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Écriture inclu­sive : elle en dit quoi la mère "Causette" ?

Les sénateurs en ont remis une petite couche mercredi en commission avec une proposition de loi visant à “protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive”. L’occasion de rappeler la position de Causette sur le sujet qui l’a mise en place il y a déjà six ans.

Ahhhhh… le serpent de mer de l’écriture inclusive ! Ce qui est bien avec elle, c’est qu’on n’a jamais fini de s’écharper sur le sujet. Alors puisque les sénateurs en ont remis une petite couche mercredi en commission avec une proposition de loi visant à “protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive”, avant un examen lundi dans l’hémicycle qui risque de réveiller les clivages, il n’est pas inutile de vous rappeler la position de Causette sur le sujet. Reprenons depuis le début. L’écriture inclusive consiste en des conventions d’écriture et de règles grammaticales qui visent à respecter le principe d’égalité femme-homme dans la langue française. Exemples : féminisation des métiers (auteure ou autrice, pompière…), utilisation du masculin ET du féminin lorsqu’on évoque un groupe (“les citoyens et les citoyennes” ; ou les “chef·fes”, “acteur·rices”), ou encore le recours à des termes universels comme “êtres humains” au lieu de “hommes”. 
Si « la langue reflète la société et sa façon de penser le monde », comme le déclarait le HCE en 2015 en encourageant l’écriture inclusive – idée à laquelle nul·le ne pourrait s’opposer à moins d’être inculte, bas de plafond ou de mauvaise foi (ça peut s’additionner évidemment) –, pourquoi diable cette proposition d’évolution de la langue déchaîne-t-elle autant les passions ? Ce serait une insulte à votre intelligence, chères lectrices, de nous lancer ici dans une explication de texte sur les raisons qui sous-tendent ce débat parfois nauséabond. Vous savez bien de quoi il retourne avec le sexisme rampant, bla-bla-bla…

Un “péril mortel” ?!

On ne va pas vous bassiner non plus en vous balançant une liste exhaustive des éructations qui inondent la Toile, les ondes et la presse écrite sur ce sujet. Indigeste ! Allez, accordez-nous juste le petit plaisir de relever parmi les charges les plus lues/entendues sur le sujet à commencer par celle de l’Académie française, qui se dresse vent debout contre cette « aberration “inclusive” » qui représente un « péril mortel » pour l’avenir de la langue ­française. Bigre, rien que ça ! Une petite dernière pour la route : la violente diatribe du virulent et très médiatique Raphaël Enthoven, pour qui « l’écriture inclusive est une agression de la syntaxe par l’égalitarisme, un peu comme une lacération de La Joconde, mais avec un couteau issu du commerce équitable ». Balaise comme image. 
N’en déplaise à ces augustes gardiens de la langue, ils oublient que le français fut bien plus olé olé par le passé. Jusqu’au XVIIe siècle, le langage n’était pas sous domination masculine : c’est la règle de proximité qui prévalait dans les accords. Ainsi, les hommes et les femmes étaient belles (sic). Boileau, Racine ou Corneille étaient-ils des rebelles féministes, des fossoyeurs de la langue ? Silence dans les rangs. Ça, c’était jusqu’à ce qu’en 1647, un certain Claude Favre de Vaugelas, membre de la jeune Académie française, préconise que le masculin doit l’emporter en grammaire, car il « est plus noble que le féminin ». Un siècle plus tard, le professeur Nicolas Beauzée justifie ce précepte en expliquant que « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ». Ben voyons.

Et Causette, dans tout ça ?

