Michael Lonsdale : « Il y avait un abso­lu chez Marguerite Duras »

Le grand comédien et la toute petite Marguerite étaient comme les deux doigts de la main. Ils ont multiplié les projets ensemble, et Duras lui a offert ce qu’il considère comme l’un des plus beaux rôles de sa vie : celui du vice-consul dans son film India Song.

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Michael Lonsdale dans India Song (1975).

"Nous nous sommes rencontrés en 1968, quand Claude Régy a proposé mon nom pour jouer sa pièce L’Amante anglaise dans le théâtre des Barrault. Une pièce que nous avons reprise pendant près de trente ans. Je jouais le rôle de l’interrogateur. Marguerite venait presque tous les jours aux répétitions. Et elle changeait le texte tout le temps. Sur mon texte, il y avait son écriture, la mienne, celle de l’assistante. Je l’appelais “le torchon”. Elle parlait beaucoup de son texte. Mais n’intervenait pas dans le travail de Claude Régy. En revanche, quand on a monté Le Navire Night, en 1979, elle se mêlait de la mise en scène de Régy. À tel point qu’un jour j’en ai eu marre de leur double commandement. Je me suis arrêté en pleine répétition et j’ai dit : “Maintenant ça suffit ! Je ne peux pas obéir à papa et maman en même temps.”

À cette période, elle buvait. Elle arrivait au théâtre Édouard‑VII et elle disait : “Quelqu’un peut pas aller m’acheter une bouteille de vin ?” Et elle ne sortait pas son porte-monnaie ! Elle avait des angoisses au sujet de l’argent, c’était faramineux. C’était maladif, sans doute lié à la pauvreté qu’elle a connue dans l’enfance. Quand on a tourné India Song (1975), c’était comique. Elle improvisait totalement. Elle disait : “Je ne sais pas où mettre la caméra.” Tout le monde pensait qu’on avait fait un magnifique tournage en Inde, mais moi, je répondais en m’amusant : “Oui, c’était merveilleux, mais ça s’appelait Neauphle-le-château !” [en référence à la maison de Duras dans les Yvelines, ndlr] 

Une quête d’amour inassouvie

Avec Marguerite, nous avions des rapports enfantins. On avait de ces fous rires ! Une fois, elle avait apporté un recueil de lettres que les gens écrivaient à la Sécurité sociale. C’était hilarant. Je me souviens d’une notamment. Une dame avait écrit : “Je suis très embêtée, mon mari est décédé et je n’arrive pas à le sortir de la caisse.” Voilà qui nous faisait mourir de rire. Ou une autre : “J’ai le foi à la place du cœur.”

Nous avions beaucoup d’intérêts en commun. Notamment une passion pour le film La Nuit du chasseur, de Charles Laughton. On ne parlait pas trop de littérature, car elle -n’aimait pas tellement les autres écrivains. Elle disait souvent : “Il y a deux grands écrivains : Simenon et moi.” Quand elle parlait de politique et de féminisme aussi elle était pénible, car très péremptoire. Alors, j’allais boire un verre dans une autre pièce.

À partir de l’arrivée de Yann Andréa, ça a été plus difficile. Il a écarté tout le monde, il la voulait pour lui seul. Il l’a séparée de ses amis. Je crois qu’il y avait chez Duras une quête d’amour tellement énorme que ce n’était presque plus possible. Mais je crois qu’elle ne l’a jamais trouvé, cet amour-là, pour qu’elle écrive des choses comme ça. Bien qu’elle ait eu beaucoup d’hommes dans sa vie.

Il y avait un absolu chez elle. Quelque chose de pratiquement inatteignable en ce monde. Mais ce n’était pas Dieu. Elle ne croyait pas, car elle disait : “L’Holocauste, Dieu ne peut pas avoir fait ça.” Mais je sais qu’elle lisait la Bible."

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