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© Camille Besse

Réformes Blanquer : c’est où qu’ça coince ?

Après avoir fait couler beaucoup d’encre, le texte définitif de la loi Blanquer a été adopté par le Sénat le 4 juillet. Côté profs, ça bloque méchamment. Quand on les a laissé·es en juillet, c’est peu dire qu’ils et elles étaient vénères. Retour sur les différents points qui leur posent problème.

“L’école de la confiance” discréditée

Scolarité obligatoire dès 3 ans

Désormais, vous êtes tenu·e d’inscrire votre enfant à la maternelle. Rien de révolutionnaire puisque 97,5 % des enfants de cet âge fréquentaient déjà les classes en 2016. Mais ce chiffre masque des disparités territoriales (à Mayotte ou en Guyane par exemple) que le texte entend ainsi combler. Si la porte-parole du syndicat enseignant SNUipp, Francette Popineau, se réjouit de cette sanctuarisation de l’école maternelle, elle aurait aimé qu’on l’accompagne d’une augmentation du nombre d’écoles, par ailleurs souvent « vétustes » dans les territoires d’outre-mer. 

Accompagnement des enfants handicapés

C’est l’outil phare de l’école « inclusive » promise par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer : des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, ou « Pial », comme cette nouvelle administration est déjà surnommée, pour « coordonner les moyens d’accom­pagnement humain » envers les enfants en situation de handicap, tout au long de leur scolarité. Avec 3 031 ­créations de Pial prévues à la rentrée, le ministère entend faciliter l’accompagnement des enfants en renforçant la coopération des professionnel·les de santé et de l’éducation, et en permettant une optimisation des emplois du temps des accompagnant·es. Ce qui n’est pas sans agacer les syndicats : « C’est n’importe quoi ! S’il n’y a pas assez d’accompagnants actuellement, c’est parce que les salaires sont trop faibles. Il s’agit de personnel contractuel qui gagne parfois moins de 700 euros par mois. Plutôt que de revoir leurs salaires à la hausse, le ministère préfère disséminer ces accompagnants à droite à gauche au sein de ces pôles, où plusieurs personnes vont s’occuper de plusieurs élèves… Alors que ces élèves-là ont besoin de quelqu’un de référent qui se consacre à eux à plein temps », tempête Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc). 

Des établissements d’excellence hyper sélects ?

Et si vous mettiez votre enfant dans un « établissement public local d’enseignement international » (Eplei) ? De la primaire au lycée, il proposera des classes en français et en langues étrangères afin de préparer soit à l’option internationale des brevets et bac, soit au bac européen, tel que codifié par l’Union européenne. Libre aux collectivités territoriales d’impulser la création de l’établissement. « Toutes les organisations représentatives avaient voté contre ces Eplei, rappelle Jean-Rémi Girard. Nous attendons le décret d’application, en nous doutant bien que le recrutement des élèves se fera sur critère, sur le modèle de ce qui se fait déjà à Strasbourg : l’école européenne – qui s’adresse en particulier aux enfants de fonctionnaires européens – n’accueille que 30 % d’élèves hors cursus international. On n’a pas vu mieux pour créer une ségrégation sociale comme de niveau ! Et cela montre que sans ça, notre service public ne s’estime pas assez attractif pour le public qu’il ne veut pas laisser partir dans le privé... »

Un nouveau bac enfanté dans la douleur

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© Besse

Cette réforme aura engendré une situation inédite dans le pays : lors des corrections du bac, début juillet, quelque sept cents correcteurs et correctrices ont fait la « grève des notes » afin d’attirer l’attention médiatique sur les chamboulements du baccalauréat. Après avoir fait émettre des notes temporaires par le personnel administratif des lycées, Jean-Michel Blanquer a promis des « sanctions » pour les profs grévistes à la rentrée. Mais pourquoi tant de colère ?

Plus de filières !

Pierre Mathiot l’avait annoncé : il ne voulait pas réformer le bac « pour quelques ajustements techniques ». Aujourd’hui, le directeur de Sciences Po Lille, qui a présenté le rapport sur lequel la réforme se fonde et dirige son comité de suivi, assume une « réforme extrêmement ambitieuse qui suscite l’hostilité parce qu’elle fait bouger les lignes ». Pensez un peu : c’est la fin des filières L, ES, S dans la série générale, instaurées en 1965 (à l’époque A, B, C, D). Elles sont remplacées par un tronc commun auquel viennent s’ajouter des spécialités, trois en première, réduites à deux en terminale. Les maths deviennent d’ailleurs une option ! La matière « enseignement scienti­fique » du tronc commun correspond, selon Pierre Mathiot, à « l’enseignement d’une culture générale scientifique ». 

Les élèves qui entrent en première à la rentrée ont donc dû choisir leurs spécialités et ont, à 53 %, reproduit des filières. 26 % d’entre eux ont, par exemple, opté pour un tiercé gagnant mathématiques/physique-chimie/sciences et vie de la terre, comme la série S l’imposait auparavant. 

