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©Besse

Jacqueline Pascal, la (bonne) soeur

Poétesse de talent, Jacqueline Pascal a beaucoup influencé, au XVIIe siècle, le cheminement spirituel de son frère Blaise, qui deviendra le héraut français du jansénisme.

« Avoir été la sœur d’un homme de génie, c’est un titre sérieux. » C’est ainsi que Les Muses françaises, une anthologie des femmes poétesses parue au début du XXe siècle, présente Jacqueline Pascal, née à Clermont le 5 octobre 1625, deux ans après son illustre frère, Blaise. Mais ce n’est pas lui rendre justice que de s’arrêter à ce titre. « Si Jacqueline nous touche déjà comme la sœur bien-aimée de l’un des personnages les plus extraordinaires du XVIIe siècle, pointe en effet le philosophe Victor Cousin, en 1856, dans son Étude sur les femmes illustres, nous n’hésitons pas à dire qu’elle ne nous importe pas moins par elle-même. »

Cadette d’une famille bourgeoise proche de la noblesse de cour, Jacqueline Pascal, qui a perdu sa mère Antoinette Bejon alors qu’elle n’avait que 5 mois, passe, elle aussi, pour une enfant prodige. Très jeune, elle manifeste des signes de précocité intellectuelle. « Dès qu’elle commença à parler, elle donna de grandes marques d’esprit. Elle était outre cela parfaitement belle, et d’une humeur douce et gaie, et la plus agréable du monde ; de sorte qu’elle était autant aimée et caressée qu’un enfant peut l’être », affirme sa sœur Gilberte Périer.

Prouesses littéraires

L’apprentissage de la lecture l’ennuie cependant à mourir... jusqu’à ce qu’elle entende l’aînée lire de la poésie. « Quoi que je pusse faire, je ne pouvais obtenir d’elle qu’elle vînt dire sa leçon, se souvient Gilberte. Enfin un jour par hasard, je lisais des vers tout haut dans un livre ; cette cadence lui plut si fort qu’elle me dit : “Quand vous voudrez me faire lire, faites-moi lire dans un livre de vers, je dirai ma leçon tant que vous voudrez.” Je fus surprise de cela, parce que je ne croyais pas qu’un enfant de cet âge pût discerner les vers d’avec la prose, et je fis ce qu’elle souhaitait, et ainsi elle apprit peu à peu à lire. »

Dès lors, elle ne parle plus que de vers et mémorise de nombreux poèmes. À 8 ans, elle commence même à en écrire elle-même, puis compose à 11 ans une comédie en cinq actes, avec l’aide des filles du trésorier de France, les demoiselles Saintot. Une pièce qu’elle joue devant un public nombreux et qui suscite l’intérêt des cercles mondains. Le Tout-Paris s’extasie de l’esprit de Jacqueline, qui multiplie les prouesses littéraires.

La merveille de la cour

Ainsi improvise-t-elle à 12 ans un poème sur la grossesse d’Anne d’Autriche. Hardie, la jeune fille se rend ensuite au château de Saint-Germain, où elle est conduite par une amie de la famille, Mme de Morangis, pour présenter ses vers à la Reine. « En voyant un auteur de 12 ans, on eut quelques doutes, et on voulut mettre à l’épreuve le talent de la petite Jacqueline, raconte Victor Cousin. On lui demanda de faire des vers à l’instant même sur des sujets qu’on lui donna. Elle se tira parfaitement de toutes ces difficultés, et elle devint la merveille de la cour et de la ville. On recueillit les vers qu’elle avait composés dans cette occasion, et on les imprima sous le titre de Vers de la petite Pascal. Jacqueline adressa ce recueil à la Reine dans une épître en prose fort bien tournée. » Cette année-là, l’enfant prodige est contrainte de quitter Paris avec son père, Étienne Pascal. Celui-ci doit fuir pour échapper à la Bastille après s’être opposé aux dispositions fiscales du cardinal de Richelieu. La duchesse d’Aiguillon, voisine de la famille et nièce du ministre, s’évertue à obtenir le retour en grâce de cet homme dont elle admire les qualités.

