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Violaine De Filippis-​Abate, autrice de "Classées sans suite" : "Il faut avant tout créer des juri­dic­tions spécialisées" 

Dans son essai glaçant, Classées sans suite (éditions Payot) qui sort aujourd’hui en librairie, l’avocate Violaine de Filippis-Abate, porte-parole d’Osez le féminisme évoque la situation des femmes victimes de violence, souvent broyées par la justice.

Difficile de l’ignorer, les plaintes pour viols aboutissent à une condamnation dans moins de 1% des cas. Et 7 victimes sur 10 se disent mécontent·es du dépôt de plainte, selon une enquête réalisée par #NousToutes en 2021. Dans son livre édifiant, l’avocate Violaine De Filippis-Abate prend pour exemple une dépêche interministérielle du 31 mai 2021 : celle-ci incitait les parquets à faire du ménage dans les plaintes  ("apurer les stocks de procédures non-traitées"). Pas étonnant, donc, que les femmes victimes de violences voient fréquemment leur dossier recevoir le redouté “classement 21” c’est à dire sans suite, pour insuffisance de preuves. L’autrice rappelle également que porter plainte est un droit, pas un devoir.

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-Causette: Pourquoi avoir voulu écrire cet essai ? 

Violaine De Filippis-Abate : J’écris depuis longtemps mais l’idée de parler des classements sans suite est née de la fatigue et du sentiment de révolte devant tous les dossiers classés des femmes que j’accompagne en tant qu’avocate.

-Vous donnez, dans le livre, plusieurs informations importantes que les victimes connaissent peu : notamment le droit à un·e avocat·e dès le dépôt de plainte.

V.DFA: Souvent, les avocats sont sollicités bien après et les victimes ne sont parfois même pas au courant que le procureur a classé leur dossier. Donc, dès la première étape, qui est le dépôt de plainte, les victimes ne savent pas qu’elles ont le droit d’être assistées et personne ne les en informe. Et quand on les informe, on leur présente cela comme étant “inutile”. Les victimes connaissent aussi mal les conditions tarifaires. Or, il faut savoir que l’aide juridictionnelle (la prise en charge des frais de justice par l’Etat) ne prend pas en charge le dépôt de plainte et c’est un vrai problème. Il faut absolument une prise en charge gratuite dès le stade du dépôt de plainte et sans condition de revenu, c’est à dire, élargir l’aide juridictionnelle.

"La conjugopathie n'existe pas!"

-Une étape cruciale dans le dysfonctionnement du traitement de ces dossiers pour violences faites aux femmes a lieu à l’étape suivante, après la plainte : il s’agit de l’enquête préliminaire. Qu’est ce qui dérape? 

V.DFA: C’est ce que note un rapport de l’IGJ (Inspection générale de la justice) de 2019 sur des victimes de féminicides: quand les victimes (aujourd'hui mortes) avaient porté plainte pour signaler des violences conjugales, dans 8 cas sur 10, les plaintes avaient été classées sans suite. La raison pointée est le manque d’investigation dans les dossiers : c’est à dire qu’il n’y a pas d’audition systématique de l’homme accusé et quasiment jamais d’enquête d’environnement (lorsque la police va auditionner les proches de l’accusé ou de la victime). Il y a un manque de moyens financiers et humains. La faute, à mon sens, à un manque de volonté politique forte pour s’attaquer à toutes les violences faites aux femmes.

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-En quoi les stéréotypes misogynes et l’imaginaire de la culture du viol sont-ils un frein à la justice ? 

V.DFA: Quand les politiques pointent la nécessité de s’attaquer aux violences faites aux femmes, en réalité, ces discours sont imprégnés de fantasmes : en conséquence, toute une partie des agressions ne sont pas considérées comme telles. Il faut voir le vocabulaire et les choix des acteurs judiciaires : une ancienne policière en charge des violences intrafamiliales me racontait qu’un terme très utilisé par le parquet pour classer les affaires était la “conjugopathie”, c’est à dire, une “petite dispute, un petit dérapage”. Or, la conjugopathie n’a aucune existence juridique et légale ! Ce terme sert à justifier les coups comme étant une sorte de maladie du couple.

-Parmi les pistes de travail que vous proposez pour remédier à cette situation, vous proposez, par exemple, de sanctionner les forces de police qui ne respectent pas la loi, ou encore d’investiguer systématiquement avant de classer sans suite. Quelle est, d’après vous, la solution la plus efficace ? 

V.DFA: Il faut avant tout créer des juridictions spécialisées. En Espagne, elles ont permis de réduire les féminicides de 25%. Mais ces juridictions ne concernent pour l’instant que les violences intrafamiliales et certaines associations féministes espagnoles demandent l’élargissement d’une juridiction à toutes les violences faites aux femmes (sexistes, conjugales, sexuelles…). En décembre, Aurélien Pradié (LR) a déposé une proposition de loi allant dans ce sens. (Ndlr: Depuis, le Garde des Sceaux a annoncé la création en mai de pôles spécialisées au sein des tribunaux). Le choix politique fait en matière de violences faites aux femmes, c’est des étapes: or, on n’a plus besoin d’avancer par étapes mais d’aller vite et fort. Il faut créer non pas des pôles mais bien des juridictions spécialisées, où toutes les ressources sont rassemblées dans un même immeuble: ça peut sembler un détail matériel mais ça a un vrai impact sur la prise en charge, on est mieux entouré.e et accompagné.e. 


Classées sans suite, de Violaine De Filippis-Abate, éditions Payot, disponible, 208 p., 18 euros.

Crédit photo: © Elsa Leydier

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