Parentalité : la pas­se­relle, un relais pour souffler

Plus souple qu’une crèche, plus accueillant qu’un foyer social, le relais parental est un lieu aussi atypique que méconnu. Il permet aux parents de confier leurs enfants de quelques heures à quelques jours, le temps de sortir de leurs difficultés ou de se reposer. Reportage dans les Hauts-de-Seine, dans une maison pas comme les autres.

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© Clémence Pollet pour Causette

Dans une rue résidentielle de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), rien ne distingue le relais parental des logements voisins. Des volets bleus égayent la façade blanche. Un panneau indique que la porte est ouverte 24 heures/24, tous les jours et toute l’année. Dès l’entrée, une odeur de gâteau aux pommes cueille les narines. En cuisine, Siham s’affaire. Il est 14 heures, les petits dorment dans les chambres à l’étage. D’après sa fiche de poste, Siham est « maîtresse de maison ». Un terme un peu désuet qui cache une grande polyvalence entre accompagnement social, animation et intendance. « Ici, c’est comme une grande maison. On reçoit des enfants le jour et d’autres, le jour et la nuit. On les emmène à l’école, on va les chercher, on les nourrit, on joue, on cuisine, on plie du linge, on fait les devoirs et des sorties au parc… » Pour le déjeuner, elle leur a cuisiné des carottes, un gratin pommes de terre-épinards et des nuggets « pour leur faire plaisir ». Aux enfants qui l’appellent « Maman », elle explique que leur maman revient ce soir… ou dans quelques dodos.

Dans cette maison un peu particulière, les enfants viennent de quelques heures à quelques jours, ou plus, en fonction des situations et des besoins. C’est un relais parental, une structure méconnue de soutien à la parentalité, qui offre du répit aux familles confrontées à des difficultés périodiques ou passagères. Il en existe seulement dix en France, dont cinq gérés par la Croix-Rouge. Pour celui de Gennevilliers, qui a inspiré tous les autres, les financements proviennent du conseil départemental des Hauts-de-Seine, avec un budget stable de 1,7 million d’euros. Ici, pas de questions, ou si peu. La priorité : accueillir les enfants pour soulager les parents qui n’ont pas d’autre solution, leur permettre de souffler dans les moments critiques ou bien de résoudre leurs problèmes sereinement. Plus souple qu’une crèche, plus complet qu’un centre aéré, le lieu se présente comme une alternative à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et, surtout, comme un outil pour prévenir les placements en foyer. 

En novembre 1985, à l’initiative de l’association Passerelle 92, la toute première maison relais parental ouvre ses portes à Gennevilliers, suivie par une deuxième en janvier 1989, dans la même ville, pour faire face au nombre croissant de demandes d’accueil. Elles deviendront la Grande Passerelle et la Petite Passerelle. La première accueille jusqu’à quinze enfants âgé·es de 2 à 18 ans, qui peuvent rester dormir sur place ; la seconde offre douze places, en accueil de jour uniquement. Pour s’occuper de tout ce monde, une équipe de vingt-six personnes rassemble une directrice, une secrétaire, une pédiatre, une éducatrice, une psychologue, des cheffes de service, des techniciennes de l’intervention sociale, des maîtresses de maison, des agent·es de service et des agent·es d’accueil de nuit.

Mariam, qui est passée dire bonjour avec Amin en poussette, bénéficie en ce moment d’une place à la Petite Passerelle. À 33 ans, cette auxiliaire de puériculture n’aurait pas imaginé devoir faire appel au relais. Lorsqu’elle se retrouve enceinte d’Amin, son premier enfant, Maïdine, a seulement 15 mois. Sa grossesse est compliquée, elle est diminuée, alitée et finalement hospitalisée. « Mon mari travaillait et moi, je ne pouvais pas m’occuper de notre fils. J’ai appelé toutes les crèches de Gennevilliers pour une place en urgence, sans succès. Une puéricultrice de la PMI m’a donné le numéro de la Petite Passerelle. Je ne connaissais pas. » Aussitôt, Maïdine rejoint les onze autres enfants de la maison, le temps que Mariam accouche, en juillet, recouvre la santé… et obtienne une place en crèche, d’ici à la fin de l’année. Cette garde temporaire, du lundi au vendredi, de 9 heures à 17 h 30, lui coûte 6 euros par jour. Une participation calculée sur la base des revenus du foyer.

