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A gauche de l'image, Elisa Habibi. A droite, Laurette Tessier. © Jérémy Torres

"J'ai tou­jours vou­lu faire bien" : les vio­lences conju­gales sur les planches

La compagnie de théâtre Viscérale présente du 28 novembre au 21 décembre 2021 sa pièce J'ai toujours voulu faire bien, une plongée au cœur des violences au sein du couple d’où l’on ressort bouleversé·es.

Les violences conjugales, nous les connaissons en documentaires, en livres, en films, en podcasts… Il y a toujours cette possibilité de mettre de la distance, d’arrêter quand la lecture est trop intense, d’appuyer sur pause quand le visionnage s’avère trop difficile. Les violences conjugales au théâtre, nous ne les connaissons que trop peu. Nous ne sommes pas habitué·es à les voir de si près, à y faire face comme si on y était. Lorsque l’on est installé·e sur un de ces sièges rouges ou noirs qui ne laisse que trop peu de place à nos jambes, un·e inconnu·e à notre droite, notre acolyte à notre gauche, il n’y a plus de retour en arrière possible. Nous n'avons plus d’autres choix que de nous imprégner de cette histoire pendant l’heure qui suit. Ne vous y méprenez pas, ce n’est pas si terrible que ça. Mais, cela peut-être intense. Ce fut le cas avec J'ai toujours voulu faire bien. Avant même que les lumières ne s’éteignent, le corps d’une femme allongé sur les planches le laissait présager.

Lorsque cette femme, interprétée par Elisa Habibi, se réveille à l’hôpital, elle ne se souvient plus des cris, ni des coups. Ce dont elle se rappelle, c’est l’amour qu’elle porte à cet homme (interprété par Paul Delbreil), qui la reconduit vers leur appartement. Mais le cycle de la violence est là, et le schéma se reproduira, encore et encore. Isolée de ses ami·es et de sa famille, elle plonge dans une solitude commune à de trop nombreuses femmes - une femmes meurt tous les deux jours et demi de violences conjugales. La mise en scène des corps et des gestes n’est pas violente, elle est suggestive. Claire Bosse-Platière, scénariste et metteuse en scène explique à Causette : « Lors des répétitions, je ne disais pas à l’acteur d’être un homme violent, tout se jouait plutôt au niveau des postures. » A partir d'un travail d'improvisation des corps, elle crée les situations concrètes de la pièce. 

Au-delà des disputes, c’est à travers les longs monologues des comédien·nes que la violence se laisse percevoir, reflétant celle psychologique, trop souvent tue dans notre société. Ses mots à elle expriment la peur, l’incompréhension, la détresse, la solitude, le flou du futur, mais l’envie de s’en sortir. Ses mots à lui disent l’impatience, la colère, l’agressivité mais aussi, la pitié, le désir de recommencer à zéro, en mieux. Il implore le pardon de celle qu’il pense aimer, et si tout son jeu n’est que manipulation, il est facile de se laisser berner par cet homme, que l’on ne parvient pas à détester entièrement. C’était le but de Claire Bosse-Platière : « Au début, l’homme avait moins de paroles, mais je lui ai finalement donné plus de texte pour que le public s'attache au personnage et tombe amoureux de lui. » Si cette confidence fait tressaillir, elle fait sens. Pour comprendre ce que cette femme ressent, il est nécessaire de se mettre à sa place, ressentir l’espoir, la déception, la trahison. 

Le troisième personnage de cette pièce (interprété par Laurette Tessier) inspire, lui aussi, à la fois colère et sympathie. Cette amie de longue date, qui veut aider mais n’y parvient pas, ferme alors les yeux sur la violence qu’elle ne veut pas voir. Son rôle fait froid dans le dos, mais ce personnage, c’est le ou la spectateur·rice de ces violences. Ce personnage, c’est nous.

La force du récit

Claire Bosse-Platière manie les mots avec un réalisme saisissant. La puissance du texte associé au jeu renversant des acteur·rices crée une tension dont il est difficile de sortir. Les mots sortent de leur poitrine tels des cris du cœur. Jusqu’à la fin, nous sommes tenu·es en haleine, les yeux embués de larmes. Certain·es ne les retiennent pas, quand la lumière se rallume, l’émotion est palpable. Claire Bosse-Platière confie avoir « vu des grands-pères sortir en pleurant, c’est très touchant, l’objectif est de mener à une prise de conscience, d’instaurer une réflexion sur ce continuum des violences. » Certains passages de la pièce résonnent encore longtemps après que les rideaux se soient fermés : « Par amour, j’ai vécu des moments où l’on pense être mort, où on l’espère. »

Il y a toujours un bout de soi dans un travail engagé comme celui-ci, où l’intime se ressent. Si Claire Bosse-Platière a mené un travail de recherche et de documentation, elle s’est également inspirée de son histoire personnelle pour l’écriture de ce docu-fiction théâtral. En mars 2021, le texte a été publié aux éditions l'Echappée Belle. Cette pièce n’est pas le seul projet féministe sur lequel l’autrice se concentre actuellement puisqu’elle travaille sur deux autres pièces. La première, en cours de production porte sur le premier féminicide de masse à l’école polytechnique de Montréal en 1989, et la seconde, en cours d’écriture, se penche sur la pornographie.

J’ai toujours voulu faire bien. Production : Compagnie Viscérale. Texte et mise en scène : Claire Bosse-Platière. Conseils dramaturgiques : Charlotte Villermet. Composition : Victor Pavel. Jeu : Paul Delbreil, Elisa Habibi et Laurette Tessier.

Du 28 novembre au 21 décembre, les dimanches, lundis et mardis à 21h au Théâtre LES DÉCHARGEURS, 3 rue des Déchargeurs 75001 Paris (Métro : Châtelet). Durée : 1h10

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