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Jean-Marc Berthon (©Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères)

« Dans beau­coup de pays, on est dans une logique d'élimination des per­sonnes LGBT+» : Jean-​Marc Berthon, pre­mier ambas­sa­deur des droits LGBT+, dévoile ses missions

Jean-Marc Berthon, ancien conseiller présidentiel, a été nommé en octobre dernier ambassadeur des droits LGBT+. Ses missions : œuvrer à la dépénalisation de l’homosexualité et à la défense des droits des personnes LGBT+ à travers le monde.

Engagement d'Emmanuel Macron au début de son deuxième mandat, la création d'un premier poste d'ambassadeur des droits LGBT+ a été effective en octobre, avec la nomination de Jean-Marc Berthon, un ancien diplomate de 56 ans. Ce proche du président de la République, qui a été son conseiller pour les droits humains de 2018 à 2020, a accepté d'éclaircir auprès de Causette ses missions, censées participer à la dépénalisation de l'homosexualité et de la transidentité à travers le monde.

Causette : Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait annoncé la création de ce poste d'ambassadeur pour les droits LGBT+. Comment votre nomination s'est-elle faite ?
Jean-Marc Berthon : D'abord, j'en avais très envie. J'ai été conseiller pour les droits humains du président de la République pendant le premier quinquennat. Je me suis investi sur la question des droits des personnes LGBT+. Donc j'attendais la création de ce poste. Lorsque ça a été confirmé, je me suis porté candidat, tout simplement. Catherine Colonna, la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, a ensuite soutenu ma candidature auprès du Président. J'ai aussi beaucoup travaillé auprès du chef de l'État pour mettre en place une diplomatie féministe :  j'ai œuvré pour le partenariat de Biarritz pour l'égalité femmes-hommes, pour le Prix Simone Veil, pour l'octroi à la France du Forum Génération Egalité par ONU Femmes... Je pense que le Président et la ministre se sont dit que ce que j'avais fait avec énergie pour les droits des femmes, je pourrais le faire pour les droits des personnes LGBT+.

Causette : Les droits des femmes et les droits des personnes LGBT+ ne représentent pas le même combat...
J.-C.B. : Ce n'est pas exactement pareil, évidemment. Les mécanismes de violence ne sont pas les mêmes. Dans le cas des personnes LGBT+, dans beaucoup de pays, on considère qu'elles n'existent pas et ne doivent pas exister. Il faut oser le dire : on est dans une logique d'élimination, de purge, d’effacement ! Dans un certain nombre de pays d'Afrique ou du Moyen-Orient, quand on est homosexuel, on est renié par sa famille, condamné à une vie de clandestinité et d'abomination. On est traqué, persécuté. Et on risque la prison, voire la peine de mort dans certains États. Cette brutalité ressemble à celle qui peut cibler des minorités raciales ou religieuses : on s’en prend aux homosexuels et aux personnes trans parce qu’ils sont censés menacer la cohésion et la pureté de la société. La violence qui s’abat sur les femmes est différente. Oui, il existe les féminicides, mais la violence s'inscrit surtout dans le fait de les dominer, les inférioriser, les priver de certains droits, les cantonner à la sphère privée, à l’espace de l’intime, de la maison. Il faut combattre ces deux logiques, simultanément. Elles sont toutes deux contraires au principe de l’égale dignité de tous les êtres humains.

Causette : La France a-t-elle fait suffisamment lors de la Coupe du monde de football cet automne au Qatar, pays où l'homosexualité est passible de la peine de mort ? Emmanuel Macron avait assisté à la finale.
J-M.B. : La position de la France est très claire, parfaitement connue du Qatar, et nous avons eu plusieurs fois l’occasion de la rappeler : nous plaidons pour la dépénalisation de l’homosexualité. Il n’y a aucune espèce d’ambiguïté. J’ajoute que nous avons fait passer le message au Qatar, avec d’autres pays, qu’il devait réserver aux personnes LGBT+ le même accueil qu’aux autres pendant le Mondial. Que cet événement devait être inclusif. Et le Qatar a pris des engagements, notamment celui de permettre aux couples de même sexe de réserver et de loger dans une même chambre d’hôtel. 
Notre ministre des sports, vous l’aurez noté, a porté un pull aux couleurs de l’arc-en-ciel, ce qui est un message public assez explicite. Mais on ne pouvait pas demander aux joueurs de faire de même, de prendre telle ou telle position politique, car cela aurait été enfreindre le principe –aussi sacré pour moi que celui de l’indépendance de la presse ou de la justice- de l’indépendance du mouvement sportif.

