Océan : « C'est très impor­tant pour moi de mon­trer que la tran­si­den­ti­té peut se cumu­ler avec une ou plu­sieurs autres oppressions »

Presque deux ans après le premier volet de sa série documentaire sur la transition, Océan revient avec une nouvelle saison : En Infiltré·e·s, disponible sur France.tv Slash. Moins centré sur lui, le comédien et militant part à la rencontre de celles et ceux qui constituent la communauté trans, discutant de leurs parcours, et des difficultés auxquelles ils et elles doivent encore faire face, dans une société qui peine à les accepter.

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© Lucie Rimey-Meille

Causette : Pourquoi avoir fait une deuxième saison ?
Océan : Je me suis rendu compte après avoir fait la saison 1, que ce que je racontais n’était finalement pas ce qu’il y avait de plus intéressant sur la question trans. Il y a beaucoup de films sur le moment de la transition hormonale, parce que c’est spectaculaire. C’est ce que j’appelle le « cis gaze », c’est-à-dire le regard cis sur la transidentité et l’espèce de fascination pour ces changements physiques. Moi-même, j’avais encore un cis gaze quand j’ai commencé ma transition. Mais après coup, je me suis dit que ce qui était intéressant, c’est ce qui se passe après : comment tu abordes ta propre masculinité quand, d’un coup, tu as un passing [capacité d’une personne trans à être considérée comme une personne cisgenre, ndlr] qui fait que tu es perçu dans l’espace public comme un homme cis, alors que tu es un mec trans ultra féministe ?  

Cette saison est beaucoup moins centrée sur vous. Pourquoi ?
O : J'avais trouvé pesant qu'après la saison 1 des gens me disent : « Donc c’est ça être trans ? ». Alors que non, ce n’est pas « ça ». Moi j’ai une place très particulière. J’étais déjà connu avant, je suis blanc, j’ai plus de 40 ans, je suis bourge... J’ai plein de privilèges qui font que ma transition s’est bien passée, mais je n’ai pas un parcours représentatif. Il y a autant de transidentités que de personnes trans et l’idée c’était aussi de montrer ça : la variété, le collectif, parler des autres, faire rencontrer au public qui me suit des personnes qui sont complètement invisibilisées et dont il ne soupçonne même pas l’existence. 

Vous montrez le racisme, la grossophobie, le handicap que subissent les personnes trans, en plus de la transphobie. C’était important de montrer cette réalité-là ?
O : C’était effectivement très important pour moi de montrer que la transidentité peut se cumuler avec une ou plusieurs autres oppressions, et de se demander ce que cela produit chez les personnes. Moi aussi j’ai appris des choses sur la grossophobie ou le racisme que je ne soupçonnais pas forcément, parce que je suis pas concerné. Je donne souvent l’exemple de Louis, dans l’épisode 2, un homme trans, noir, qui tout d’un coup se retrouve confronté à la violence policière, aux femmes qui ont peur de lui dans la rue. Des choses que moi, je ne vis pas. Autre exemple : les hommes trans gros à qui on refuse des soins comme la prise d'hormones ou à qui on demande de perdre 20 kilos avant de les opérer. Il y aurait encore 1000 choses à dire, des parcours à filmer, à raconter... mais je ne pouvais pas tout faire.

On voit qu’au sein de la communauté il y a aussi des conflits, des tensions, des choses qui ne vont pas. Pourquoi avoir décidé de le montrer ?
O : Je peux avoir tendance à dire « la commu, la commu », comme si c’était quelque chose d'homogène. Mais en fait « la commu » ce n’est pas si simple que ça. Il y a des frictions. Celles et ceux qui la constituent sont des personnes souvent précarisées, stigmatisées et donc à vif, ce qui peut donner lieu à des tensions, autant qu’à des solidarités extraordinaires. Je trouvais aussi ça intéressant d’aller voir des personnes comme Sorour Darabi, un·e artiste qui me dit, dans l’épisode 3 : « En voyant ton documentaire, je me suis senti·e encore plus invisible dans ce que tu étais visible ». C’est une phrase que je trouve très forte et que je peux tout à fait entendre. Clairement entre moi, parisien, bourge, blanc, sans trop de problèmes, hyper médiatisé et lui, qui vient d’Iran et qui galère pour pouvoir danser, évidemment qu’on a quasiment aucun point commun… Si ce n’est cette expérience de la transphobie. C’est pour ça que je trouvais intéressant de montrer à la fois ce qui nous rassemblait, la transidentité, mais aussi toutes les particularités et les différences que ça peut avoir.