Qu’est-ce qu’il fiche LE magazine “plus féminin du cerveau que du capiton”, qui défend depuis bientôt quinze ans les droits des femmes ? Il inclut ou il inclut pas ? Bah… il inclut ! Et ce depuis fin 2017 ! Revoir notre charte en y intégrant les principes de l’écriture inclusive, ce n’était pas de la tarte. Il a fallu examiner toutes les règles, trancher entre le “all inclusive” (si on oublie les personnes transgenres, en transition et les agenres (non binaire ?), on va être taxées de transphobes !) et l’inclusion “modérée” (trois ou quatre règles de base pour commencer, c’est moins périlleux, non ?). Rédiger la nouvelle charte le plus clairement possible (mal de crâne). La faire appliquer par les rédacteurs et les rédactrices (parce que si les secrétaires de rédaction doivent en plus réécrire tous les articles à la sauce inclusive, on n’est pas à l’abri d’un pétage de plombs). Bref, ça nous a valu quelques prises de tête. Morceaux choisis… 
“Y a au moins un truc sur lequel on est déjà au carré : les droits des femmes, ça c’est acquis chez tout le monde à Causette. Et pour ce qui est des “droits humains” et pas “droits de l’homme”, on y est presque.” – “Champagne !”
“Pour la féminisation des métiers, ça se corse : auteure, auteuse ou autrice ? Même Le Robert et le Larousse ne sont pas d’accord : autrice pour l’un, auteure pour l’autre ! Et l’Académie qui en remet une couche : “Les termes chercheure, professeure, auteure, par exemple, ne sont aucunement justifiés linguistiquement car les masculins en -eur font, en français, leur féminin en -euse ou en -trice.” Et tu as lu son communiqué : “Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ?” Si on comprend bien, la féminisation ne serait qu’une “forme seconde et altérée”. Sympa, les gars… – “Hum… restons simples, OK ? Ce sera “auteure”, comme on le faisait déjà !”
“Qu’est-ce qu’on fait avec la règle de proximité pour les accords (“Les hommes et les femmes sont belles ?”) ? Sérieusement, c’est chelou, non ? Pfff, je sais que c’est une question d’habitude, mais je dois être réac, je ne m’y fais pas. Et toi ?” – “Ben, je crois surtout qu’on va se mélanger les pinceaux, on va oublier de corriger à chaque fois. Super risqué !” – “Sinon on peut aussi opter pour l’accord de majorité : quand les hommes sont largement supérieurs en nombre, exemple : “les académiciens sont des ringards”, au lieu de “les académicien·nes sont des ringard·es”. C’est plus lisible.” – “Rigolote, va ! Dans ton exemple, c’est évident que les mecs sont plus nombreux, mais dans d’autres situations, tu ne le sauras pas forcément !” – “T’as raison. Et si on ne changeait rien sur les accords…” – “Non mais, on est pour la déconstruction du sexisme ou pas ?! Oui ! Donc… accord de proximité, c’est évident !” 
Alors, là, attachez vos ceintures, on va parler séparateurs masculin-féminin pour marquer le féminin dans les mots. Take a Doliprane. Au début, on utilisait la parenthèse. Mais haro sur les parenthèses, c’est mettre les femmes entre parenthèses, qu’on nous a dit. Va pour les points, alors. Sauf qu’ils se confondent avec les points finaux, et la lecture devient plus compliquée. Sans compter les correcteurs orthographiques qui mettent une majuscule initiale à tous les mots suivant les points. Donnez-nous une corde ! Bon, bah ne reste que le recours à la double flexion (on décline à la fois au masculin et au féminin), au point médian ou les deux, selon : “les électeurs et les électrices” ou “les électeur·rices” se sont tou·tes rendu·es aux urnes. 
“J’entrevois le joyeux bordel quand il faudra couper un article trop long. Parce que la double flexion, ça va rallonger un max les papiers, à force !” – “Bon, le point médian, pas compliqué. C’est juste un point à insérer” – “Tu plaisantes, le point médian, c’est pas comme le point final. Faut se démettre le poignet pour le taper : alt+maj+F ! Et quand on aura un peu de temps après tout ça, on pourra peut-être vérifier les infos ? Toujours partante ? :)” – “Petit réconfort, y aura bientôt une nouvelle touche pour taper directement ce point médian.” 
Vous êtes encore là ?!

Bref, voilà six ans déjà que Causette a adopté l’écriture inclusive. Vous dire que ça ne nous a pas un peu coûté au départ serait mentir. Mais on s’y est tellement fait depuis le temps, qu’on ne sait même plus comment on faisait avant. La phrase “le masculin l’emporte sur le féminin” ne fait plus partie de notre vocabulaire et ça, franchement, n’est-ce pas notre plus grande victoire ?

Pour aller plus loin
Pour une communication publique sans stéréotype de sexe : le Guide pratique, par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. La Documentation française, 2016.
Manuel d’écriture inclusive,
de l’agence de communication Mots-Clés, 2017. À télécharger sur ecriture-inclusive.fr
Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !
d’Éliane Viennot. Éd. iXe, 2014.

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