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Micheline Bernardini lors de la présentation du Bikini à la piscine Molitor, à Paris, le 5 juillet 1946. ©Capture d'écran Ina.

5 juillet 1946 : nais­sance explo­sive du biki­ni, « bombe anatomique »

Il y a soixante-seize ans, Micheline Bernardini, 19 ans, portait le premier bikini de l’Histoire. Un maillot de bain deux pièces marqueur de l'émancipation des femmes, dont l’histoire vestimentaire oscille entre censure et révolution.

« Sur une plage il y avait une belle fille / Qui avait peur d’aller prendre son bain / Elle craignait de quitter sa cabine / Elle tremblait de montrer au voisin / Un deux trois, elle tremblait de montrer quoi ? Son petit itsi bitsi ouini, tout petit, petit, bikini. » En septembre 1960, Dalida chante l’histoire d’une fille qui n’ose pas s’afficher en bikini sur la plage. Derrière le ton badin, une observation réaliste : si le maillot de bain deux pièces devient, alors, le héros d’un tube mondial, ce n’était pas une conquête gagnée d’avance.

MichelineBernardini
Micheline Bernardini. Piscine Molitor,
Paris 5 juillet 1946. ©Wikipedia

Pour comprendre la naissance du bikini, il faut faire un détour par l’histoire militaire américaine. Retour au 1er juillet 1946. L’atoll de Bikini, dans l’Océan Pacifique, sert de décor à l’armée américaine pour ses premiers essais de bombe atomique sous-marine. La campagne médiatique qui entoure ses frappes nucléaires d’une puissance jusqu’ici inégalée inspire un Français. Louis Réard. Cet ingénieur automobile et gérant de la boutique de lingerie de sa mère, vient de trouver le nom qui manquait à son invention. C’est en observant des femmes rouler la culotte de leurs deux-pièces pour bronzer, qu’il a eu quelque temps auparavant, l’idée du bikini. Un costume de bain deux-pièces, « plus petit que le maillot de bain le plus petit au monde » composé de deux coques triangulaires pour les seins et d’un string tenu sur les côtés par deux bouts de ficelle. « La nouvelle bombe an-atomique », selon le slogan de son créateur. 

Bombe médiatique 

Quatre jours plus tard, la piscine Molitor accueille comme chaque année les célèbres Fêtes de l’eau, un concours de maillots de bain en plein air. L’occasion rêvée pour Louis Réard de présenter au monde son bikini. Problème, le créateur ne trouve aucune volontaire pour porter le bout de tissu riquiqui. Les candidates qui défilent autour de la chic piscine parisienne portent, en effet, toutes des maillots deux pièces dont la large culotte taille haute remonte pratiquement jusqu’en dessous des seins. Faute de parvenir à convaincre une mannequin de dévoiler son nombril et une partie de ses fesses, Louis Réard fait donc appel à une jeune strip-teaseuse du Casino de Paris. Micheline Bernardini, 19 ans, s’élance donc dans un bikini dont le tissu représente des coupures de presse. Comme si Louis Réard pressentait la bombe médiatique qu’il venait de déclencher. Car le bikini interroge, comme rarement un vêtement l'a fait dans l’Histoire, notre rapport aux corps féminins et à la pudeur.

Micheline Bernardini et son bikini ne remportent pas le concours mais font immédiatement sensation dans la presse de l’époque. « Le bikini révèle tout de la femme, sauf le nom de jeune fille de sa mère », déclare Louis Réard lors de la présentation. Malgré ce coup d’éclat, le bikini ne parvient pas, au départ, à se faire une place au soleil. Le maillot, si petit qu’il est vendu dans une boîte d’allumettes, peine à trouver ses acheteuses. La faute à son prix élevé mais surtout au tonnerre d’indignation qu’il déclenche. « Il est purement inconcevable qu'une femme pourvue de tact et de décence porte un jour une telle chose », écrit par exemple le magazine américain Modern Girl en 1947. En Europe, sous la pression du Vatican qui voit d’un mauvais œil l’arrivée du morceau de tissu, les gouvernements italiens, espagnols et belges interdisent la vente des bikinis en 1949. Sur les plages, la police n’hésite d’ailleurs pas à verbaliser les femmes qui le portent. En France, le bikini divise : s'il est prohibé sur les plages de l'Atlantique, il est autorisé sur celles de la Méditerranée. 

Révolution 

Si Louis Réard invente et commercialise le premier bikini tel qu’on le connaît aujourd’hui, son origine remonte à l’Antiquité, où les femmes portaient déjà des bandeaux et des culottes pour participer aux tournois sportifs. Mais les premiers maillots de bain – ou plutôt les premières tenues de bain – font leur véritable apparition avec l’essor des stations balnéaires au milieu du XIXe siècle. Pudeur et décence du siècle obligent, les femmes se baignent avec de longues et lourdes robes. Pour les hommes, moins de contraintes : combinaison une pièce à manches courtes et pantalon à mi-mollets sont acceptés. 

En 1907, la nageuse australienne Annette Kellerman ose l’affront de porter un maillot de bain une pièce sur une plage de Boston. Une audace qui lui vaut alors une arrestation et une belle amende. Il faut attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale et surtout l’arrivée des congés payés pour que, petit à petit, le maillot rétrécisse. Si le pantalon remonte et les manches longues disparaissent, il doit tout de même conserver une certaine longueur. Gare à celles qui oseraient en dévoiler davantage : les policiers civils n’hésitent pas à arpenter les plages pour mesurer les maillots de bain et verbaliser les imprudentes. 

En 1932, le couturier français Jacques Heim conçoit alors un maillot de bain deux pièces dont le nom, Atome, fait référence au plus petit élément sur Terre. « Le plus petit maillot de bain du monde » cache toujours le nombril des femmes, mais déjà, c’est une petite révolution : il remplace le maillot-gaine en laine tricoté, qui pèse si lourd une fois mouillé que nager en devient presque risqué. 

Émancipation féminine 

Mais, c’est véritablement avec le Bikini de Louis Réard que s’ouvre une nouvelle ère dans laquelle les corps féminins se dévoilent et se revendiquent. « L'arrivée du bikini est un événement dans l'histoire de la mode parce qu'il montre pour la première fois ce que les femmes n'osaient pas montrer jusqu'alors : leur nombril. C'est ça, la vraie révolution », expliquait en 2015 au micro de France 3 Ghislaine Rayer, qui possède l’une des plus importantes collections de maillots de bain d'époque au monde avec près de 5 000 pièces. 

Il faudra attendre l’année 1953 pour que le sulfureux bikini soit autorisé pour de bon sur les plages et devienne une pièce emblématique. Cet été-là, l’actrice Brigitte Bardot pose en bikini blanc à fleurs sur la plage du Carlton en marge du festival de Cannes. C’est l’explosion, littéralement. Le riquiqui costume de bain est adopté par toute une génération de femmes. Une pièce emblématique mais aussi politique, marqueur de l’émancipation des femmes. « Pour une femme, c’était une façon de prouver qu’elle était libre et indépendante. C’était un formidable symbole de liberté. On rompait avec les codes vestimentaires et moraux de l’époque », souligne Ghislaine Rayer.

Si grâce au bikini, la condition des femmes s’est certes allégée de quelques grammes de tissus, il a entraîné de nouvelles injonctions auxquelles les corps féminins sont désormais soumis. Parmi elles, celle du culte de la minceur qui ordonne toujours aux femmes de faire, sur la plage, le même effet qu’une bombe atomique américaine soufflant une île du Pacifique il y a soixante-seize ans.

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