Marinette Pichon : le foot, sa sur­face de réparation

Ancienne attaquante de l’équipe de France, star du foot féminin de la fin des années 1990, Marinette Pichon a su se relever d’un contexte familial toxique et violent pour devenir une pionnière de son sport. Le film Marinette – avec Garance Marillier, Fred Testot et Sylvie Testud, en salles le 7 juin – rend hommage, aussi, aux combats qu’elle mène depuis des années pour la cause homosexuelle.

G8CB21
© PA IMAGES/ALAMY STOCK PHOTO

Au fil des années, la tonalité de sa voix, joyeuse et enfantine, ne change pas, même au téléphone. Les cinq mille et quelques kilomètres n’atténuent pas, non plus, l’incrédulité de Marinette Pichon, à quelques jours de la sortie du film de Virginie Verrier, Marinette, qui lui est consacré : « Je connais ma vie, je l’ai vécue, je la vis et pourtant j’ai pris ce film en pleine face. »

De Montréal, au Québec, où elle vit avec son fils, Gaël, et sa femme, Ingrid, rencontrée en décembre 2004, l’ancienne meilleure buteuse de l’équipe de France, aujourd’hui 47 ans, pensait, avec le temps, au gré des épreuves, avoir appris à gérer ses émotions, mais certaines scènes ont réveillé quelques sourires, des pensées couleur d’ébène et des démons, surtout : « Devant le film, j’ai pleuré, ma femme a pleuré, on a tous pleuré. Pendant plusieurs nuits, j’ai mal dormi… Ma vie est résumée en deux heures, c’est insensé. » Une vie improbable, romanesque, tragique, une vie comme le cinéma en invente plus qu’il ne s’en inspire et que l’ancienne attaquante star de Saint-Memmie (Marne) et de Juvisy (Essonne) a vu défiler « comme un flash-back de quarante-deux ans. Un vrai ascenseur émotionnel ! » Elle confie : « J’ai ressenti de nouveau les émotions de ma jeunesse, le regard de ma mère qui se pose sur moi, notre complicité. La scène du début, avec cette petite fille qui court vers un terrain de foot, est exceptionnelle. Elle m’a remuée. »

« Personne ne m’avait demandé d’être une leader, mais grâce au foot, j’en suis devenu une. J’ai aimé être quelqu’un sur lequel on pouvait s’appuyer »

On la voit, à 5 ans, fendre les hautes herbes, heureuse et légère, jusqu’à la pelouse de Brienne-le-Château (Aube) où des garçons hâbleurs et moqueurs vont vite s’éteindre devant le talent de la jeune fille, la future première star française de la discipline. Car l’actuelle directrice générale du club canadien de LaSalle, un arrondissement de Montréal, fut la première en tout ou presque. Première joueuse française exilée, en 2002, dans le Championnat américain, alors une référence. Première à gagner sa vie grâce au football. Première, encore, à remporter le titre de meilleure joueuse outre-Atlantique, première à marquer les deux uniques buts des Bleues pour leur première participation à la Coupe du monde, en 2003. Une fois sortie du vestiaire, cette catholique fut une pionnière sur les questions sociales, en réalisant son coming out sans trembler, en se mariant sitôt votée la loi sur le mariage pour toutes et tous (« Je ne vais pas cacher que j’aime ma femme, c’est l’amour de ma vie, elle m’a permis d’assumer ce que je suis vraiment. »), en racontant le cheminement médical et clandestin jusqu’en Belgique pour devenir maman, avec Ingrid qui a mis au monde leur fils en décembre 2012…

Violences physiques et verbales

Une vie de combats à laquelle elle n’était pas prédisposée : « Personne ne m’avait demandé d’être une leader, mais grâce au foot, j’en suis devenu une. J’ai aimé être quelqu’un sur lequel on pouvait s’appuyer. Le jour où on m’a donné des responsabilités, j’ai voulu montrer que j’en étais capable, que je pouvais avancer. » Et de s’extirper d’une enfance, d’une adolescence détruites par la violence physique et verbale (« Mon père me disait : “Tu es une pute comme ta mère.” »), en découvrant l’agression sexuelle de sa grand-mère maternelle par ce géniteur imbibé de haine et d’alcool et dont la famille se débarrassa quand l’aînée de Marinette appela la gendarmerie. « Ces épreuves, je les ai traversées, combattues avec ma mère, avec ma sœur, à travers le foot, assure aujourd’hui l’intéressée. Ma satisfaction est là, quand les gens qui ont lu le livre me disent : “Quel combat !” Avec les images du film [son rôle est joué par Garance Marillier, ndlr], c’est encore plus parlant, quand on voit ma mère frappée, quand elle est coursée avec un couteau… »

Les premières années de son existence dessinent une douleur, une noirceur qui contrastent, aujourd’hui, avec son côté Zébulon, charismatique et solaire. L’ancienne consultante pour France Télévisions aurait pu sombrer, se rembrunir, elle s’est enfuie, elle a chassé ses troubles, ses peines, s’est ouverte aux autres, aidée par son « caractère foufou [rires]. Il ne peut plus rien m’arriver dans la vie, car il m’est déjà arrivé beaucoup trop de choses. »

« Ce que j’ai vécu, je ne pourrai jamais l’effacer et je ne le veux pas, car cela fait partie de ma construction de femme, d’adolescente, de sœur, de maman… »