« Pour nous, passer de trois à deux spécialités est une catastrophe, alarme Jean-Rémi Girard, du Snalc. Comment vont arriver les élèves dans certaines prépas, par exemple celles d’agro ou de véto, où ils se retrouveront à nouveau avec les maths, la physique et les SVT ? » Dans ce contexte, il faut espérer que l’instauration de cinquante-quatre heures réparties sur les trois années du lycée consacrées à l’orientation après le bac aiguille les élèves.

Un grand oral et des contrôles continus

Réformer le bac général partait d’un constat largement partagé : avec une douzaine d’épreuves en dix jours, la machine s’enrayait et avait perdu son sens avec l’augmentation des mentions et des 20,5 de moyenne due à pléthore d’options. « L’idée n’est pas de réduire le nombre d’enfants ­diplômés d’une génération (80 % actuellement), mais de renouer avec la valeur certificative de cet examen », plaide Pierre Mathiot. Pour ce faire, l’Éducation nationale a opté pour l’introduction de 40 % de contrôle continu (10 % des notes du bulletin, 30 % d’épreuves à la fin de chaque trimestre de terminale) dans la note finale. Les 60 % restant se partagent entre deux épreuves en mars sanctionnant les spécialités conservées en terminale et un grand oral en juin, comme celui existant dans la filière technologique. L’élève devra produire un travail s’appuyant sur une ou sur deux matières et le défendre à l’oral, en étant préparé théoriquement dès la première.

« Nous sommes en colère, explique Jean-Rémi Girard. On ne nous avait pas prévenus que les épreuves de spécialités allaient se dérouler en mars. Comment va-t-on faire entendre aux élèves qu’il faille revenir en cours en avril ? L’ambition était de remuscler le bac, on a l’impression qu’on l’a dilué au contraire. » Un autre point suscite la crainte des profs : comment assurer le caractère national et anonyme – garants d’une égalité théorique – du bac avec une telle part de contrôles continus ? « Les épreuves de fin de trimestre seront choisies par les professeurs des lycées dans une banque nationale de sujets, et on pourra mettre en place des échanges de copies entre établissements », répond Pierre Mathiot. Une organisation à mettre en place pour 2021, date à laquelle les terminales passeront pour la première fois ce nouveau bac.

Un bac pro lui aussi transformé

La filière pro opère une mue aussi importante que la filière générale. Au programme : un apprentissage généralisé, une refonte des filières, regroupées en classes par « familles de métiers » autour d’un tronc commun d’enseignement et la réalisation d’un chef-d’œuvre présenté à l’examen final. 

« Il va se poser un conséquent problème de mixité des parcours, soupire Jean-Rémi Girard. Les enseignants vont devoir faire cours simultanément à des élèves en parcours classiques et à ceux en apprentissage. Par ailleurs, les familles de métiers posent question. Certaines font sens mais d’autres moins, tels la “gestion administration” et les “transports logistiques”, quel est le rapport ? Enfin, l’idée de réaliser un “chef-d’œuvre” en ce qui concerne les bacs pros manuels a du sens, mais quelle va être la nature du chef-d’œuvre dans le tertiaire, en secrétariat par exemple ? » Là encore, les élèves actuellement au lycée vont essuyer les plâtres.


CP et CE1 dédoublés dans les quartiers défavorisés

Cette rentrée devrait être la troisième et dernière étape du dédoublement progressif des CP et CE1 des établissements classés en réseau d’éducation prioritaire REP+ et REP. 300 000 élèves au total bénéficieront de ces classes à douze élèves maximum, de façon à être accompagné·es dans de bonnes conditions. « C’est évidemment une bonne chose, si ce n’est que, faute d’augmentation suffisante du recrutement des enseignants, on surcharge les autres classes pour compenser ! observe Francette Popineau, porte-parole du syndicat enseignant SNUipp. On a tous envie que les enfants réussissent et c’est pourquoi nous demandons avant toute chose que les effectifs des classes baissent à vingt-quatre ou à vingt-cinq élèves maximum, dans tous les niveaux et pas seulement dans les REP. Ça se saurait si les problèmes de discipline n’existaient que dans ces quartiers ! » 


Au collège, les élèves invité.es à rester plus longtemps ?

Le collège est pour l’heure peu investi par le ministre Blanquer, mais le dispositif le concernant s’inscrit dans un soutien aux plus défavorisés. « Devoirs faits » s’est déployé sur tout le territoire et propose des heures de ­soutien menées par les professeur·es ou par les surveillant·es pour aider les élèves aux devoirs. « Cette mesure prend acte que les devoirs peuvent être discriminants selon que les parents ont ou non la capacité d’aider et, plutôt que d’y renoncer, cherche à faire en sorte qu’ils soient réalisés par tous, s’enthousiasme Jean-Rémi Girard. Le problème, c’est qu’elle n’est pas assez financée, nous avons vu des difficultés dans certains établissements, où il faut les arrêter en cours d’année ou… faire travailler bénévolement les encadrants. Par ailleurs, comme c’est une option, les élèves qui s’y inscrivent ne sont pas toujours ceux qui en ont le plus besoin. » 

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