« Je te crois » sai­son 1 : Rachida, vic­time de vio­lences conju­gales et actrice de sa reconstruction

La première saison de la création sonore Je te crois s’attaque au thème des violences conjugales, avec la spécificité de permettre à une victime d’aller à la rencontre des représentant·es d’institutions, celles qui l’ont aidée comme celles qui n’ont pas su entendre sa détresse, voire, qui ne l'ont pas crue. Je te crois suit donc Rachida, 57 ans, dans son combat pour apporter soutien et espoir à d’autres, qui, elles, ne distinguent pas encore le bout du tunnel.

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© Frederic Azevedo Figueiredo

C’est le 25 novembre dernier, Journée internationale de l’élimination des violences faites aux femmes, qu’est sorti le premier épisode du podcast Je te crois, produit par la société Double Monde. Un coup d’envoi symbolique auquel succèdent sept autres épisodes tous les quinze jours pour suivre le parcours d’une combattante, Rachida, 57 ans, qui sort enfin la tête du marécage des violences conjugales comme on guérit d’une longue maladie. Après dix-sept ans de calvaire. 

« Car encore aujourd’hui, plus proche de nous qu’on ne le croit, une femme a peut-être besoin qu’on lui dise “je te crois”. » La voix de la journaliste Marjorie Murphy nous rappelle à chaque fin d’épisode du podcast qu’elle a cocréé avec Cécile Gorse que les violences faites aux femmes sont trop souvent mises sous cloche et que le secours, parfois vital, ne leur est pas suffisamment apporté. Interpellées et chamboulées lors d’une table ronde sur ce sujet, les deux fondatrices de Double Monde, fort heureusement non concernées par les violences conjugales d’un point de vue personnel, décident en parallèle de leur activité de podcasts réalisés pour des marques, de défendre des causes qui leur tiennent à cœur. En France, en 2019, 142 310 personnes ont été victimes de violences conjugales dont 88 % étaient des femmes et 146 d’entre elles ont péri sous les coups de leur compagnon ou ex. 

Comment aider ces personnes à la fois recluses et terrorisées ? À travers son expérience personnelle, Rachida apporte des éléments de réponses en indiquant la marche à suivre. Elle témoigne de cette quête pour reconquérir la confiance en soi et dans les autres afin de trouver la force de parler. Puis pour comprendre qu’elle était victime, l’accepter, le verbaliser et entendre pour la première fois : « Je te crois. » Mais cette phrase qui change tout et visibilise sa douleur n’est que le début d’une lutte ponctuée de difficultés d’écoute et de prise en charge. Ce qu’elle appelle « les violences institutionnelles ». « Donner la parole à celles et ceux qu’on entend le moins est une chose essentielle, mais il faut aussi avoir les réponses adaptées de la part des institutions », déclarent quant à elles, Marjorie et Cécile, qui l'accompagnent sur le chemin de la transmission. Si Rachida raconte son histoire à leur micro, c’est avant tout pour dire à son tour aux autres femmes battues « Je te crois », et entrevoir la possibilité de la reconstruction. Elle pointe du doigt certains dysfonctionnements du milieu médical, policier, judiciaire, avec l’espoir de repenser un système qui dessert trop souvent les victimes. 

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Marjorie et Rachida © Cécile Gorse

« J’étais rebelle, je voulais écrire mon histoire de femme. »

Rachida

Dans le premier épisode, on découvre Rachida, et les prémices d’une longue descente aux enfers. Quand elle rencontre celui qui deviendra le père de ses enfants, la jeune femme sent déjà que  « quelque chose [ne va] pas », sans encore parvenir à saisir le problème. Elle aimait à se rappeler un adage entendu en Algérie : « Au fond du cœur de chaque humain, tu trouves un soleil. » Le feu, elle, l’anime très tôt. C’est à 20 ans que Rachida quitte son pays natal pour s’installer en France : « J’étais rebelle, je voulais écrire mon histoire de femme. » Travailleuse sociale pour la petite enfance, elle rencontrera dans un cadre professionnel son futur conjoint, qui deviendra progressivement son tortionnaire. 

« Je me suis dit, c’est l’enfant de mon pays, de ma terre et de mon ciel, on écoutait la même musique, on racontait les mêmes histoires. » Ce conjoint violent, d’un an son cadet, s’est approprié la vie de Rachida à coups de « moi aussi », pour lui donner un semblant de complicité, de socle commun. Mais au cœur du foyer qu’ils finissent par former, tout commence par des petits riens qui alertent Rachida : des remarques insidieuses sur l’âge de la jeune femme, des moqueries sur les quelques fautes d’orthographe qui subsistaient d’une scolarité entièrement en arabe. Puis ce sont une table brisée, un fer à repasser bouillant lancé dans sa direction, des hématomes gynécologiques. La vie de Rachida finit par ressembler à celle d’un insecte pris au piège dans une toile d’araignée. « J’aime les araignées depuis toujours, je les observe. Et quand je pense à ma situation, c’est l’image qui me vient, d’être piégée. » Car avec trois enfants, eux aussi parfois victimes de violences et témoins de celles infligées à leur mère, Rachida fait non seulement office de souffre-douleur mais aussi de pare-chocs. 

