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Sandrea, l’influenceuse repen­tie de la fast fashion : « Je ne veux plus par­ti­ci­per à nor­ma­li­ser le chan­ge­ment de garde-​robe tous les lundis »

Si certain·es influenceur·euses ont, dès leurs débuts, fait de la transition écologique leur leitmotiv, pour la majorité d’entre eux·elles, le concept était jusque-là inconnu. Pour Sandrea, au million d'abonné·es sur YouTube, le changement s'opère doucement. Entre prise de conscience des enjeux climatique et conséquences de son influence. 

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Sandrea ©DR

À l’heure de l'urgence climatique, la majorité des influenceur·euses continuent de vanter des trains de vie et des modes de consommation débridés, à rebours des recommandations scientifiques - et même gouvernementales - actuelles. Aller-retours en avion pour des voyages éclairs à l’autre bout du monde, placements de produits incessants, multiplication de contenus sponsorisés pour inciter leurs communautés à consommer et hauls1 grouillant de fringues issues de la fast fashion. Les comportements anti-écologiques sont légions dans le monde de l’influence. 

Si dans cette industrie florissante, qui pèse quasiment 14 milliards de dollars, la majorité n’est pas encore prête à prendre le tournant de la transition écologique, pour une poignée d’entre eux·elles, le virage semble amorcé. C’est le cas de la Française Sandrea, qui totalise 1,41 million d'abonné·es sur YouTube et 1,1 million sur Instagram. 

Réflexion écologique 

Cette ancienne coiffeuse de 32 ans expatriée à Nashville dans le Tennessee (États-Unis) depuis plusieurs années, s'est faite connaître en 2011 avec une chaîne YouTube axée sur la beauté et la mode. Du contenus lifestyle désormais supprimé de sa chaîne depuis que Sandrea a fait le choix en août 2021 d’arrêter de consommer de la fast fashion et d’en faire la promotion. Fini donc les unboxings à répétition et les nombreuses collaborations, l’influenceuse affiche désormais sa réflexion progressive sur les enjeux écologiques.

Consciente des problématiques liées à son métier, elle a même participé récemment au live Instagram « influence et enjeux climatiques » avec Amélie Deloche, cofondatrice de Paye ton influence, un collectif formé en décembre 2021 pour dénoncer les dérives et les comportements problématiques des influenceur·euses. Mais peut-on réellement concilier transition écologique et influence ? De l’autre côté de l’Atlantique, Sandrea apporte à Causette des éléments de réponse sur sa propre expérience. 

Le 14 septembre dernier, vous avez publié sur votre chaîne YouTube une vidéo intitulée « 1 an sans fast fashion » dans laquelle vous revenez sur votre prise de conscience écologique. Quand est-ce que cette dernière a débuté et quel en a été le déclic ? 
Sandrea : Il y a trois ans, lorsque j’ai entamé ma procédure de divorce avec mon mari, j'ai pris conscience de tout ce que j’avais accumulé chez moi et j’ai éprouvé un profond malaise. Les commentaires de ma communauté m’interpellant de plus en plus sur le sujet m’ont aussi fait prendre conscience de ma responsabilité. J’ai commencé à faire des recherches, bien sûr j’étais au courant des répercussions de la fast fashion sur l’environnement mais je ne voulais pas m’avouer que ce que je faisais avait un impact aussi fort. Je ne voulais pas voir que l’influence que j’avais, le fait que je montre ça en vidéo, participait encore plus à cette surconsommation et à ce carnage écologique. 

« j'ai l’impression de m’être réveillée après avoir dormi pendant trente ans »

Ça fait donc plus d'un an que vous ne consommez plus de fast fashion ?
Sandrea : Oui, mon dernier achat, c’était en août 2021, c’était une chemise rose achetée chez Zara que j’ai toujours. Désormais, je consomme exclusivement de la seconde main et j’ai revendu une grosse partie de mon dressing. 

Dans cette vidéo, vous parlez de manière transparente de votre collaboration avec la marque Molly Bracken. Vous dites avoir gardé votre contrat avec elle car elle ne propose que deux collections par an et n’est donc pas considérée, selon vous, comme de la fast fashion. La majorité des vêtements de la marque française est pourtant fabriqué en Asie où les conditions de travail sont particulièrement éprouvantes dans l’industrie textile.
Sandrea : Je n’ai pas encore poussé mes recherches sur où et comment sont fabriqués les vêtements que je reçois pour mes collaborations et c’est un tort de ma part. Il faut absolument que je creuse.

