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Ali Alashkar, Syrien de 34 ans, enseigne les rudiments de sa langue à une dizaine d’apprenant·es chaque semaine. © Photos : Guillaume Poli pour Causette

L'association Causons pro­pose des cours d'arabe don­nés par des per­sonnes réfugiées

Apprendre l’arabe et le persan, c’est ce que propose l’association Causons. La particularité : les cours sont donnés par des personnes réfugiées ou issues de l’immigration. Un moyen d’intégration valorisant leur culture et leurs compétences.

« Vous allez voir, l’arabe, c’est très facile à apprendre. » Chaque dimanche soir, Ali Alashkar donne un cours d’arabe à la Maison de la Place des Fêtes, à Paris. « On commence par l’alphabet, poursuit l’enseignant. Regardez, c’est très amusant, ça ressemble à des spaghettis ! » Florence et Juliette assistent studieusement à l’initiation à l’arabe faite par Ali. L’enseignant note quelques mots au tableau. Première étape : transcrire son prénom en alphabet arabe. « Ça ne ressemble pas à grand-chose, ce que j’écris », s’inquiète Juliette. « Mais si, vous verrez que ça vient très vite », l’encourage Ali. Il est l’un des trois enseignants de Causons*. Depuis plusieurs années, ce Syrien de 34 ans donne des cours d’arabe. « À l’origine, je ne suis pas du tout professeur, confie-t-il. J’ai travaillé dans la recherche médicale, mais, depuis trois ans, je me consacre à donner des cours d’arabe. » Toutes les semaines, il enseigne à une dizaine d’apprenant·es les rudiments de sa langue. « C’est compliqué car ils ne connaissent rien du tout à l’arabe ! Et ce qui est encore plus intéressant que d’enseigner l’arabe, c’est de rencontrer toutes ces personnes. Mes élèves sont ouvriers, avocats, des Français ou des personnes d’origine étrangère. C’est passionnant d’échanger avec eux ! » Le concept de Causons, c’est justement celui-là : provoquer des rencontres pour créer du lien et casser les préjugés. 

Inversion des rôles

Depuis la rentrée 2017, l’association propose des cours collectifs d’arabe et, depuis peu, de persan. Les cours sont tous donnés par des personnes réfugiées ou issues de l’immigration. « J’ai découvert le concept au Brésil, où j’ai assisté à un cours d’espagnol dispensé par une enseignante cubaine, raconte Hélène Ramajo, 27 ans, fondatrice et présidente de l’association. L’inversion des rôles m’a beaucoup plu. C’était sa langue et sa culture qui étaient valorisées et mises en avant, pour une fois. Beaucoup de gens pensent que les personnes réfugiées n’ont pas de compétences, pas de diplômes, alors que c’est très souvent l’inverse ! Parce qu’elle était cubaine, elle était plus que légitime pour donner ce cours d’espagnol. » Hélène Ramajo rentre en France avec le concept dans ses bagages et l’idée d’en faire quelque chose. « Il a fallu du temps pour le développer et l’adapter, car nous n’avons pas les mêmes migrations. Mais on a noué des liens avec d’autres associations qui agissent auprès des réfugiés, comme Singa ou France Terre d’Asile et, en ­septembre 2017, on s’est lancés. » 

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Ali apprend aux étudiant·es de l’association à écrire leur nom en alphabet arabe, la base de son cours. Comme exemple, il note son propre prénom.

L’initiative plaît, les cours se remplissent peu à peu, et de plus en plus de personnes sollicitent l’association pour enseigner leur langue, dont une grande majorité de réfugiés. Pour eux, c’est l’occasion de rencontrer du monde, de partager leur culture, de profiter d’un travail rémunéré, mais également d’une formation professionnelle. 

« Les enseignants reçoivent tous une formation qualifiante car tous ne sont pas profs, à l’origine, détaille Hélène Ramajo. Ils apprennent les bases, la pédagogie, la posture de l’enseignant, et ils obtiennent un certificat. » Si l’association propose une méthode à ses professeurs, chacun est libre d’organiser ses cours comme il le souhaite. « Chaque enseignant va parler de sa culture, de ses références à lui et l’introduire dans son enseignement, précise la présidente de Causons. S’il s’agit d’apprendre une recette de cuisine, ce ne sera pas une recette arabe, mais syrienne ou soudanaise. » 

Le Soudan, Obeid adore en parler avec ses apprenant·es. « J’essaie de faire des cours classiques, mais je raconte souvent comment c’était chez moi », confie le jeune homme de 23 ans. Depuis un an, il donne des cours d’arabe deux fois par semaine. « Ça me fait très plaisir que des gens souhaitent apprendre ma langue, s’enthousiasme-t-il. Quand je suis arrivé en France, j’ai travaillé très dur et fait beaucoup d’efforts pour apprendre le français, connaître la culture. Je suis content de pouvoir parler de la mienne aussi. » Passionné par les poètes arabes, le jeune homme espérait poursuivre ses études en arrivant. « Mais les Français ont un regard négatif sur les étrangers, ils n’attendent rien de nous, poursuit le jeune enseignant. Pourtant, j’étais capable de faire des choses dans mon pays, et je pensais que ce serait possible ici aussi. Ce que j’aime avec Causons, c’est qu’on change le regard sur les réfugiés. » 

Au-delà du cours de langue

À force de travail, bénévole dans une association, prof d’arabe dans une autre, Obeid a réussi à intégrer le programme Welcome Refugees de Science Po Paris. Il espère poursuivre ensuite à l’Institut national des langues et civilisations orientales. « C’est un excellent professeur, amoureux de sa langue », soutient Antoine, 44 ans, qui prend des cours depuis deux ans pour améliorer ses rudiments d’arabe acquis à l’étranger. « Apprendre une langue est la base de l’interculturel. Quand j’ai commencé les cours avec Causons, j’étais persuadé que j’aurais un enseignant syrien. En fait, c’était une personne originaire du Soudan. Je ne savais même pas qu’on y parlait arabe ! » 

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De gauche à droite : Hélène Ramajo, qui a fondé l’association en 2017, Antoine, qui suit des cours avec Obeid, Soudanais de 23 ans, qui enseigne chez Causons depuis un an.

Mais, avec Causons, la relation va au-delà du seul cours de langue. « Nous sommes tous devenus amis, confirme Antoine. Par exemple, Obeid nous a tous invités à dîner chez lui la semaine dernière. On était une dizaine. On a cuisiné des recettes soudanaises et parlé toute la soirée, en arabe, en français, de tout, même de politique et des “gilets jaunes” ! »

Peu à peu, la Maison de la Place des Fêtes se vide. Ali finit de préparer la leçon du jour : les couleurs et la nationalité. Heather termine discrètement ses devoirs. « C’est un excellent professeur, il nous fait travailler très dur ! » confie cette Irlandaise de 59 ans. Ali fait des allers-retours devant le grand tableau blanc. Toutes et tous notent soigneusement les propos de l’enseignant, avec l’idée, sans doute, de tester leurs quelques mots d’arabe prochainement et de donner envie à d’autres d’essayer. 

L’association Causons aimerait bien avoir plus d’élèves : elle pourrait faire travailler de nouveaux enseignants, briser les derniers clichés et valoriser d’autres cultures.

* Site de l’association : causons.org

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