« Je ne serai jamais assez reconnaissante envers la Passerelle, ils m’ont aidée dans une période très dure moralement et physiquement. J’en parle beaucoup autour de moi pour que d’autres en bénéficient. » Pleine de culpabilité au début, Mariam a rapidement compris que c’était la meilleure solution pour son fils… et pour elle. « Quand j’ai vu que Maïdine allait bien, je suis redevenue sereine et apte à m’occuper de moi et de lui. » Elle a aussi profité des ateliers de parentalité proposés par Souria, qui passe justement une tête par la fenêtre de la salle de jeux et lance : « C’est pas une crèche qui s’occuperait des mères ! »

Un placement évité : une victoire

Dans le jardin ensoleillé de la Grande Passerelle, les jeux encadrés par l’équipe de salariées ont succédé à la sieste. Comme n’importe quelle maison pleine d’enfants, le lieu résonne de bonne humeur. La directrice, Sophie Desboves, traverse le salon jonché de jouets. Arrivée en 1989 pour ouvrir et gérer la deuxième maison, cette puéricultrice de formation n’est jamais repartie du relais, qu’elle dirige depuis 2001. « Je ne voulais pas travailler dans un lieu fermé comme une crèche. Ici, ce n’est pas une institution, c’est un lieu de vie souple où l’on peut agir et voir le changement sur les enfants. » 

Directrice engagée et militante passionnée, Sophie Desboves continue d’être très présente dans la maison, quand d’autres pourraient se contenter d’une direction administrative. « Ça ne me plaît pas de rester dans le bureau, j’aime m’impliquer au quotidien et m’occuper des mères. » Comme cette Malienne réfugiée, dont elle a accueilli les enfants, puis qu’elle a fait travailler une fois ses papiers obtenus.

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© Clémence Pollet pour Causette

À 62  ans, Sophie, qui habite à cinq minutes à pied de la Grande Passerelle, ne compte toujours pas ses heures ni combien d’enfants elle a vu passer. Trop pour se souvenir de chacun·e, pas assez pour être insensible. « Le plus dur, c’est d’être confrontée à la précarité des gens. Quand on est face à une femme sans ressources qui élève seule un enfant handicapé, on fait ce qu’on peut pour la soulager. Mais parfois, on est impuissant face à certaines situations », admet-elle avec la voix qui tremble. Parents isolés dépassés, divorces difficiles, violences familiales, maladies, chute de revenus… Autant de raisons qui poussent la Caisse d’allocations familiales (CAF), la Protection maternelle et infantile (PMI), le 115 et les hôpitaux à diriger les familles vers le relais parental pour stopper un engrenage dangereux. Chaque placement évité est une victoire ; chaque sourire, une récompense. « On a réussi quand la relation enfants-parents change ou quand les gens n’ont plus besoin de nous. On accompagne les enfants au mieux pendant un certain temps, mais le relais n’a pas été créé pour faire de la garde jour/nuit ad vitam. »

D’où ce nom de « Passerelle », qui annonce un chemin vers des jours meilleurs. Annick guette ce futur où sa situation s’améliorera. Depuis 2017, cette maman sans-papiers de 33 ans dépose ses enfants à la Grande Passerelle du vendredi 18 heures au samedi 18 heures. « Je n’ai pas d’aide des structures classiques. C’est mon seul soutien, ma deuxième famille. Je leur serai reconnaissante toute ma vie », dit-elle d’emblée. Pendant qu’Israël, 5 ans, et Doris, 3 ans, sont accueilli·es, elle se lève aux aurores pour effectuer des heures de ménage. Les autres jours, elle appelle dès qu’on la sollicite pour deux heures de travail, passe déposer ses enfants et repart tranquille. « J’appelle aussi quand je suis fatiguée, pour souffler un peu. Ils sont toujours là pour moi. » 

Avant de trouver un logement dans la commune voisine d’Asnières, Annick a vécu trois ans en hôtel par l’intermédiaire du 115, puis via une association. Avant encore, elle a quitté Abidjan, en Côte d’Ivoire, rejoint l’Italie puis Paris, seule, sans soutien amical ni familial. Pour elle et ses enfants, le relais offre davantage qu’un lieu de vie : « Ils ont appris plein de choses ici, sur l’éducation, l’hygiène, la collectivité. À la maison, ils demandent à faire comme à la Passerelle ! »

Pour couvrir tous les besoins, le relais parental a créé, en 1991, un réseau d’assistantes familiales qui s’occupent de deux à quatre petit·es chez elles, en plus des deux maisons d’accueil. Un réseau créé pour accueillir les bébés, les enfants porteur·euses de handicap ou celles et ceux qui vivent mal la collectivité. Depuis vingt-deux ans, Sylvie Lajri coordonne ce réseau, qui est passé de douze professionnelles à quatre seulement. « Les assistantes familiales sont mobiles, solides et souples, mais elles vieillissent. On peine à recruter. C’est un métier difficile, qui demande beaucoup d’investissement. »