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Votre prise de conscience environnementale s’est-elle limitée à l’arrêt de la fast fashion
Sandrea : Non, j’ai eu un déclic général sur ma façon de vivre et de penser. En fait, j'ai l’impression de m’être réveillée après avoir dormi pendant trente ans. Je ne voyage plus autant qu’avant. Mon seul voyage récent était en France pour voir mes proches et c’était réfléchi, ça faisait deux ans que je n’y étais pas allée. J’essaye aussi de réduire ma consommation d’eau et d’électricité. C’est pour ça que j’ai décidé de déménager dans une maison plus petite. J’achète aussi uniquement des produits locaux. Aux États-Unis, l'écologie n'est pas encore quelque chose d'inné et d'intégré. Par exemple, pour le recyclage, il faut se déplacer. 

En 2019, la YouTubeuse et influenceuse EnjoyPhoenix a demandé aux marques de ne plus lui envoyer de produits sans son autorisation. Comment avez-vous adapté votre métier, justement basé sur la réception de dizaines de colis parfois non sollicités ?
Sandrea : Premièrement, j’ai supprimé toutes les vidéos où je montrais les vêtements que j’achetais ou que je recevais. Parce que je considère que l’influence, même si la vidéo a six ans, elle est toujours là et elle est potentiellement toujours néfaste. Évidemment, ma façon de travailler a aussi évolué en même temps que ma conscience. Mon contenu n'est plus du tout le même. Je fais des vidéos axées sur le développement personnel désormais.
Les agences aussi ont évoluées. Lorsque Marie Lopez [EnjoyPhenix, ndlr] a fait cette demande, toutes les agences de presse françaises, celles avec lesquelles je bossais en tout cas, ont remanié leurs façons de faire. Elles ont envoyé des mails pour savoir si on voulait recevoir tel colis ou non. Le problème, c’est qu’à cette période, j’étais dans une telle frénésie de consommation que j’acceptais tout. Aujourd’hui, je ne reçois plus de vêtements sauf dans le cadre d’une collaboration pensée et réfléchie avec une marque éthique. Je suis passée d’un colis par jour à un par mois, et encore. Je ne reçois plus de maquillage non plus. J’en achète uniquement lorsque j’en ai besoin alors qu’avant, j’en recevais dans le cadre de mon travail et j’en achetais beaucoup aussi.

« Je me souviens avoir dit à une amie “J’aime bien faire en sorte de ne pas porter deux fois le même tee-shirt dans mes vidéos”. »

Est-ce que vous avez perdu des contrats avec des marques à la suite de votre prise de conscience ? 
Sandrea : Non, mais j’ai rompu moi-même beaucoup de contrats parce que je ne voulais plus faire la promotion de telle ou telle marque de fast fashion. J’ai encore actuellement des contrats de longue durée avec Apple, Maybelline et L’Oréal avec qui je ne fais qu’un seul placement, pour un produit que j’utilise vraiment. Ces marques ne sont pas les plus éthiques, j’en suis consciente, et peut-être que ces collaborations évolueront mais le problème, c’est qu’il faut que je puisse aussi payer mes factures. C’est en réflexion pour l’avenir. J’aimerais à terme vivre seulement de la rémunération de mes vidéos YouTube. 

D'ailleurs, comment ont réagi vos abonné·es ?
Sandrea : J'ai reçu beaucoup d'encouragements. J'ai la chance d'avoir une communauté elle-même consciente de l'importance de ces enjeux. Bien sûr, il y aura toujours des personnes qui trouveront quelque chose à redire mais dans l'ensemble ils ont été contents de ce glow up !

« Je n’ai plus envie de véhiculer le fait que c'est normal de vouloir changer de garde-robe tous les lundis »

Vous avez choisi de ne plus mettre à disposition les liens des sites des vêtements que vous portez dans vos vidéos ou sur vos photos. Pourquoi ?  
Sandrea : Je me sentais mal de mettre les liens car je sais comment cela fonctionne, s’il n’y a pas le lien à disposition, on ne va pas cliquer dessus, sauf si c’est vraiment quelque chose que l’on veut ou que l’on a besoin. Donc je suis partie du principe que si les gens voulaient vraiment quelque chose, ils feraient eux-mêmes les recherches. Je n’avais pas envie de continuer à influencer ma communauté à surconsommer des vêtements. Je n’ai plus envie de véhiculer le fait que c'est normal de vouloir changer de garde-robe tous les lundis.

La fast fashion reste quand même parfois la seule possibilité de s’habiller à moindre coût pour certaines personnes… 
Sandrea : C’est vrai mais il existe une large offre de vêtements en seconde main vendus au même prix voire moins, avec une meilleure qualité. Il y a tellement à faire sur ce sujet. Par exemple, j’aimerais créer un site en ligne pour échanger nos vêtements entre particuliers. C’est un sujet qui me tient à cœur et je sens que je gratte à peine ce que je pourrais faire. 