Véritable pile d’un mètre soixante-trois, elle vit encore avec ses fêlures, les cicatrices invisibles, les humiliations quotidiennes, tout simplement : « Je n’ai pas retrouvé ma confiance en moi car je n’en ai jamais eu. J’en ai développé une, mais je ne suis pas encore à 100 %, je ne crois pas. Mais je suis sur la bonne voie à 47 ans ! Sur le plan personnel, j’ai répondu à des questions comme “est-ce que je vais être capable d’élever mon enfant alors que je ne l’ai pas porté ?”… Cela m’a perturbé un moment. Mais l’immigration au Canada, l’épanouissement de notre fils Gaël, le bonheur de notre grand [sa femme Ingrid a eu un garçon, Maxim, né d’une union hétérosexuelle]… On a réussi parce qu’on l’a fait ensemble, qu’on se fait confiance les uns les autres. »

Elle a toujours bataillé, même sur des terrains qui auraient dû lui être familiers, où son talent naturel aurait dû lui ouvrir toutes les portes. Contre son père, alcoolique, toxique et incestueux, qui ne venait jamais la voir jouer et dont, avec la complicité de sa mère, elle devait se cacher. Contre la jalousie, les règlements étriqués d’une discipline qui souffrait de tous les clichés, d’une médiatisation minimaliste, caricaturale, d’une économie inexistante.

Pressesports.586292 foot 031 1
© BOUE SEBASTIEN/ PRESSE SPORTS - DR
LA modèle pour les gamines

Face à ce néant des années 1990, elle fut un phare, la seule dont on diffusait les buts le dimanche matin sur TF1 dans l’émission Téléfoot. Sans les réseaux sociaux à l’époque, elle a régné sur la planète football, et les rares petites filles qui passaient les portes du stade pour signer une licence rêvaient de devenir Marinette Pichon, de porter, comme elle, un élastique pour tenir sa chevelure bouclée. En 2023, les footballeuses la voient sur un écran plus grand, la découvrent même, mais elles se projettent sur la nouvelle génération des Wendie Renard, Eugénie Le Sommer ou de Marie-Antoinette Katoto, piliers de l’équipe de France : « Je suis contente de voir qu’on donne du crédit à ces joueuses, que ce n’est plus une joueuse mais des joueuses, des clubs, qui font qu’on a de plus en plus de licenciées. » « Heureuse » de ce développement mais inquiète, aussi, des dérives d’une discipline qui se professionnalise. Les faits divers récents (la violente agression de la joueuse du PSG Kheira Hamraoui), le sportif qui fait la Une pour de mauvaises raisons (l’éviction de l’ex-sélectionneuse des Bleues Corinne Diacre), « cela me dérange car on ne parle pas du foot féminin comme on devrait le faire, on le stigmatise au travers de conflits, de l’argent… Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir mon soccer. J’aimerais qu’on parle, comme en Angleterre, des gens qui font la queue pour entrer dans les stades voir du foot féminin. Ça, c’est kiffant ! ».

Retour au micro

Cette exaltation, l’ancienne joueuse de Philadelphie va y goûter de nouveau, derrière un micro, pour le compte de la télévision canadienne, dans quelques semaines, avec la tenue de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande et en Australie (du 20 juillet au 20 août). Tout juste vingt ans après ses deux buts lors de la Coupe du monde aux ÉtatsUnis, Marinette Pichon « vibre toujours autant » mais, de la même manière qu’elle s’était félicitée de voir son record de buts chez les Bleues (112 sélections, 81 buts) battu par Eugénie Le Sommer (88 buts), elle attend une victoire, enfin : « On en a marre de répéter qu’elles doivent atteindre ce niveau sans jamais y parvenir. Aujourd’hui, elles ont un staff capable de les pousser, de les transcender… »

Corinne Diacre évincée du poste de sélectionneuse des Bleues en mars, Pichon voit en Hervé Renard, son successeur, « l’homme de la situation. Dès le début, on a vu son influence, on a senti sa volonté de communiquer, de faire preuve de sincérité, il est capable d’exploit avec ces joueuses qui ont un énorme potentiel ». Aucune rancœur ni jalousie, peut-être même n’aurait-elle jamais voulu évoluer comme joueuse en 2023. Ni changer son passé, les souffrances dont elle a été victime : « Ce que j’ai vécu, je ne pourrai jamais l’effacer et je ne le veux pas, car cela fait partie de ma construction de femme, d’adolescente, de sœur, de maman… Ces combats sont ma force. Mon bonheur a gagné. »

Lors du procès de son géniteur (aujourd’hui décédé), finalement condamné à dix ans d criminelle pour agression sexuelle, elle n’eut aucune réponse à ses questions sur le désamour paternel. Elle décida alors de déconstruire un modèle familial nourri de violence et de rejet pour en réinventer un autre, le sien, « banal » de son propre aveu, où les journées commencent par des petits déjeuners en commun et se terminent par des dîners où l’on parle d’amour, le mot préféré de Marinette.

*Ne jamais rien lâcher, de Marinette Pichon. First Éditions, 2018.
Marinette, de Virginie Verrier, avec Garance Marillier, Sylvie Testut, Émilie Dequenneet Fred Testot. Sortie le 7 juin.

Lire aussi l La pétition lancée par Marinette Pichon pour la diffusion des matches de Coupe du monde récolte plus de 100.000 signatures

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accompagner les combats qui vous animent, en faisant un don pour que nous continuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés