Mohamad et Mary
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« Bigger than us » : ren­contre avec Mohamad Al Jounde et Mary Finn, deux jeunes qui luttent pour les droits des réfugiés

Bigger than us, réa­li­sé par Flore Vasseur, sort ce mer­cre­di 22 sep­tembre en salles. Il suit sept jeunes mili­tants du monde entier qui se sont enga­gés dès leur enfance ou leur ado­les­cence sur des sujets aus­si divers que l'aide aux réfugié·es, l'écologie ou le droit des femmes. Causette a ren­con­tré deux d'entre eux. 

C'est l'histoire de sept jeunes qui ont déci­dé de prendre leur des­tin en main pour rendre meilleur le monde. Bigger than us de Flore Vasseur, co-​produit par Marion Cotillard et Denis Carot, est un docu­men­taire sur la jeu­nesse enga­gée, pré­sen­té dans la sec­tion « Le ciné­ma pour le cli­mat » au fes­ti­val de Cannes 2021. Au ciné­ma dès le 22 sep­tembre, il suit la vie de jeunes militant·es de tous les jours – quatre filles et trois gar­çons -, ceux dont on n'entend géné­ra­le­ment pas par­ler. Ils et elles se sont engagé·es pour aider les réfugié·es, défendre l'écologie ou le droit des femmes. Mary Finn, une Britannique de 24 ans, secourt des migrants dans la Méditerranée et Mohamad Al Jounde, un Syrien de 20 ans, a construit sur sa terre d'accueil, le Liban, une école pour jeunes réfu­giés. Contrairement à l'ensemble des autres per­son­nages sui­vis dans Bigger than us, Mary est la seule à avoir gran­di dans un milieu pri­vi­lé­gié. Pour Causette, les deux militant·es ont accep­té d'échanger sur leurs com­bats et leurs espoirs.

Causette : Qu’est-ce qui vous a motivé·es à rejoindre ce pro­jet ?
Mohamad Al Jounde : Au départ, j’ai ren­con­tré Flore Vasseur, elle m’a dit qu’il y aurait d’autres acti­vistes. La plu­part du temps, les pro­jets avec d’autres jeunes acti­vistes m’intéressent beau­coup parce que je suis sou­vent entou­ré de per­sonnes plus âgées. Dans Bigger than us, c’est dif­fé­rent. Ce n’est pas seule­ment mon his­toire mais celle d’autres per­sonnes. Ça donne un côté com­mu­nau­taire et soli­daire alors je n’ai pas hési­té une seconde, j’ai accep­té. Par ailleurs, on ne sait pas exac­te­ment com­ment Flore nous a sélec­tion­nés mais elle nous a expli­qué qu’ils ont cher­ché de « vrais » mili­tants avec de l’expérience, qui sont sur le ter­rain au quo­ti­dien.
Mary Finn : Oui, Flore nous a aus­si expli­qué que leur inten­tion était de trou­ver des mili­tants moins connu que Greta Thunberg par exemple. Le but jus­te­ment, c’était de don­ner une expo­si­tion à des mili­tants qui n'en ont pas. Je suis ren­trée dans ce pro­jet de manière un peu inat­ten­due. C'est un ami m’a recom­man­dée. Dès le départ, j’ai été très inté­res­sée. Comme Mohamad l’a dit, j'aime le fait de réunir plu­sieurs acti­vistes sur des sujets dif­fé­rents. On veut démar­rer un mou­ve­ment qui encou­rage les jeunes mili­tants et ins­pire un enga­ge­ment à ceux qui ne le sont pas encore.Je trouve que c’est dif­fé­rent des autres docu­men­taires qui ont pu se faire auparavant. 

