Zanele Muholi, « acti­viste visuel·le » au ser­vice de la beau­té queer

La Maison européenne de la photographie à Paris expose la première rétrospective française de l'artiste non-binaire sud-africain·e Zanele Muholi, qui s'attache à créer les archives visuelles de la communauté LGBTQIA+ noire de son pays. Visite guidée.

SOMNYAMA Ntozakhe II Parktown 2016
Série Somnyama Ngonyama. Ntozakhe II, Parktown, 2016
© Zanele Muholi. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et Stevenson,
Cape Town/Johannesburg and Yancey Richardson, New York

Dans la démarche militante de « l'activiste visuel·le », comme iel se définit, Zanele Muholi, il y a un impératif immuable : toujours mentionner les prénom et nom de la personne photographiée, pour « s'inscrire en opposition avec la photographie anthropologique du passé, dans laquelle le photographe n'indiquait qu'un vague "enfant noir", "femme noire" ». C'est ce que l'artiste sud-africain·e explique aux journalistes venu·es découvrir la première rétrospective française qui est consacrée à son œuvre saluée à l'international et qui débute mercredi 1er février à la Maison européenne de la photographie (MEP) à Paris.

Voilà plus de vingt ans que la·le photographe non-binaire documente les vies, souvent joyeuses, parfois très sombres, de la communauté LGBTQIA+ noire d'Afrique du Sud. Ses (auto)portraits, la plupart du temps pris à l'argentique en noir et blanc, alternent entre grâce, volupté et à l'inverse, sentiment d'anxiété. Toujours, les regards sont pénétrants et les sujets observent autant qu'ils sont observé·es.

Une autre Afrique du Sud, loin des clichés de violence

Devant les clichés saisissants de sa série Being (« Être »), qui montre des couples lesbiens, gay ou queer dans leur quotidien amoureux, Zanele Muholi, né·e en 1972 à Durban, raconte : « J'ai débuté cette série autour de l'intimité des couples en 2006, année de légalisation du mariage gay et lesbien [L'Afrique du Sud devient alors le cinquième pays au monde à avoir légalisé le mariage pour tous·tes, ndlr]. Ce moment a été tellement important pour ma vie personnelle et artistique que je peux dire que ma vie a commencé cette année-là. » Sur certains clichés, Zanele Muholi n'hésite pas à se mettre en scène iel-même avec d'anciennes amantes. « Nous avons besoin d'archives visuelles de nos amours, pour lutter contre la croyance selon laquelle l'orientation sexuelle ou l'identité de genre sont des importations coloniales en Afrique, argue l'artiste. L'idée est aussi de venir en soutien de nos droits civiques, encore si fragiles. »

En face, comme en réponse à ces propos, ce sont des photographies issues de la série Only Half the Picture qui sont présentés. C'est la plus ancienne, débutée en 2002. Zanele Muholi y documente la vie des survivant·es de crimes haineux envers les personnes noires LGBTQIA+. Une violence à la croisée du racisme et des LGBTphobies, suggérée plus que montrée chez Muholi. Ce qui intéresse l'artiste, en montrant « seulement la moitié de l'image », c'est plutôt la tendresse et la consolation des êtres après la violence. Ici, la communauté devient le refuge, l'appui qui donne la force de porter plainte puisque Zanele Muholi photographie aussi des documents relatifs aux procès. « Dans mon travail, je cherche généralement à montrer une autre Afrique du Sud que celle dépeinte habituellement : une imagerie violente colle à la peau de ce pays, ce qui est évidemment réducteur. Par ailleurs, la violence existe partout, même en France, c'est juste qu'on ne la montre pas. »

Autoportraits en déesses noires

D'autres séries - Brave Beauties (« Beautés courageuses », commencée en 2014), Queering the space (« Donne une dimension queer à l'espace public », 2006 - 2009) ou Faces and Phases (« Visages et étapes », commencée en 2006) - sont pensées comme des pierres à l'édification lumineuse d'une archive queer sud-africaine et noire. Là des reines de beauté trans, ici des personnes noires qui se réapproprient l'espace public marqué par des années d'apartheid, là encore des portraits sans artifice de lesbiennes et autres personnes queers noires. Zanele Muholi magnifie les corps noirs au service d'un message politique, tout en s'attachant à rentrer en connexion profonde avec ses sujets. Ainsi de Yaya Mavundla, femme trans et mannequin, avec qui le·la photographe a partagé une colocation à New York et a tissé une « relation d'amour, bien au-delà de la photographie ». « Je n'ai pas de liens avec tous et toutes comme avec Yaya mais ce qui est sûr, c'est qui l'exercice de la photo nécessite une rencontre intime entre le sujet et le photographe », observe Muholi.

Enfin, l'une des séries les plus emblématiques et troublantes exposées dans cette rétrospective est celle de ses autoportraits, Somnyama Ngonyama (« Salut à toi, lionne noire » en zoulou). Zanele Muholi s'y représente et s'y réinvente « sans autre artifice que la lumière naturelle », campant une féminité au fait de sa puissance et de sa capacité à aimanter les regards. « Je ne noircis pas ma peau, ce sont seulement les jeux de contrastes lors du développement des photos qui la rendent plus foncée qu'elle ne l'est. Le contraire serait une auto-humiliation rappelant les black faces », précise Muholi. Ici, seuls quelques objets détournés du quotidien - des pinces à linge, un dentifrice utilisé en maquillage blanc ou encore, des peignes pour chevelures afro - sculptent des effigies de déesses noires aux lignes graphiques. Comme si Muholi, artiste non-binaire revendiqué·e, souhaitait brouiller à nouveau les pistes dans une ode à la féminité qu'iel a la liberté de quitter et de retrouver quand il lui plait.

Cliquez sur les images pour les agrandir

Rétrospective Zanele Muholi à la Maison européenne de la photographie Paris IVème arrondissement, du 1er février au 21 mai.

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