En février 1639, elle organise donc une représentation de L’Amour tyrannique de Georges de Scudéry au Palais Cardinal. Jacqueline, qui incarne le personnage de Cassandre, adresse ensuite à Richelieu un compliment si bien tourné qu’elle obtient la réhabilitation de son père, alors envoyé à Rouen par le Roi, qui le nomme intendant de Normandie. Jacqueline a décidément du talent. Victor Cousin précise : « Tout le siècle a vanté ses heureuses dispositions pour la poésie. Il ne faut pas voir seulement son extrême facilité à tout mettre en vers et à improviser sans cesse des sonnets, des quatrains, des stances de toute espèce, signe pourtant d’un tour d’esprit particulier et d’une vocation naturelle. Non : Jacqueline avait reçu du ciel l’inspiration et la puissance poétique. »

Premier prix

Venu rendre visite à la famille, en 1640, Corneille ne s’y trompe pas. C’est lui qui incite la jeune fille à se présenter au concours des Palinods. Cette joute poétique voit s’affronter les auteurs de poèmes dédiés à l’Immaculée Conception de la Vierge, à l’occasion d’une journée consacrée à ce thème baptisée « La fête aux Normands ». Et c’est encore l’auteur du Cid qui se lève lorsque le premier prix lui est décerné, pour remercier le jury au nom de la lauréate.

À ce moment, ce n’est pas Blaise Pascal mais sa petite sœur qui éveille la curiosité du dramaturge, à en croire Sainte-Beuve : « Corneille, en s’intéressant à cette jeune enfant-poète de 14 ans, ne faisait peut-être pas autant d’attention à ce jeune homme de 16, qui, alors tout occupé de sections coniques et de machine arithmétique, devait, vingt ans après Le Cid, trouver et fonder la belle prose, comme Le Cid avait ouvert la grande poésie », avance le critique littéraire.

Sous le voile de sœur Sainte-Euphémie

Jacqueline Pascal ne se contente pas d’être une poétesse dont le talent égale le génie scientifique de son frère, elle devance sur le terrain de la religion celui qui deviendra le héraut du jansénisme. Contre l’avis des hommes de la famille, elle prend le voile. Sylvie Robic, spécialiste de la littérature du XVIIe siècle, observe que « si en 1646, avec la découverte de la doctrine et des écrits de l’abbé de Saint-Cyran, elle n’est encore qu’une fillette de 11 ans (sic) qui s’entiche du jansénisme sous l’influence conjuguée de son père et de son frère, c’est elle qui, très vite, sera la plus radicale dans son engagement. En s’isolant au sein même de la demeure familiale, en rompant avec son mode de vie et ses goûts anciens, en décidant malgré Étienne et Blaise de rejoindre la communauté janséniste, Jacqueline donne tous les signes d’une conversion sans retour, dont la brutalité correspond à sa nature impérieuse.»

Rien ne semble pouvoir l’arrêter, à la différence de son frère en proie à d’interminables doutes et atermoiements. Lesquels ne prendront fin que grâce à ses échanges avec Jacqueline qui signe ses lettres de son nom de couvent, Sainte-Euphémie. Elle devient « officieusement sa “directrice” spirituelle, analyse Sylvie Robic. Un étrange renversement s’opère donc sous les yeux du lecteur, où l’esprit dominateur du “génie” précoce est à son tour dominé par une jeune fille dont l’orgueilleuse volonté continuera, après sa mort, de s’imposer à lui. »

Leur correspondance nourrit la réflexion de son savant de frère. On sait notamment par le philosophe Leibniz que la méthode de lecture qu’il présente dans ses Éléments de géométrie a été l’objet de discussions avec sa sœur, chargée d’enseigner dans les petites écoles de Port-Royal. Mais ces échanges encouragent surtout Blaise dans son cheminement spirituel. Et autant dire que le plus influent des deux n’est peut-être pas celui qu’on imagine...

Sœur Sainte-Euphémie remplira plusieurs fonctions importantes au sein de l’abbaye, passant du soin des postulantes à l’éducation des enfants. En 1661, les religieuses se voient contraintes de signer un texte condamnant les thèses de Jansen. Formellement opposée à la signature, Jacqueline y est pourtant contrainte et, profondément affectée, elle meurt quelques mois plus tard, le 4 octobre, à l’âge de 36 ans.

1. Jacqueline Pascal. Premières études sur
les femmes illustres dans la société du XVIIe siècle,
de Victor Cousin. Hachette/BNF, 2017 [1845].
2. La Vie de monsieur Pascal, suivi de La Vie
de Jacqueline Pascal,
de Gilberte Périer, préface de Sylvie Robic. Rivages, 2017 [1662].
3. Port-Royal, de Sainte-Beuve, éd. Bouquins, 2004 [1840].<
4. Voir note 2.

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