Vos com­bats se retrouvent sur plu­sieurs points. Quelle a été votre pre­mière impres­sion du tra­vail de l’autre ? 
M.F. : C’est vrai qu’on a cette connexion avec Mohamad. Le sort des migrants est un sujet qui me tient beau­coup à cœur. Nous tra­vaillons sur des moments dif­fé­rents de l’aventure des réfu­giés. C’est inté­res­sant de voir les liens entre les deux. À l’exception de Melati [le per­son­nage prin­ci­pal du film, ndlr], je ne connais pas les autres par­ti­ci­pants mais je me sens très connec­tée à eux. Il y a tout de même cette soli­da­ri­té entre nous et la même éner­gie de vou­loir faire bou­ger les choses. Je trouve cela hyper ins­pi­rant. Dans notre domaine, les moti­va­tions des gens ne sont pas tou­jours cor­rectes, cer­tains croient pou­voir sau­ver le monde du haut de leurs pri­vi­lèges. Je pense qu’on a tous les deux déjà ren­con­tré ce pro­blème [Mohamad acquiesce]. C’est vrai­ment cool de voir une per­sonne comme Moha car je vois qu’il fait tout cela avec la meilleure intention. 

« Tous les deux, on croit au poten­tiel de ces réfu­giés, ils ont besoin qu’on les encou­rage qu’on les aide dans leur projet »

Mohamad Al Jounde

M.AJ. : J’ai décou­vert Mary dans le trai­ler du film et hon­nê­te­ment, j’étais un peu scep­tique. Le thème des migrants et de l’immigration est un sujet brû­lant en Europe et les gens ont des opi­nions très diver­gentes. Certains éprouvent de la pitié et vont aider pour cette rai­son. Mais je ne me suis fait aucune opi­nion sur Mary parce que je ne l’avais pas encore ren­con­trée. À Cannes, pen­dant une inter­view, je l’ai enten­due par­ler de ses moti­va­tions et de sa vision des choses. J’ai vite com­pris qu’on avait les mêmes moti­va­tions sur notre com­bat. Tous les deux, on croit au poten­tiel de ces réfu­giés, ils ont besoin qu’on les encou­rage qu’on les aide dans leur pro­jet. C’est en cela que je trouve Mary dif­fé­rente d’autres mili­tants que j’ai pu rencontrer. 

Mary, vous êtes la seule du cas­ting a avoir pris la déci­sion de vous dépla­cer pour mili­ter. Qu’est-ce qui vous a pous­sée à quit­ter votre pays pour la Grèce ? 
M.F. : J’ai gran­di dans un envi­ron­ne­ment extrê­me­ment pri­vi­lé­gié, je n’ai jamais eu à m’inquiéter pour quoi que ce soit. Entre mes 15 ans et 18 ans j’ai été dans un pen­sion­nat inter­na­tio­nal où j'ai côtoyé des per­sonnes qui viennent de par­tout dans le monde avec des ori­gines sociales très dif­fé­rentes. Cette école m’a ouvert les yeux sur le monde. Je par­ta­geais ma chambre avec une Palestinienne et j’entendais au quo­ti­dien des his­toires sur le monde entier. Par la suite, j’ai démar­ré des études de pho­to­jour­na­lisme. Je me suis ren­due à Lesbos en Grèce en 2015, illus­trer la crise des migrants pour mon pro­jet final. Sur place, j’ai été sub­mer­gée par tout ce qui se pas­sait, alors j’ai mis ma camé­ra de côté et j’ai com­men­cé à aider. C’était si évident pour moi, il fal­lait que je contri­bue à tout cela. 
Pour reve­nir sur le com­men­taire de Mohamad et le « com­plexe du sau­veur blanc », je l’ai beau­coup vu moi-​même, c’est hyper toxique. C’est un sujet sen­sible dans notre domaine. Lorsque des per­sonnes qui béné­fi­cient du pri­vi­lège blanc, issues de familles plu­tôt riches, viennent dans ce genre d’endroit avec la mau­vaise inten­tion c’est là que ça devient toxique. Si je pou­vais don­ner un conseil aux per­sonnes de ce sta­tut, je leur dirais qu’il n’y a aucun sou­cis à cela. Je viens moi-​même de ce milieu et je ne chan­ge­rais pour rien au monde. Si vous vou­lez aider, soyez sûrs que vous le faites avec la bonne inten­tion. C'est tou­jours un peu com­pli­qué pour moi d'en par­ler mais c’est très impor­tant d’être hon­nête avec soi-​même. Je suis chan­ceuse d’être née où je suis née et aujourd’hui, je res­sens une cer­taine res­pon­sa­bi­li­té de rendre en retour de cette chance.