La grande force de ce podcast, c’est que les rencontres avec les expert·es sont menées non pas par les réalisatrices mais par la protagoniste elle-même, qui, de ce fait, incarne pleinement son combat.

Le déclic arrivera tardivement lors d’une visite en 2012 chez une médecin du travail, qui parvient à déceler la maltraitance conjugale dont est victime Rachida. C’est grâce à cette rencontre qu’elle décide de déposer plainte, motivée et soutenue par la professionnelle de santé qui l’oriente vers l’UMJ – l’unité médico-judiciaire. « Elle a mis des mots sur les maux, pour la première fois, je n’avais plus honte. » Commence alors le début d’un combat d’une nature différente, celui de la reconstruction, qui s’avère longue et pleine d’embûches administratives. Aujourd’hui, presque dix ans après, Rachida arrive à parler « sans avoir mal au ventre » et par cet acte aider d’autres femmes invisibilisées qui sont dans la nécessité d’être entendues et accompagnées. Car entre des personnels soignants, des forces de l’ordre, et des juristes mal formé·es ou simplement en manque d’outils face aux violences intrafamiliales, le chemin de la guérison se révèle très éprouvant.

La grande force de ce podcast, c’est que les rencontres avec les expert·es sont menées non pas par les réalisatrices mais par la protagoniste elle-même, qui, de ce fait, incarne pleinement son combat. Ainsi, dans le second épisode de Je te crois, Rachida part à la rencontre de la docteure Catherine Oresve, qui travaille dans le même cabinet que celui de la médecin qui l’a aidée en 2012. Marjorie Murphy lui demande si elle est prête et la réponse est sans appel, c’est oui ! La journaliste lui laisse tout l’espace d’expression nécessaire pour poser des questions capitales, dont une qui interroge l’auditeur·rice tout autant que les victimes de violences : les soignant·es sont-ils·elles formé·es à les accompagner, à les comprendre ? Docteure Oresve ne fait pas aveu de faiblesse, mais reconnaît pour autant que, parfois, il y a une incapacité à entrer dans l’intimité, que les professionnel·les de santé ne sont pas toujours en mesure de déceler le mal qui rongent leurs patient·es. Et que le rôle de dépositaire de la parole n’est pas systématiquement endossé. Faute de temps, mais aussi de formations adéquates.

Dans le troisième épisode, après avoir essuyé de nombreux refus de la part de plusieurs antennes de police devant sa requête de rencontre, Rachida interroge finalement l’ancien directeur général de la gendarmerie, qui tient un discours similaire : malgré les efforts qui semblent être déployés, « nous ne vivons pas dans un monde parfait ». Il se sent également désarmé, mais indique toutefois qu’il est possible de dénoncer son agresseur par lettre envoyée à la préfecture, sans se déplacer dans un commissariat. Rachida l’ignorait, au même titre que Marjorie et Cécile, qui déplorent un cruel manque de communication sur les moyens existants.  

Face à ces manquements et à la crainte d’être jugée ou considérée de menteuse, Rachida n’osera pas employer certains mots, ce jour de 2012 où elle porte plainte auprès de la police : le viol conjugal, incompris et impensé, deviendra dans sa bouche un simple « abus ».  

 " La boucle est bouclée. Ce podcast aura finalement incité des femmes battues à nous contacter suite à son écoute. Nous servons de relais et les orientons vers Rachida"  

Marjorie Murphy

À travers ce podcast, le message est clair : « Il faut déconstruire le système, le repenser et débanaliser les violences. » Une lutte portée par Rachida, qui nous touche et nous oblige à regarder autour de nous. Le long des huit épisodes, nous suivons le cheminement de Rachida, de façon chronologique, au fil des rencontres, dont certaines seront salvatrices : une victimologue qu’elle retrouve avec joie dans l’épisode 4, une avocate ou encore la fondatrice de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine Saint-Denis. Dans l’épisode 7, Rachida animera une table ronde à la Maison des femmes de Montreuil, avec entre autres les Colleuses, et recueillera d’autres témoignages. Elle s’engage maintenant auprès de victimes et leur donne des clés d’accompagnement. « La boucle est bouclée, conclut Marjorie Murphy. Ce podcast aura finalement incité des femmes battues à nous contacter suite à son écoute. Nous servons de relais et les orientons vers Rachida », devenue une survivante réinsufflant de la vie là où elle semble déserter. 

Si cette première saison est consacrée au douloureux sujet des femmes violentées, Marjorie Murphy et Cécile Gorse souhaitent développer de nouvelles thématiques à l’avenir, comme le harcèlement scolaire, les entrepreneur·euses qui se lancent dans leurs projets contre tous les avis, toujours dans un souci de libération de la parole pour les nombreuses personnes qui se sentent illégitimes de la prendre. Pour continuer à entendre « je te crois » et saluer celles et ceux qui le disent. 


Disponible sur toutes les plateformes de podcasts, dont Spotify.
Le troisième épisode sort ce mercredi 6 janvier 2020.

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