À lire aussi I Mondial au Qatar : pour un ambas­sa­deur qata­ri, l'homosexualité est « haram » car il s'agit d'un « dom­mage mental »

Causette : En tant que conseiller pour les droits humains à l'Élysée, qu'aviez-vous fait exactement sur le plan des droits des personnes LGBT+ ?
J-M.B. :
À l'époque, la Tchétchénie nous a beaucoup occupés. On a exfiltré des personnes LGBT+ de ce pays, comme elles étaient l'objet de persécutions extrêmement dures. J'ai aussi veillé à ce que la question LGBT+ soit bien prise en compte dans le droit d'asile. À l'époque, c'était surtout les droits des femmes qui nous avaient mobilisés avec des initiatives extrêmement importantes.
Mais c'est à ce poste-là que j'ai réalisé l'ampleur du problème pour les personnes LGBT+. J'en suis arrivé à la conclusion que cette question était l’une des nouvelles frontières des droits humains, qu'il fallait la prendre à bras-le-corps. On ne peut plus rester indifférent face au sort des personnes homosexuelles et transgenres dans beaucoup de pays.

Causette : Le magazine têtu·e indique que vous ne faites pas partie de la communauté LGBT+. Vous considérez-vous comme allié ? Pensez-vous que l'être suffit pour mener à bien les missions de ce poste ?
J-M.B. : Je me considère, en effet, comme allié. Comme je l'ai dit à têtu·e, on ne s'est pas posé la question, on a simplement nommé quelqu'un. Je crois que c'est aussi ce qui caractérise la France : on est dans une logique universaliste. On considère que tout le monde doit soutenir cette cause. C'est ma conviction, d'ailleurs. Si seules les femmes défendaient les droits des femmes, on n'y arriverait pas. C'est la même chose pour la cause LGBT+.

Causette : Dans le communiqué annonçant votre nomination, il est indiqué que vous avez « pour mission de porter la voix et l’action de la France en la matière, avec le soutien de l’ensemble du réseau diplomatique français ». En quoi cela consiste-t-il exactement ?
J-M.B. : Il existe plusieurs canaux d'action. Il y a d'abord les ambassades à l'étranger. On a le troisième réseau diplomatique au monde, ce qui veut dire que l'on est présent dans quasiment tous les pays. On peut faire passer beaucoup de messages sur ce sujet à travers nos ambassades. Ce que l'on fait déjà, mais on va le faire encore plus. Mon rôle sera d'inciter les ambassades à le faire et je me déplacerai dans un certain nombre de pays pour porter les messages directement. Je suis récemment allé à Bruxelles et je vais me rendre très vite dans un certain nombre de pays d'Amérique du Sud et d'Afrique. Il y a quantité de moyens d’actions : on peut faire une démarche officielle, mais aussi recevoir une personne persécutée, soutenir une association, participer à une Marche des fiertés, organiser une manifestation culturelle ou un colloque, soutenir la recherche sur le sujet…
Le deuxième levier que l'on possède concerne les enceintes européennes et multilatérales. La France est active dans ces enceintes et a porté ce sujet. Elle peut le faire davantage. En 2008, à l'Assemblée générale des Nations unies, nous avions présenté une déclaration en faveur de la dépénalisation. On avait recueilli 66 soutiens. On regarde actuellement ce qui peut être réinitié à l'ONU pour aller plus loin.
On a, enfin, un troisième levier d'action avec la société civile, les associations, les ONG... Dans pas mal de pays, c'est la meilleure manière d'agir. Car, par exemple, en Afrique, il est expliqué que l'homosexualité n'existe pas, qu'il s'agit d'une importation occidentale. Donc si vous venez comme diplomate occidental expliquer qu'il faut respecter les droits des personnes LGBT+, vous apportez la démonstration que c'est une importation occidentale. Donc il vaut mieux que ce soient des acteurs locaux qui portent la parole. Il faut les aider à se renforcer pour faire du plaidoyer, de l'entraide, pour accueillir les personnes vulnérables, informer sur les droits, sur l'accès à la santé, ou pour proposer une assistance juridique...

Causette : Pour aller jusqu'à la dépénalisation de l'homosexualité, comment allez-vous agir concrètement ? Êtes-vous en lien avec les ambassades de ces 11 pays ?
J-M.B. : Oui. Il faut convaincre les pays qui pénalisent encore l'homosexualité – ils sont au nombre de 68 dont 11 prévoient la peine de mort- de changer leur loi ou de ne plus l’appliquer. Et dans la soixantaine d’autres pays qui, sans pénaliser, portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes LGBT+, notamment aux libertés d’expression et d’association, il faut continuer à demander la levée de toutes les restrictions aux libertés et une vraie politique de lutte contre la haine anti-LGBT+. En Russie, par exemple. Là, le message doit être un peu différent : nous devons porter celui du plein respect des droits fondamentaux et de la mise en place de politiques de lutte contre l'homophobie et la transphobie comme il en existe dans un certain nombre d'États.

