Série "10 bougies arc-en-ciel", 5/6
Le 17 mai 2023 marque les dix ans de la promulgation de la loi Taubira, ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe. À cette occasion, Causette donne la parole à des personnalités, artistes et politiques, pour savoir comment ils et elles ont vécu cette période et comment cette avancée a changé (ou non) leur vie. Dans ce cinquième épisode, le journaliste Christophe Beaugrand se souvient de l'émotion ressentie au moment de s'unir à compagnon Ghislain Gerin.
"J'ai su très jeune que j'étais homosexuel. À l'époque, le mariage me semblait impossible. Mais ce n'est pas ça qui me coûtait le plus. Car, chez moi, on est très famille. Je n’arrivais alors pas à me projeter sans pouvoir en fonder une, sans avoir des enfants. En 2013, je voyais donc encore le mariage comme moins important, même si je me battais pour, en signant des tribunes et pétitions, par exemple. Mais toutes les manifestations des anti m’ont marqué. Elles ont été d'une violence… J'ai été plus touché que je ne l'aurais cru : je me suis retrouvé en larmes devant la télévision quand il y avait 1 million de personnes dans la rue. Cette mobilisation des opposants a presque créé mon envie de m'unir à Ghislain. Nous avons tellement galéré pour avoir ce droit. Je me suis dit qu’il fallait l’utiliser et montrer notre amour au plus grand monde.
Nous nous sommes unis à la mairie du VIIIe arrondissement de Paris, en juillet 2018. J’ai trouvé hyper émouvant de recevoir le livret de famille, avec la couverture en velours bleu et les grandes lettres d'or disant “République française”. Quand j’étais enfant, j’étais loin d’imaginer qu’un jour tout cela serait possible. Je me suis dit : “Mon Dieu, mais quel chemin parcouru !” Nous avons d'ailleurs choisi de publier dans Gala les photographies du mariage pour casser les fantasmes que certains pouvaient encore nourrir sur les couples homos.
Pour la plupart de mes proches, il s’agissait de la première fois qu’ils se rendaient à un mariage entre deux personnes de même sexe. Tous m'ont fait part d’une émotion supplémentaire ressentie lors de cet événement. Souvent, cela n'a pas forcément été facile de s'accepter et de se sentir accepter dans la société. On sait aussi que ces histoires d'amour-là ont été un peu plus compliquées que les autres. Parfois, le ou la partenaire de la personne n'a pas du tout été accepté par la famille au début. On s'est battus pour ce droit et pour cette acceptation. Je pense qu'il y a donc encore plus d'émotion dans ces mariages-là et que l'amour est d’autant plus fort, vu tous les obstacles affrontés. Tout le monde était très heureux lors de mon mariage. Il y avait vraiment quelque chose de l’ordre du soulagement aussi, de se dire que c'était enfin possible.
En parallèle de l'organisation du mariage, nous avions lancé une procédure de GPA aux États-Unis. Ce qui est assez marrant, c'est que quelques jours avant la cérémonie, nous avons appris que ça avait fonctionné, que nos embryons "avaient pris" et que nous pouvions chercher une mère porteuse. Ça a été une espèce de cadeau de mariage extraordinaire. Mais nous n'avons rien dit, surtout pas à nos mamans respectives, car ce sont de grandes angoissées. Nous leur avons dit assez tard, une fois que notre mère porteuse, Whitney, était enceinte. Notre enfant est né en novembre 2019. Je le vis comme un aboutissement. Quand j'y pense, d'ailleurs, nous nous sommes mariés avant d'avoir le bébé. Je rigole en me disant que nous incarnons un peu un couple à l'ancienne, un peu vieille France !"