pratiques de pêche commerciale non sélective ». Pour le tribunal, les mesures mises en place par Paris – telles que les dispositifs d’éloignement acoustiques placés sur les bateaux – « restent insuffisantes ». 

Fermetures “spatiotemporelles”

Pour Sea Shepherd – qui a reçu une indemnité de 6 000 euros de la part de l’État pour préjudice moral –, il s’agit d’une étape importante dans la lutte pour protéger les dauphins. Mais l’association sait que le chemin est encore long. « Les lobbies de la pêche en France sont très puissants et ont l’oreille de la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA) rattachée au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, estime Lamya Essemlali. Dans les semaines qui viennent, ce ministère va devoir statuer sur les recommandations de l’Union européenne dans le cadre de sa mise en demeure de l’État français. La DPAM fait des pieds et des mains pour que le ministère n’applique pas toutes les préconisations de l’Europe. » Ces préconisations européennes s’articulent sur deux axes principaux : d’une part, l’installation de caméras sur les bateaux de plus de 15 mètres, de façon à aider les bateaux à éviter les dauphins en lançant leurs filets. D’autre part, des fermetures « spatiotemporelles » de pêche ciblées. 

Si la DPAM est restée injoignable, la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, Bérangère Abba, a bien voulu répondre à nos questions sur le sujet. En ce qui concerne les caméras – que Sea Shepherd voudrait faire installer également sur les petits bateaux –, elle « souhaite que ces dispositifs soient adaptés aux particularités des zones de pêche et de chaque saison, et que ce travail soit conduit en pleine concertation avec les professionnels ». Comprenez que l’idée du gouvernement n’est apparemment pas de systématiser lesdites caméras, Bérangère Abba précisant par la suite une expérimentation « basée sur le volontariat » sur les petits bateaux. Sur les fermetures spatiotemporelles, la secrétaire d’État se montre plus proactive et veut que « la mesure porte sur tout le golfe de Gascogne », endroit le plus durement touché par les échouages. Et de préciser : « [Nous sommes] encore en discussion avec les autres pays et la Commission européenne. Car pour être efficace, la mesure devra s’appliquer à l’ensemble des navires pêchant sur zone. » 

“À travers les dauphins, ce sont les océans qui nous disent qu’ils vont mal”

Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité

D’une manière générale, Bérangère Abba se dit « très préoccupée par la situation, les cétacés étant des maillons essentiels à la vie dans le milieu marin. À travers les dauphins, ce sont les océans qui nous disent qu’ils vont mal. Ces cétacés sont témoins des grands bouleversements que connaissent nos océans, ajoute la secrétaire d’État, avec notamment le réchauffement climatique et la pollution plastique ». À ce sujet, le constat est là encore implacable : selon la FAO, l’organe des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation, l’immense majorité des déchets plastiques des océans sont issus de la pêche. 

Il y a un autre point d’accrochage entre le gouvernement et Sea Shepherd : les fameux « pingers », à savoir les dispositifs d’éloignement acoustiques des cétacés, placés sur les bateaux. Si la secrétaire d’État à la biodiversité veut en déployer l’usage, Sea Shepherd les considère comme contre-productifs : « On va attaquer en justice ces installations, prévient Lamya Essemlali. Les décibels émis dépassent les taux autorisés et s’apparentent à une forme de harcèlement de ces espèces protégées. » L’association ne lâche rien. Devant la multiplication des échouages estivaux, elle a décidé de repartir en mer dès maintenant pour une mission « Dolphin Bycatch ». « On ne devait pas retourner en mer avant l’hiver, mais là, on mobilise en urgence un bateau en Bretagne, détaille Lamya Essemlali. On va patrouiller pour documenter les captures, maintenir les pressions et l’attention médiatique comme celle du grand public. »

Grand public directement impacté par la lutte pour protéger les cétacés. Bérangère Abba a annoncé à Causette qu’un arrêté allait être pris dans les prochains jours pour « interdire d’approcher les cétacés à moins de 100 mètres dans toutes les aires marines protégées ». Une façon de lutter contre l’observation plaisancière de ces mammifères afin de ne plus « les perturber dans leur environnement ». Entrée en vigueur le 1er janvier 2021. De quoi contribuer à nous questionner sur le reste ?


Faut-il arrêter de manger du poisson pour sauver l’océan ?

Sea Shepherd n’y va pas par quatre chemins : « Quand vous mangez du poisson au restaurant en France, il y a 95 % de chances que vous contribuiez au massacre des dauphins. » Si le chiffre lui appartient, il est clair que consommer du poisson n’améliore pas l’environnement, eu égard à la surexploitation des ressources et à la pollution des océans, par le rejet des hydrocarbures dans l’eau comme par celui des matières plastiques, notamment des filets. « Boire avec une paille en carton au restaurant en mangeant du poisson n’a aucun sens, plaide Lamya Essemlali, présidente de l’association. La solution passe par l’assiette. Si on est cohérent dans sa volonté de protéger la biodiversité marine, on arrête de manger du poisson. » 
Même celui issu de la pisciculture ? Pour Sea Shepherd, cela dépend de ce que mange l’espèce en question, car « il faut généralement 7 kilos de poissons sauvages pour produire 1 kilo de poisson d’élevage carnivore ». Las ! La solution, si le végétalisme vous fiche le bourdon : limiter les dégâts en consommant moins mais mieux. Pêche à la ligne (« l’une des pêches les plus sélectives », admet Lamya Essemlali) et circuits courts restent ici les meilleurs alliés de notre conscience. 

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