 « Je pensais que pour être heureuse il fallait avoir les moyens de consommer et de surconsommer. »

Comment était votre rapport à la mode avant d’entamer cette prise de conscience écologique ? 
Sandrea : J’ai toujours aimé la mode mais plus jeune je n’avais pas les moyens d’y accéder. Je viens d’une famille très modeste, la plupart de mes vêtements avaient été ceux de ma grande sœur jusqu’à ce que je la rattrape en taille et que ma mère soit obligée d’en acheter en double. On avait très peu de fringues et pour moi, c’était une grande frustration de ne pas pouvoir avoir celles que je voulais et que je voyais chez les autres. Dès que j’ai gagné ma vie et que j’ai pu avoir accès à la fast fashion, je me suis ruée dessus. J’en consommais vraiment beaucoup à un point qu’au tout début de ma chaîne, je me souviens avoir dit à une amie : “J’aime bien faire en sorte de ne pas porter deux fois le même tee-shirt dans mes vidéos.” Et à l'époque, je faisais un minimum de trois vidéos par semaine. 

D'où venait ce besoin de surconsommer ? 
Sandrea : J’avais besoin de montrer que j’étais financièrement capable de m’acheter autant de choses. Ça me donnait aussi l’impression d’avoir de la valeur aux yeux des gens. Les fringues étaient une grosse partie de qui j’étais. Je pensais que pour être heureuse, il fallait avoir les moyens de surconsommer. 

Peut-on parler d’un rapport boulimique à la fast fashion
Sandrea : C’était une addiction. J’avais clairement besoin de me remplir de vêtements. J’ai une personnalité addictive et ça je ne m’en étais pas rendu compte avant d’avoir cette prise de conscience sur ma façon de surconsommer la mode. Ça peut paraître bizarre de comparer cela à l’alcoolisme ou au tabagisme, mais c’est le même mécanisme. De la même manière qu’une addiction à la drogue ou à l’alcool, il faut se sevrer pour pouvoir finalement s’en détacher. Et comme pour les autres addictions, les tentations restent là. 

« J’aimerais à terme vivre seulement de la rémunération de mes vidéos YouTube. »

Est-ce qu’il est encore difficile de résister à la fast fashion
Sandrea : Il m’a fallu quand même deux ans pour arrêter complètement. J'ai résisté le plus longtemps que je pouvais parce que ça nécessitait des sacrifices que je n’étais pas prête de faire à l’époque. Aujourd’hui, oui, c’est parfois difficile. J’avais un tel rapport addictif aux vêtements qu’il faut encore que je me fasse violence quand je vois cette jupe qui me plaît. Je me dis que la gratification instantanée que je vais ressentir en l’achetant ne vaut pas mon impact néfaste sur la planète.

Lire aussi I « Ils ont une responsabilité » : Paye ton influence, le compte qui interpelle les influenceur·ses sur les enjeux climatiques

En avril dernier, les scientifiques du GIEC mettaient en évidence dans leur rapport, le rôle qui pourrait être joué par les influenceur·euses dans la transition écologique. « Les influenceurs sociaux et les leaders d'opinion peuvent favoriser l'adoption de technologies, de comportements et de modes de vie à faible émission de carbone», peut-on lire à la page 756. Le pensez-vous également, alors même que le principe de l’influence est d’inciter à la consommation ? 
Sandrea : Je pense que l'influence et l’écologie ne sont pas incompatibles même si pour ce faire, les influenceurs doivent modifier leur façon d’influencer leur communauté en intégrant les enjeux climatiques. Modifier son influence reste possible mais il faut travailler encore plus pour diversifier son contenu au risque de perdre de l’argent. C'est certain que nous avons notre responsabilité et un rôle à jouer dans tout ça.

L’argent est le nerf de la guerre dans cette industrie qui pèse près de 14 milliards de dollars... Peut-il être un frein à la transition  ? 
Sandrea : L’argent fait tourner les têtes et effectivement dans ce milieu, il y en a beaucoup. Les placements de produits rapportent beaucoup plus que des contenus créés et iI y a beaucoup d’avantages à recevoir des vêtements gratuitement. Pour certains, la transition écologique n’est donc pas évidente d'un point de vue financier mais j’espère qu’avec ma petite expérience je pourrais influencer les autres influenceurs à faire de même.   

  1. Vidéos où l’on présente les vêtements que l’on reçoit ou que l’on achète.[]
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