Accueil d’urgence ou de long terme

Certaines arrivées sont préparées en douceur, d’autres se font dans la précipitation. Il suffit qu’une jeune maman isolée soit confrontée à une hospitalisation plus longue que la normale à la suite d’un accouchement, et Sylvie Lajri doit solliciter une assistante pour qu’elle prenne chez elle un·e nouveau-né·e dans l’heure. Elle non plus n’est pas vaccinée contre la misère. « Ces femmes isolées n’en peuvent plus de n’avoir personne sur qui compter. Je pense à une maman sans-papiers dont on a accueilli l’enfant un an en assistante familiale et un an à la Petite Passerelle : elle a donné mon nom comme contact d’urgence avant son hospitalisation, car elle ne connaissait personne d’autre... »

À côté des accueils d’urgence et des dépannages, il y a aussi les parents épaulés sur le long terme, avec des accueils courts mais réguliers. C’est le cas de Vincent, qui fait partie des rares pères isolés. Deux ans après la naissance de son fils, Charlie, il doit quitter la mère, devenue violente envers le petit. Il se retrouve en garde exclusive d’un enfant traumatisé, avec un travail d’intermittent qui le fait beaucoup voyager et sans aide familiale à proximité. Il rencontre l’équipe de la Passerelle une première fois, mais hésite. « J’avais vraiment un a priori horrible, l’impression que j’allais abandonner mon fils dans un orphelinat. Je pensais pas en arriver au point d’en avoir besoin. » 

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© Clémence Pollet pour Causette

Un an plus tard, les difficultés le submergent et il revient vers l’équipe pour organiser l’accueil de Charlie chez une assistante familiale. Les trois premières années, l’enfant y va deux ou trois week-ends par mois et une grande semaine ­pendant les vacances. Petit à petit, Charlie s’ouvre : lui qui n’acceptait plus d’être touché par une femme accorde sa confiance. De son côté, Vincent délaisse sa culpabilité et gagne en apaisement, en normalité. « Charlie la voit depuis sept ans maintenant et l’appelle “Tata”. J’ai enfin le sentiment de maîtriser ce que je peux lui proposer pour l’avenir. Depuis un an ou deux, on commence à espacer les accueils. » Aucune autre structure n’aurait pu lui apporter cette souplesse.

Retrouver la sérénité

Pendant que l’on discute dans le jardin, le gâteau aux pommes a été servi. Avec le goûter arrivent les enfants scolarisés. D’abord Lucas, 14 ans, qui rentre du collège en bus, puis Pia, sa petite sœur de 7 ans, que Siham a ramenée en voiture. Ils vivent dans la maison depuis juin, du lundi au vendredi. Tout l’été, il et elle ont eu beaucoup de compagnie, « mais les autres sont partis, car leur situation familiale s’est améliorée », explique Lucas en se servant un verre de jus d’orange. Concernant sa situation et celle de Pia, il prévient que « c’est compliqué » et tente un résumé : un divorce, un beau-père qui le maltraite, la justice qui confie la garde au père, mais ce dernier bosse quinze heures par jour. Lucas et Pia atterrissent à la Grande Passerelle. « Ça sonne plus joyeux ­que “relais parental”. Je suis content, ici. Je suis en sécurité, je mange, je dors. Et ma sœur a vu qu’elle n’était pas toute seule dans cette situation. » Pia confirme : ici, elle aime « les jeux, dormir et manger ». Elle a « tout le temps faim », clame-t-elle en reprenant du gâteau. Le week-end, ils retrouvent leur père : « Il travaille plus la semaine pour pouvoir nous prendre », précise Lucas. Ils garderont ce rythme jusqu’en juin de l’année prochaine.  

En décembre 2022, la directrice, Sophie Desboves, prendra sa retraite. « Une petite retraite » qui ne sera vraisemblablement pas à la hauteur de ce qu’elle a donné à celles et ceux qui sont ­passé·es dans « sa » maison. Avant, elle a à cœur de passer le relais aux conseils départementaux qui envisagent d’ouvrir des lieux similaires, comme celui du Loiret, qui a quatre relais en projet. Dans le salon de la Grande Passerelle, Pia s’est mise à ses devoirs sur la grande table qui accueillera un peu plus tard le dîner des enfants. Lucas fait les siens dans sa chambre. Encore un dodo, et ils retourneront dans leur vraie maison pour le week-end.

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