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Causette : Depuis votre prise de poste, qu'avez-vous fait en tant qu'ambassadeur des droits LGBT+ ?
J-M.B. : C’est une mission nouvelle. Alors, pour établir une feuille de route, j'ai commencé par consulter la société civile, les ministères concernés, les ambassades de France et les différents services du Quai d’Orsay, mes homologues étrangers. J'ai été en contact avec de nombreuses ambassades à Paris et à l'étranger. J'ai reçu de très nombreux militants du Venezuela, d'Argentine, d'Albanie, du Bénin et du Cameroun, réfugiés en France ou en déplacement... Mon premier dialogue avec un collectif d’ONG étrangères a été avec des ONG chinoises réunies en visio-conférence par notre ambassade à Pékin.

Causette : Au Kenya, il y a récemment eu le meurtre du militant LGBT+ Edwin Chiloba. Quand vous voyez cette actualité-là, comment réagissez-vous ? Que pouvez-vous faire ?
J-M.B. : Je ressens tout d'abord un grand sentiment d'injustice. Ce sont cependant aux autorités sur place de faire toute la lumière sur les circonstances de ce crime. Mais nous continuerons d'être aux côtés des associations dans ce pays.

Causette : Existe-t-il des pays que vous regardez plus particulièrement ?
J-M.B. : Différents types de pays m'intéressent. Ceux qui pénalisent l'homosexualité, en premier, sur lesquels nous devons concentrer notre plaidoyer. Parmi les grands pays du Sud, ceux qui peuvent être des alliés de la dépénalisation, ensuite, comme le Mexique ou l'Argentine, qui sont très engagés sur ces questions. Mais il doit y en avoir d'autres, si l'on veut gagner le combat pour les droits des personnes LGBT+. Il faut qu'on ait une coalition qui représente la diversité du monde. Enfin, on a identifié un certain nombre de pays qui pourraient basculer, au cours de l'année 2023, vers la dépénalisation.

Causette : Des sujets émergent-ils plus particulièrement également ? Dans beaucoup de pays, on sent monter une forme de transphobie, la ressentez-vous ?
J-M.B. : Ça monte énormément. On doit vraiment lutter contre la transphobie et réaffirmer partout que la transidentité n'est pas une maladie. La France l'a fait en 2010, l'OMS en 2019. On doit porter cette parole partout.
En dehors de ce message de dépathologisation, il faut continuer à demander la décriminalisation de la transidentité, car elle est encore considérée comme un crime ou un délit dans une dizaine de pays.  Enfin, notre combat contre les discriminations, les discours de haine et les violences doit bénéficier aux personnes trans comme aux gays, aux lesbiennes, aux personnes bisexuelles ou intersexes. Toutes les violences en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre doivent être combattues.

Causette : On parle beaucoup de pays qui ne sont pas forcément occidentaux. Mais plus proche de chez nous, il y a eu en 2021 le meurtre de Samuel Luiz en Espagne. Aux États-Unis, une tuerie homophobe a aussi eu lieu en novembre dernier dans une discothèque du Colorado. Comment pouvez-vous agir aussi pour ces pays-là, où l'homosexualité est dépénalisée depuis longtemps ?
J-M.B. : Dans des pays progressistes, qui ont une logique de reconnaissance, avec le mariage pour tous ou l'homoparentalité, l'homophobie et la transphobie n'ont pas disparu. Aucun pays ne peut dire qu’il est arrivé à éradiquer ce fléau. On doit continuer à lutter, à mieux partager notre expérience et notre expertise sur ces sujets. En particulier avec des pays comme l'Espagne et de l'Union européenne. On doit resserrer nos liens et développer notre coopération. Cinq pays disposent, par ailleurs, d'un ambassadeur aux droits LGBT+ : le Royaume-Uni (Nick Herbert), les États-Unis (Jessica Stern), la Nouvelle-Zélande (Louisa Wall), l'Argentine (Alba Rueda) et l'Italie (Fabrizio Patri). Nous nous réunissons régulièrement pour partager nos bonnes pratiques et nous coordonner.

Causette : Avez-vous, enfin, un regard sur ce qu'il se passe en France ? Est-ce que vous avez la possibilité aussi d'agir en Hexagone, notamment quand on voit le harcèlement homophobe qui a conduit à la mort du petit Lucas en janvier ?
J-M.B. : Mes missions sont exclusivement internationales. Mais Isabelle Rome, la ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, m'a permis de participer à la concertation visant à l'élaboration le plan national de lutte contre le harcèlement. Je participerai donc aux échanges sur les actions à mener en Europe et à l’international. Et je rapporterai sur les bonnes pratiques qui existent ailleurs et qui peuvent nous inspirer.

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