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Camille Delaforge, au clavecin ; Guilhem Worms, au baryton-basse ; Annie Couture à la vielle à roue - Concert du 26 juillet 2020 © Sébastien Andrea

Une jour­née chez Rosa Bonheur, quel bonheur !

La pro­messe, c’est une exquise jour­née d’été. Rendez-​vous au châ­teau de By, en région pari­sienne, domaine de la peintre Rosa Bonheur, où se déroule le fes­ti­val musi­cal “Un temps pour elles”. Un fes­ti­val dédié aux com­po­si­trices, jouées par des inter­prètes exceptionnel·les.

On arrive en début d’après-midi à Thomery, près de Fontainebleau (Seine-​et-​Marne), et on pousse la porte du châ­teau de By, inti­mi­dé par le joyeux et toni­truant carillon de la cloche fichée en hau­teur. Ce petit châ­teau du XVe siècle fut ache­té en 1859 par Rosa Bonheur, alors riche et célèbre, avec la vente d’un seul de ses tableaux. Depuis plus de cent ans, grâce à des héri­tiers bien­veillants, le domaine est res­té dans son jus. Intime, tou­chant, accueillant. On s’attend à ce qu’elle des­cende l’escalier, Rosa, celui qui mène à son bureau et à son ate­lier, qu’on va bien­tôt visi­ter. C’est le but de cette esca­pade : pas­ser un moment avec Rosa Bonheur, cette femme remar­quable trop long­temps oubliée, et ter­mi­ner la jour­née en écou­tant des œuvres de com­po­si­trices, que par­fois elle-​même connais­sait, et qui sont si peu jouées.

La visite du châ­teau est à la fois émou­vante et roma­nesque. Notre guide est pas­sion­née. On passe d’une pièce à l’autre (l’atelier est une mer­veille !) tra­ver­sant les siècles et les épi­sodes d’une vie qui pour­rait faire une excel­lente série sur Netflix. Après un tour dans le grand parc, à contem­pler les roses et admi­rer la vigne, on s’installe dans les tran­sats pour le concert. Le fes­ti­val, fidèle à l’esprit de Rosa (dont la mère était musi­cienne), est dédié aux com­po­si­trices fémi­nines. Une idée com­plè­te­ment folle, née du Covid-​19, avec un résul­tat tout aus­si fou. Pendant le confi­ne­ment, les orga­ni­sa­trices, Lou Brault et Héloïse Luzzati, ont décou­vert des par­ti­tions inédites dans les gre­niers du châ­teau. Elles se lancent dans le pro­jet de les faire jouer et sol­li­citent, sans trop d’espoir, de grands noms de la musique vocale et ins­tru­men­tale. Tous et toutes répondent présent·es ! Le fes­ti­val est né : jusqu’au 20 sep­tembre, toutes les fins de semaine, des concerts excep­tion­nels auront lieu sous les grands arbres, au châ­teau de By. Et pour en savoir plus sur notre hôtesse, voi­ci le lexique per­so de Rosa.

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Les concerts se déroulent géné­ra­le­ment à l'extérieur,
dans le parc du châ­teau – Concert du 31 juillet 2020 
avec Celia Oneto-​Bensaid au pia­no © Festival Rosa Bonheur

RÉPUTATION. Rosa a souf­fert des rumeurs qui bruis­saient dans le sillage de sa vie pri­vée sin­gu­lière, de son choix radi­cal : elle était, disait-​elle, une « ves­tale de l’art ». Elle a néan­moins par­ta­gé sa vie avec deux femmes, Nathalie Micas (cinquante-​huit ans de vie com­mune) puis Anna Klumpke, indui­sant bien sûr des com­men­taires crus sur leurs rela­tions. Rosa n’a jamais rien dit sur ce point et les nou­velles pro­prié­taires de son châ­teau – ain­si que de ses archives – n’ont trou­vé aucune note ou lettre qui irait dans ce sens. Rosa emporte son secret, et c’est aus­si bien. Nathalie Micas était une amie d’enfance, peintre elle aus­si, mais pas­sion­née par les ques­tions méca­niques et scien­ti­fiques. Elle se lan­ça dans l’invention de freins hydrau­liques pour les loco­mo­tives, tes­tant ses inven­tions dans le parc du châ­teau de By. Malheureusement, étant une femme, elle ne par­vint jamais à obte­nir un bre­vet. Longtemps après la mort de Nathalie, Rosa prit sous son aile Anna Klumpke, jeune femme peintre elle aus­si, dont Rosa fit son héritière.