Est-ce que montrer les « failles » de la communauté, ça ne risque pas de la fragiliser aux yeux du reste de la société ?
O : Je trouve que c’est toujours bien d’être honnête, de montrer et dire les choses. On n'a pas les mêmes points de vue et s’il y a du racisme, du validisme, de la grossophobie, il faut en parler. Les notions de privilèges ne disparaissent pas parce qu'une communauté vit des oppressions.

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Il y a un débat entre vous et Ludivine Sagnier qui vous propose, non pas de jouer dans un film, mais de lui donner des conseils parce qu'elle va incarner une personne trans. Les trans joué·es par des cis, c’est un vrai problème dans le cinéma aujourd’hui ?
O : C'est une scène qui m'est vraiment arrivé, mais pas avec Ludivine Sagnier. Dire : « Il faut préparer les gens, ils ne sont pas encore prêts à voir une personne trans à l'écran », je trouve ça complètement absurde. Si on rentre en contact avec eux, les gens sont prêts à s'ouvrir. De toute façon, on n’a pas à les préserver. Moi, je préserve la communauté, celles et ceux qui vivent des discriminations, pas le public cis. On a arrêté le black face pourquoi on continuerait à faire jouer des trans par des cis ? Ça commence un peu à rentrer, mais il y a encore du travail. Et pour le coup, tout ce que Ludivine dit, ce sont des arguments classiques qu'on entend malheureusement encore trop souvent.

Lire aussi : Transidentité : un annuaire d’acteurs et d’actrices pour enrichir nos représentations à l’écran

Dans la saison 1, votre maman a des mots très durs, elle accepte mal votre transition. Cette saison, elle fait son mea culpa. Est-ce que filmer son évolution, c’était un moyen de montrer aux gens qui se sont identifiés à elle, qu'eux aussi pouvaient évoluer ?
O : Oui tout à fait. Mais d'ailleurs dès la saison 1, j’avais une stratégie un peu maléfique (rires) : je me disais que les gens qui s'identifient à elle quand elle dit des horreurs allaient continuer à la soutenir, et lorsqu'elle bougerait, ils seraient forcés de bouger aussi. Alors pour tous les parents qui se sont identifiés à elle, c’est chouette de voir le chemin qu’elle a fait. Quand elle dit : « J’aurais mieux fait de m’intéresser à toi que de m’intéresser à moi », c’est beau qu’elle le reconnaisse et c’est pour ça que je voulais qu’elle revienne dans cette saison.

Votre amie Mika a aussi des paroles très crues, elle vous dit par exemple « C’est pas possible, à chaque fois que je te vois, il y a un truc différent, j’arrive plus à suivre ». C’était important de montrer ce genre de questionnements que peuvent avoir certaines personnes ?
O : C’est du grand Mika, elle en fait des caisses, elle en rajoute, même si ça part toujours d’un fond de vérité. Ces propos font écho à une scène de la saison 1, où je suis sur le plateau de C à Vous et la journaliste dit « transgenre, transexuel, cisgenre, on s’y perd un peu. » J'avais pensé : « C'est incroyable, il y a trois mots, pourquoi tu ne peux pas les apprendre ? ». Mais sur le coup, je n’ai rien dit. Le fait que Mika me dise plus ou moins la même chose m’a permis d’apporter une réponse : si elle a appris à liker, swiper, Instagramer, elle peut aussi apprendre ce vocabulaire là.

Cela montre qu’il y a tout un travail de pédagogie à faire auprès de la population...
O : C’est un peu notre problème aux personnes trans : dès que tu n’es pas dans un contexte communautaire, tu te retrouves tout le temps pris à partie, à devoir expliquer, faire de la pédagogie, du travail gratuit et c’est épuisant. Déjà, parce qu'on n'est ramené qu’à notre identité trans, comme si on n’était que ça. Et puis parfois, on a juste envie de profiter de la vie, de passer une bonne soirée sans avoir à expliquer ce que c'est qu’être trans.

C’est aussi pour ça que vous faites cette série documentaire ?
O : Oui, c’est pour produire des outils pédagogiques, pour que les gens comprennent mieux les termes. Mais surtout pour leur donner envie de se renseigner. Pour les personnes cisgenre qui veulent bien faire, le premier pas, c’est d’aller chercher des infos, plutôt que de venir nous raconter à nous qu’ils ont peur de se tromper. C’est la responsabilité de toute personne qui a des privilèges de se renseigner sur celles qui n’en ont pas. Aujourd’hui c'est facile, il suffit de suivre trois comptes militants sur Instagram où il y a de la vulgarisation. Et comme ça, lors du prochain dîner de Noël avec tonton transphobe et ta grand-mère qui ne comprend pas la différence entre travesti et transsexuel, en tant qu’allié.e, tu pourras leur expliquer. Pareil, dans une soirée chez tes potes, tu leur as déjà fait le petit cours sur la transidentité. Comme ça, quand moi j’arrive, on peut juste parler du dernier film qu’on a vu au cinéma. Ils respectent mon pronom, ils ne me demandent pas mon "dead name", ou si je vais « faire l’opération ». On est fatigué·es, toutes et tous, quand on est militant·es de devoir encore redire des évidences.