« On a com­men­cé notre enga­ge­ment très jeune. Sauf qu'à un moment, si on veut aller plus loin dans notre pro­jet et faire bou­ger les choses, il faut qu’on s’instruise »

Mary Finn

Il s’est pas­sé deux années depuis la fin du tour­nage de Bigger than us. Que s'est-il pas­sé pour vous depuis ?
M.AJ. : Depuis le tour­nage, le Liban a subi beau­coup de bou­le­ver­se­ments pour le pire. Le cours de la mon­naie s'est effon­dré, il y a une grosse infla­tion des prix, un manque d’eau et de nour­ri­ture. Il y a aus­si eu les explo­sions du port à Beyrouth en août 2020. Ça rend notre tra­vail très dif­fi­cile. Nous n’avons jamais eu autant besoin d’aide que main­te­nant. Je vis aujourd’hui en Suède avec ma petite-​amie où j’ai repris mes études, en rela­tions inter­na­tio­nales. J’ai un quo­ti­dien plu­tôt nor­mal, à vrai dire. Je ne peux pas dif­fé­ren­cier mon acti­visme et ma vie nor­male. Je milite depuis l’âge de 12 ans, j’en ai 20 aujourd’hui. Ça fait vrai­ment par­ti de qui je suis.
En arri­vant au Liban en tant que réfu­gié syrien, je n'ai pas eu accès à l'école et c'est pour­quoi j'ai eu l'idée de créer une école pour les plus jeunes à l'intérieur du camp de réfu­giés où j'ai vécu. De mon côté, j'étais désco­la­ri­sé car j'avais déjà 12 ans. Mes amis, c’était donc les enfants de l’école, c'était mon équipe. Ma famille entière tra­vaillait pour l’école donc c’était vrai­ment toute ma vie. Pour moi, c'est ça la beau­té du mili­tan­tisme, ce n’est pas un tra­vail et on ne devrait pas le consi­dé­rer comme tel.
M.F. : Ce qui est mar­rant, c’est qu’on a com­men­cé notre enga­ge­ment très jeune. Sauf qu'à un moment, si on veut aller plus loin dans notre pro­jet et faire bou­ger les choses, il faut qu’on s’instruise. J'ai donc moi aus­si repris mes études, en droit des réfu­giés.
J’adore le tra­vail de secou­riste mais je ne peux pas le faire à vie, pour le bien de ma san­té men­tale. Je cherche donc actuel­le­ment une autre façon de m'impliquer. En Grèce, je me suis retrou­vée avec une équipe de per­sonnes qui par­tagent les mêmes idées, les mêmes com­bats que moi. Depuis que je suis ren­trée en Grande-​Bretagne, l’une des choses les plus dures pour moi a été de me réin­té­grer à la popu­la­tion « nor­male ». J’ai l’impression que per­sonne ne me com­prend. Mon meilleur sou­ve­nir de la Grèce, c’est vrai­ment la soli­da­ri­té qu’il y avait entre nous. Pendant la pan­dé­mie, j’ai tra­vaillé dans un camp de réfu­gié dans le Nord de la Grèce donc c’était une expé­rience différente. 

Bigger than us n’est pas comme les autres. Comment allez-​vous mesu­rer son suc­cès ? 
M.F. : L’industrie de ciné­ma n’est pas du tout notre ter­ri­toire. Dans ce monde, le suc­cès se mesure en tickets ven­dus. Pour moi, ce n’est pas ça la clé du suc­cès de Bigger than us. S’il y a un enga­ge­ment, si des gens décident d’en par­ler de relayer sur les réseaux sociaux, s’ils décident de s’engager loca­le­ment ou encore de se dépla­cer comme moi, là, je consi­dé­re­rais que le film est un suc­cès. 
M.AJ. : Je pense que lorsque les gens auront com­pris la res­pon­sa­bi­li­té qu’ils ont pour eux-​mêmes et pour les autres, alors ils auront com­pris l'enseignement du film. Si une per­sonne regarde notre film et se dit « ah, j’ai par­ti­ci­pé à la des­truc­tion d’une par­tie de la pla­nète, il faut que je fasse quelque chose pour y remé­dier », c’est à ce moment qu’il aura été utile.

Bigger than us, de Flore Vasseur. Sortie le 22 sep­tembre. La bande annonce : 

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