Police Dessin
Dessin publié le 13 novembre 2019 sur le compte Instagram de Lokz © Lokz Phoenix

Lokz Phoenix : des des­sins et un cœur bat­tant pour la démo­cra­tie de Hong Kong

Lokz Phoenix est illus­tra­trice. Installée depuis quatre ans à Paris, cette Hongkongaise qui a navi­gué dans le milieu de la mode des­sine aujourd'hui de plan­tu­reuses bai­gneuses, pour rendre aux femmes leurs vrais corps. Surtout, elle garde un œil sur la répres­sion poli­tique à l’œuvre dans son pays. Nous l'avons ren­con­trée pour dis­cu­ter de son tra­vail et de la crise à Hong Kong.

« C’est para­doxa­le­ment depuis la France que j’ai redé­cou­vert ma ville d’origine », raconte Lokz Phoenix, 34 ans, atta­blée dans un café pari­sien. Quand elle débarque, elle com­prend que tous les bus du monde n’ont pas deux niveaux, que par­ler cou­ram­ment anglais n’est pas mon­naie cou­rante et que por­ter un deuxième pré­nom anglais n’est pas une obli­ga­tion. Bref, Lokz, 30 ans à l’époque, prend la mesure de l’empreinte cultu­relle bri­tan­nique spé­ci­fique et per­sis­tante à Hong Kong.

À la base, son séjour en France ne devait durer que six mois, le temps de chan­ger d’air et de cas­ser la mono­to­nie de sa vie hong­kon­gaise. Lokz n’utilisera fina­le­ment pas son billet retour, « car les hasards de la vie et les ren­contres, les oppor­tu­ni­tés de [s]’épa­nouir dans [s]on métier d’illustratrice [la] font res­ter ». L’illustration – la plu­part du temps aqua­relle ou pein­ture acry­lique –, l’indisciplinée Lokz a là encore plon­gé dedans pour se sous­traire à son quo­ti­dien un peu ron­flant alors qu’elle tra­vaille en tant que gra­phiste pour une marque hong­kon­gaise. « Je n’ai jamais pris de cours de des­sins, j’avais fait des études de gra­phisme. Mais à force d’évoluer dans la boîte, je me suis retrou­vée à un poste où je ne fai­sais plus que mana­ger, sans plus créer », raconte celle qui, dans une socié­té hong­kon­gaise où les rôles sont encore très gen­rés, avait subi les remarques de son patron sur son manque de poli­tesse sup­po­sé parce qu’elle se refu­sait à por­ter du maquillage. Sa pre­mière expo­si­tion per­son­nelle à Hong Kong, juste avant son départ en France, est d’ailleurs une sorte de fuck au milieu de la mode et à sa manie de pho­to­sho­per les corps des femmes, hanches affi­nées, seins décuplés.

Inspirées de ses sou­ve­nirs de bains publics japo­nais, ces bai­gneuses tout en forme célèbrent les corps fémi­nins réa­listes, comme une manière de retrou­ver des canons de beau­té per­dus. « Avant le XXè siècle, les plus belles femmes chi­noises étaient celles que l’on consi­dè­re­rait aujourd’hui grosses, remet-​elle. Leur large taille était syno­nyme de richesse et de fer­ti­li­té. Aujourd’hui comme en France, on aime les filles tou­jours plus fines. »