OSER. Quand on est pas­sion­née d’animaux, avec l’envie de les peindre au plus juste, on est bien obli­gée d’aller les regar­der de près. Non seule­ment Rosa dis­sé­quait des aba­tis chez elle, mais elle cou­rait les foires aux bes­tiaux et les abat­toirs. Difficile avec une longue robe : « Quel ennui d’être limi­tée dans ses gestes quand on est une fille ! » clamait-​elle. Aussi demanda-​t-​elle, et elle l’obtint, un « per­mis de tra­ves­tis­se­ment », qui lui per­met­tait offi­ciel­le­ment de por­ter le pan­ta­lon. Un per­mis de police renou­ve­lable tous les six mois, dont elle fit soi­gneu­se­ment usage sa vie durant. Malgré tout, elle met­tait un point d’honneur à por­ter des robes dans les cir­cons­tances offi­cielles et sur ses portraits.

SOPHIE MARQUIS. Ainsi se nom­mait la mère de Rosa. Une enfant de parents incon­nus, éle­vée dans une famille aisée d’un riche mar­chand qui l’adopte et s’avère être en réa­li­té le père de la jeune fille. Débuts roma­nesques d’une vie qui le sera moins. Sophie est une excel­lente pia­niste, elle épouse Raymond Bonheur, un peintre. Le couple encou­rage ses enfants dans la voie artis­tique : Rosa, son frère Auguste et sa sœur Juliette seront peintres, leur frère Isidore sera sculp­teur. Hélas, Raymond est hap­pé par le cou­rant des saint-​simoniens, entre au couvent avec eux, aban­donne sa famille. Sophie donne des cours de pia­no le jour, prend des ouvrages de cou­ture la nuit. Elle ne dort plus et s’épuise lit­té­ra­le­ment. Elle en meurt, alors que Rosa a 12 ans. Celle-​ci se jure qu’elle défen­dra l’honneur artis­tique de sa mère, relè­ve­ra leur nom, se consa­cre­ra toute sa vie à l’art, et à l’art seulement.

ANIMAUX. Considérée comme « la plus grande peintre ani­ma­lière du monde » aux États-​Unis, Rosa éprouve une vraie pas­sion pour les bêtes. À l’époque, les ani­maux dans les tableaux étaient des sym­boles ou des acces­soires. Elle, elle vou­lait leur don­ner une âme, les peindre au plus juste. Non seule­ment elle allait les détailler sur place, mais elle en adop­tait sans cesse. Dans ce châ­teau de By, elle a eu jusqu’à deux cents bes­tioles ! Bien sûr, les habi­tuels chiens chats poules vaches bœufs che­vaux, etc., mais aus­si des loups, un san­glier appri­voi­sé et… des lions ! Elle s’attachait, disait-​elle, à mon­trer leur âme, ce qu’on com­prend lorsqu’on regarde les yeux de ces fauves ou de ces vaches tran­quilles dont elle rem­plit ses toiles. Mais elle est scru­pu­leuse, au point qu’elle a réa­li­sé des des­sins et des pein­tures si justes que les scien­ti­fiques s’y sont réfé­rés pour étu­dier des espèces disparues.

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L'atelier de Rosa Bonheur, à l'intérieur du Château de By © Ouiflash

BUFFALO BILL. Lorsqu’en 1889 le grand Buffalo Bill vient en France avec son spec­tacle de cirque, le Wild West Show, Rosa Bonheur se dit qu’elle va enfin avoir l’occasion de voir des buffles. Une véri­table gour­man­dise pour la peintre, qui l’attire irré­sis­ti­ble­ment vers Bill. De son côté, Buffalo rêve d’être por­trai­tu­ré par Rosa, extrê­me­ment connue aux États-​Unis à l’époque. Le deal est vite bou­clé : Rosa se rend quand elle veut dans le cam­pe­ment de Bill et, en échange, elle qui déteste peindre les humains, fera le por­trait du cow-boy.

