Louise Michel, la « femme tempête »

France Culture nous propose de marcher dans les pas de Louise Michel, icône de la Commune. En se plongeant dans les centaines d’archives que cette agitatrice a suscitées (procès, coupures de presse, lettres...) Judith Perrignon, productrice de cette émission, nous fait redécouvrir celle qu’elle nomme la « femme tempête ».

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Lorsque France Culture a proposé à la journaliste et autrice Judith Perrignon de produire cette Grande Traversée sur Louise Michel, (cinq épisodes d’une heure à retrouver ici), c’est d’abord le plaisir de retrouver le XIXe siècle qui l’a attirée. Une époque qu’elle a parcourue aux côtés de Victor Hugo pour un livre précédent1 : « J’aimais l’idée de retrouver ce siècle de l’utopie, alors que notre présent est bloqué dans une impasse de l’espoir. » La figure de Louise Michel, anarchiste, activiste, intraitable humaniste au verbe haut, incarne à merveille l’impulsion progressiste de ce siècle exaltant, qui croit encore en un avenir meilleur. Une image brillante, qui relègue dans son ombre les autres femmes politiques. « Ce long portrait était aussi l’occasion de faire réapparaître les femmes, toutes celles – agitatrices, militantes – qui étaient aux côtés de Louise Michel et qu’on a invisibilisées. L’Histoire est écrite par les vainqueurs et par les hommes, il faut toujours la réinterroger. »

La vierge rouge

Invisibilisées, les femmes le sont doublement dans l’histoire de Louise Michel, telle qu’elle nous est, depuis toujours, racontée. Elles sont pourtant très présentes, dans sa vie intime et dans son engagement militant. Louise découvre ce qu’aujourd’hui on nomme la sororité, lorsqu’elle devient enseignante. Judith Perrignon laisse le soin à l’historienne Michelle Perrot de décrire cette période : « Louise a alors rencontré d’autres institutrices comme elle. Toutes ces filles sont très gaies, comme elle-même d’ailleurs. Ensemble, elles fréquentent des cours du soir, ça donne un milieu effervescent de jeunes femmes qui sont entre elles, assez libres […] Les institutrices avaient étudié, travaillé, elles étaient le premier degré de l’ascension sociale. On peut penser qu’il y avait une sororité renforcée dans ces milieux. »

C’est dans cet épisode qu’est abordée la vision officiellement hétérosexuelle de Louise Michel, surnommée la « vierge rouge ». Les Grandes Traversées suggère – sans jamais trancher – une intimité amoureuse avec certaines de ses camarades de lutte. La jeune historienne Sidonie Verhaeghe ré-ouvre la réflexion": « On la surnomme “vierge rouge”, car elle ne s’est jamais mariée, n’a jamais eu d’enfant. Elle devient donc, comme Jeanne D’Arc, une vierge de l’Histoire. Ça révèle deux choses : qu’on se focalise sur la sexualité, pour les femmes, et aussi que Louise apparaît comme une figure nécessairement hétérosexuelle, qui, comme elle ne s’est pas mariée, serait forcément vierge. » Michèle Perrot précise : « Lesbienne, c’était un mot qu’on ne connaissait pas. On imaginait la chose, mais on ne la nommait pas. »

Louise Michel grayscale

Au fil du temps, Louise Michel a souvent vécu avec des femmes. Avec Nathalie Lemel, activiste féministe, déportée comme elle au bagne de Nouvelle-Calédonie, après la Commune de Paris. Avec Marie Ferré, la sœur du communard assassiné, Théophile Ferré, que Louise aima follement. Avec Charlotte Vauvelle, qui partagera sa vie jusqu’à la fin et qu’elle nommait sa « compagne dévouée ». Amantes, amies… on ne le saura jamais. Judith Perrigon précise : « Je crois que l’érotisme de Louise allait plutôt vers la Révolution. Mais même si on n’a pas de réponse certaine, cette question méritait d’être posée. » 

Des revolvers à la taille

La Commune de Paris est un chapitre important de l’histoire de la lutte pour l’égalité femmes-homme. Un mouvement se réclamant du féminisme est créé en avril 1871, au cœur de la révolte, l’« Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés ». À sa tête, Nathalie Lemel, ouvrière relieuse, et Élisabeth Dmitrieff, intellectuelle proche de Karl Marx. Cette association devient la plus grosse structure au temps de la Commune. Elle distribue du travail aux femmes et organise leur participation active à l’insurrection. Les communardes revendiquent l’égalité des droits, des salaires, de l’instruction laïque, l’autorisation du divorce. Le soir, elles débattent des réformes dans les clubs politiques, souvent dans des églises confisquées au clergé. Judith Perrignon nous fait revivre ces moments exaltants, en relisant les Mémoires de Louise, décrivant les insurgées : « En voilà une dans un uniforme de zouave, laissant tomber sa longue chevelure sur ses épaules. Une autre est vêtue d’un pantalon de turko et d’une veste de hussard en velours cramoisi chamarré de broderies. Elle a des bottines à glands d’or, deux révolvers à la taille et une toque à cocarde rouge. Tout ça sous les yeux des curés horrifiés. » 

Des évangiles à la révolution

La « femme tempête », qui brandira le drapeau noir de l’anarchie, a pourtant vécu une enfance pieuse. L’émission creuse cet épisode peu connu de sa vie, ces premières années mystiques, traversées de secrets de famille. Un père qui est peut-être son frère, un grand-père qui est peut-être son père, une mère méritante, et silencieuse, un Dieu pur et intransigeant… La petite fille est née en Haute-Marne, dans un château qui tombe en ruine. Sa mère est la domestique de la famille, qui "adopte" la petite Louise sans père connu. Elle grandit parmi les mystères et les envolées religieuses. « Elle est passée, analyse la productrice, comme beaucoup à cette époque, des évangiles à la révolution. Elle restera marquée par un élan messianique, mais elle va construire une autre forme d’espoir, un espoir politique. » Cet ancrage spirituel nourrit ses rêves, ses ambitions de bouleversement sociaux, Louise Michel sublime la lutte, demandant la prison quand on la gracie, réclamant la mort lors son procès pour la Commune. Elle vécut longtemps sous la protection de Victor Hugo et de Georges Clémenceau, progressistes très modérés comparé à elle, mais qui savait tout ce qu'elle incarnait de la quête de son siècle.
Pour la productrice, le destin de Louise Michel permet d'interroger l'articulation entre l'utopie politique et le réalisme, et produit un écho à notre présent  : « C’est un effet miroir avec notre époque, qui, depuis quarante ans, combat l’utopie sociale et s’abreuve de réalisme économique. Et qui génère une vraie crise de la citoyenneté et au retour du religieux. »

Savourons donc un souffle d’utopie aux côtés de la « femme tempête », visionnaire à ses heures, qui déclarait : « Simple, forte, aimant l’art et l’idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer ni être dominée. »

Les Grandes Traversées, Louise Michel, la femme tempête, par Judith Perrignon. Réalisation Annabelle Brouard et Gaël Gillon.

  1. Victor Hugo vient de mourir, de Judith Perrignon. Ed. L’Iconoclaste, 2015. Prix révélation SGDL 2015.[]
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