Vous parlez aussi de votre nouvelle masculinité et du fait que vous ne voulez surtout pas être associé aux hommes cis, ce qui peut d’abord surprendre...
O : C’est vrai que ça peut paraître paradoxal ! À la base, j’avais un besoin fort d’avoir un cispassing, parce que c’est aussi une mise à l’abri des violences. Je l’assume complètement. Je me sentais mieux, ça me plaît d’avoir des muscles et ce corps-là, je l’ai bâti. Pourtant, je n’ai aucun rapport avec les hommes cis. Je n’ai pas la même expérience de la vie qu’eux. Finalement, je ne saurai jamais ce que c’est qu’être un homme cis. Alors certes, tu vas vivre des choses en commun, mais moi, les violences patriarcales, je les ai vécues et je les revis à la seconde où les gens savent que je suis trans, parce qu’ils me remettent dans la catégorie femme. Ça m’est arrivé que des féministes parfois transphobes malgré elles me disent « maintenant tu es passé de l’autre côté, tu ne peux plus te réclamer du féminisme ». Je leur explique que c’est tout à fait faux. Ce n’est pas parce que j’ai changé d’expression de genre, et qu’effectivement, je ne me fais plus siffler dans la rue, que j’ai gagné en privilège. Ça veut dire que j’ai gagné en confort, ce qui n’est pas du tout la même chose. Certes, on va plus m’écouter, je vais moins me faire emmerder dans la rue. Mais à la seconde où je suis identifié comme trans, tout ça disparaît. Quand je vais chez un médecin que je ne connais pas, j’ai tout le temps peur. Ce n’était pas le cas avant, en tant que femme. Je peux faire une liste de moments où on est en insécurité autant que des femmes, parce que la transphobie est forte. Et puis la transphobie c’est du sexisme, puisque la discrimination est fondée sur le sexe et sur le genre.

Lire aussi : Militant·es trans versus féministes radicales : historique d’un ressentiment

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Pourquoi ce titre, En infiltré.e.s ?
O : Je trouvais ça marrant et c’était un peu pour se moquer de cet imaginaire des féministes transphobes, pour qui les femmes trans seraient des hommes infiltrés dans les groupe de femmes et lesbiennes. Et puis il y a des moments où je me sens réellement infiltré. Par exemple, quand je me retrouve qu’avec des hommes cis qui ne me connaissent pas, j’ai l’impression de ne pas du tout appartenir à leur clan, mais d’être de l’autre équipe, d'être là en secret. Il y a aussi cette volonté de visibiliser les personnes qui ne le sont pas, alors que maintenant ça y est, on est là, on est dans la société. Finalement c’est l’idée du collectif, c’est pour ça que je tenais à l'inclusif. Et puis évidemment, au fond, j’espère participer à faire complètement exploser la notion de binarité, et qu’un jour il n’y ait même plus de mention de sexe sur les papiers d'identité.

Quand on voit que le 27 mai dernier, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles titrait en une sur « Le délire transgenre », vous avez espoir qu'un tel changement arrive bientôt ?
O : Je pense, malgré tout, que ça peut arriver relativement vite. Cette Une, je la trouve terrifiante parce que c’est hyper violent, mais je préfère quand même en rire. Déjà, ils se sont trompés de drapeaux et ça, c’est vraiment la lose... Mais surtout, ça montre que s’ils s’inquiètent, c'est qu'on commence à exister. Il y a deux ans, cette couverture n'aurait pas existé parce que ça n’aurait parlé à personne. Là, tout d’un coup, ça devient un sujet de société. C’est grave parce que ce qu’ils disent est inadmissible et qu’après ça se diffuse. Et en même temps, ce que je dis toujours, c’est qu’à chaque avancée, il y a un mouvement réactionnaire en réponse. C’est toujours comme ça, c’est inévitable. Donc on peut presque être fier de faire la une de Valeurs Actuelles, ça montre qu’on avance !

La série est actuellement disponible sur France.tv Slash.

Le teaser de l'épisode 1 :

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