OR. C’est en francs-​or que se mon­naient les toiles de Rosa. Et pas qu’un peu ! Rapidement, ses œuvres sont très cotées et ren­contrent un suc­cès inter­na­tio­nal. En 1853 (elle a 31 ans), son tableau Le Marché aux che­vaux de Paris est ache­té par un Américain pour l’énorme somme de 268 500 francs-​or (ce qui, en gros, équi­vau­drait à plus d’un mil­lion d’euros). Rosa Bonheur est aus­si la pre­mière peintre dont l’œuvre a fait l’objet de spé­cu­la­tions sur le mar­ché de l’art de son vivant.

NE PAS DOUTER. Rosa ne doute pas de son tra­vail. De son talent peut-​être, quel artiste n’a jamais trem­blé devant une toile impos­sible à ter­mi­ner ! Mais elle ne dou­tait pas de sa capa­ci­té et sur­tout, mal­gré l’époque, du fait qu’être une femme pou­vait nuire à son talent. « Pourquoi ne serais-​je pas fière d’être une femme ? Je suis per­sua­dée qu’à nous appar­tient l’avenir. » Disait-​elle, long­temps avant Aragon.

HÉRITAGE. Rosa n’a pas confiance dans sa famille pour per­pé­tuer son œuvre. Et elle n’a pas d’enfant. Aussi, elle fait de Anna Klumpke, une jeune peintre amé­ri­caine en qui elle se recon­naît, sa léga­taire uni­ver­selle. Une lourde tâche pour la jeune femme, et un vrai scan­dale qui révol­te­ra la famille. Après une bataille homé­rique, Anna ven­dra une grosse quan­ti­té d’œuvres, de petits tableaux, des esquisses, des des­sins… pour abreu­ver la famille. Ensuite, elle essaie­ra, en vain, de faire vivre la mémoire de Rosa Bonheur.

ENSEIGNEMENT. Rosa était, comme le fut son père, une ardente ensei­gnante. Elle fut direc­trice de l’école impé­riale gra­tuite de des­sin pour demoi­selles, de 1849 à 1860. À ses élèves, elle disait : « Je vais faire de vous des Léonard de Vinci en jupons. » L’Histoire n’a pas conser­vé les noms de ses élèves, dommage !

ULTIME VISITE. Alors qu’elle atteint ses 77 ans, Rosa Bonheur est tou­jours aus­si frin­gante. Elle four­mille de pro­jets. Entre autres, celui de faire construire un nou­vel ate­lier, des­ti­né à Anna Klumpke, au pied du châ­teau. Mais évi­dem­ment, impos­sible de lais­ser à d’autres le soin de diri­ger les tra­vaux. C’est lors d’une visite de chan­tier que Rosa attrape froid. Le len­de­main, elle a un bon rhume, qui dégé­nère rapi­de­ment. En quelques jours, elle est empor­tée par une conges­tion pul­mo­naire ful­gu­rante. Elle sera inhu­mée au Père-​Lachaise, à Paris, près de Nathalie.

RIDICULE. Rosa affec­tionne les for­mats et les thèmes tra­di­tion­nel­le­ment dévo­lus aux peintres hommes. Les femmes sont cen­sées se can­ton­ner aux fleurs, aux por­traits et aux petits chiens. Pas elle. Sur la toile qui l’a fait connaître, Le Labourage niver­nais, les bœufs sont mus­cu­leux et puis­sants. Elle peint des che­vaux impo­sants, des lions puis­sants. Et grands. En 1853, elle peint Le Marché aux che­vaux de Paris, sur une toile de 2,44 m sur 5. Exposée au Salon, la toile a un tel suc­cès qu’on peut lire dans la presse : « C’est vrai­ment une pein­ture d’homme, ner­veuse, solide, pleine de fran­chise » !

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