L’influence de l’empire bri­tan­nique puis de la Grande-​Bretagne a contri­bué à sculp­ter les cri­tères de beau­té hong­kon­gais. D’ailleurs, cette ascen­dance cultu­relle était par­tout dans l’enfance de Lokz. Les infor­ma­tions, les pro­duits, la musique, les films, le foot… Le bri­tish soft power s’immisce dans toute la vie quo­ti­dienne, jusqu’aux petits déjeu­ners, que Lokz et sa famille prennent « anglais ». En fait, la petite Lokz gran­dit entre deux cultures : il y a par exemple Noël puis le nou­vel an chi­nois un mois après. « Mais à par­tir de 1989 et la san­glante répres­sion de la mani­fes­ta­tion de la place Tian’anmen, qui a fait des mil­liers de morts, l’ambiance est deve­nue très étrange. Les gens ont per­du confiance dans le par­ti com­mu­niste et ont fui mas­si­ve­ment. Au début des années 90, envi­ron 300 000 Hongkongais ont quit­té le ter­ri­toire. » En 1997, le Royaume-​Uni rétro­cède la ville de 7 mil­lions d’habitants au gou­ver­ne­ment chi­nois. Lokz a onze ans. « Comme de nom­breux Hongkongais à l’époque, une par­tie de ma famille s’est ins­tal­lée juste avant la date fati­dique de rétro­ces­sion au Canada, pour évi­ter la répres­sion poli­tique et poli­cière. Mes grands-​parents avaient eux-​mêmes choi­si de s’installer à Hong Kong pour fuir la dic­ta­ture maoiste, et ma grand-​mère me racon­tait quand j’étais petite les exac­tions du régime, jusqu’aux tor­tures dans les­quelles de soi-​disant oppo­sants étaient mis à genoux sur des tes­sons de verre. » 

Dans le concret, la rétro­ces­sion de son ter­ri­toire à la Chine ne change au final pas énor­mé­ment de choses dans le quo­ti­dien de la petite Lokz. Simplement, les nou­velles chan­sons qui passent à la radio se font moins poli­tiques et le ciné­ma hong­kon­gais, fleu­ron de l’exportation de la ville dans l’ensemble de l’Asie, perd de sa superbe et de son poil à grat­ter. « Une fois l’Angleterre par­tie, nous sommes deve­nus dépen­dants du mar­ché chi­nois, ce qui implique de ne pas frois­ser le gou­ver­ne­ment chi­nois. C’est insi­dieux mais aujourd’hui, beau­coup d’artistes n’osent plus éle­ver la voix par peur d’être mis au pla­card, remarque-​t-​elle. Et cela empire à cause de la crise actuelle. Par exemple, le pro­gramme télé sati­rique Headliner, qui exis­tait depuis 1989, a été sup­pri­mé en mai 2020 parce qu’il a été jugé trop cri­tique envers les forces de police hongkongaises. »

Mais cette silen­cia­tion des médias ne semble pas suf­fire aux auto­ri­tés. Cette année, pour la pre­mière fois en trente ans, la police de Hong Kong a inter­dit les com­mé­mo­ra­tions du 4 juin. Officiellement, il s’agissait de se pré­mu­nir contre les risques de pro­pa­ga­tion du coro­na­vi­rus. Personne n’a été dupe.

https://www.instagram.com/p/CBAu_jogjDe/

« J’ai fait ce des­sin en sou­tien aux mani­fes­tants qui chaque année allument des bou­gies en mémoire aux morts de Tian'anmen car c’est insup­por­table, s’insurge Lokz. À Hong Kong, les mani­fes­ta­tions en hom­mage aux mil­liers de morts du 4 juin 1989 avaient tou­jours été très calmes. Ce tra­vail de mémoire est très impor­tant pour l’histoire. Le fait d’avoir empê­ché les gens de sor­tir dans la rue le 4 juin der­nier, c’est comme si l’Allemagne niait le nazisme. » Loin des siens et de ses amis d’enfance, Lokz observe la dégra­da­tion du cli­mat poli­tique à Hong Kong avec amer­tume. Depuis un an et demi, un vent mau­vais souffle sur les liber­tés civiles et politiques. 

On l’a oublié, mais tout a com­men­cé par un fémi­ni­cide. Lors d’un séjour à Taiwan, un jeune Hongkongais tue sa petite amie enceinte suite au fait qu’elle lui ait révé­lé une infi­dé­li­té. Après s’être sor­di­de­ment débar­ras­sé du corps, le jeune homme rentre à Hong Kong où il est inter­pe­lé par la police et est jugé parce qu’il a uti­li­sé la carte bleue de sa vic­time. Hong Kong se déclare incom­pé­tente pour juger le meurtre. Et c’est là que le poli­tique inter­vient. Les deux villes-​régions au sta­tut admi­nis­tra­tif spé­ci­fique n’ont pas d’accord d’extradition. « La cheffe de l’exécutif hong­kon­gais, Carrie Lam, a alors déci­dé de pré­pa­rer une loi ren­dant l’extradition pos­sible entre Hong Kong et Taiwan, mais aus­si entre Hong Kong et la Chine, raconte Lokz. Alors même que Taiwan était prêt à trou­ver une conci­lia­tion d’exception pour cette affaire ! Ouvrir les extra­di­tions avec la Chine, c’est ouvrir une boîte de Pandore dans laquelle n’importe qui à Hong Kong pour­rait être arrê­té et extra­dé en Chine pour un pro­cès som­maire et à huis clos. » C’est cette crainte qui pousse en mai 2019 de mil­liers d’Hongkongais·es dans la rue et libère les vannes d’une vaste contes­ta­tion poli­tique en faveur de la démo­cra­tie. « La force du mou­ve­ment actuel, c’est qu’il a été ini­tié non pas par des étu­diants comme d’habitude mais par des per­sonnes issues de la magis­tra­ture, des avo­cats, des uni­ver­si­taires », observe Lokz. 

Le gou­ver­ne­ment de Carrie Lam a beau eu annu­ler son pro­jet de loi contro­ver­sé en sep­tembre 2019, les dizaines de mil­liers de manifestant·es, galvanisé·es par leur nombre et leur cou­rage, ont trou­vé dans le tour de vis sécu­ri­taire et la vio­lence de la répres­sion poli­cière de nou­veaux motifs pour pour­suivre leur lutte. Pêle-​mêle, les reven­di­ca­tions s’amoncèlent : démis­sion de Carrie Lam qui a per­du à leurs yeux sa cré­di­bi­li­té, pro­tec­tion de ce qui reste de l’espace de démo­cra­tie du ter­ri­toire et des liber­tés publiques… Surtout, depuis le 30 juin, les manifestant•es ont une nou­velle loi liber­ti­cide en ligne de mire.

L’Assemblée popu­laire chi­noise a voté ce jour-​là une exten­sion de sa loi sur la sécu­ri­té natio­nale au ter­ri­toire hong­kon­gais, qui pré­voit la pri­son à vie pour les cas les plus graves de « sépa­ra­tisme », « sub­ver­sion », « ter­ro­risme » ou « col­lu­sion avec des forces étran­gères ». Pour les obser­va­teurs, ce vote enterre une bonne fois pour toutes le concept de « un pays, deux sys­tèmes ». « C’est dra­ma­tique, souffle Lokz. Cette loi empêche défi­ni­ti­ve­ment toute cri­tique du régime. Par exemple, je ne peux plus dire que le pré­sident res­semble à Winnie the Pooh si ça me chante. Dans le domaine que je connais le mieux, l’art, il va fal­loir désor­mais redou­bler en créa­ti­vi­té pour trou­ver des moyens d’expression qui contournent la cen­sure, des méta­phores pour par­ler politique. »

La jeune femme observe qu'en réac­tion, les Hongkongais riva­lisent de soli­da­ri­té pour appor­ter leur sou­tien à la cause. « Je connais des entre­pre­neurs sur place qui vendent leurs pro­duits pour finan­cer les avo­cats des mani­fes­tants arrê­tés par la police. » De son côté, Lokz se tient alerte des pro­chaines mani­fes­ta­tions de sou­tien en France – elle y avait par­ti­ci­pé l’année der­nière. Elle espère que les médias étran­gers ne détour­ne­ront pas les yeux car l’attention mon­diale reste à ses yeux la meilleure pro­tec­tion : « Notre chance, c’est d’être ouverts sur le monde. Les auto­ri­tés ne peuvent pas trop en faire tant qu’on nous regarde. Quand ils ont inter­dit la com­mé­mo­ra­tion de Tian’anmen, les gens y sont allés quand même et la police n’a rien pu faire parce que la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale regar­dait et qu’ils ne pou­vaient pas décem­ment réité­rer mil­liers de morts comme en 1989. » Continuons donc à regarder.

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