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Ondine Morin, le bon génie d’Ouessant

Les pra­tiques indus­trielles, Ondine Morin les a dans le viseur. Voilà une décen­nie que l’habitante de l’île d’Ouessant (Finistère) s’est lan­cée dans un filon plus res­pec­tueux de l’environnement et du vivant : la pêche à la ligne. Au point de deve­nir porte-​étendard de cette acti­vi­té arti­sa­nale et de son île.

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Ondine Morin © Vincent Gouriou pour Causette

La voi­ture dévale la route avant de s’arrêter. Pas le choix, le che­min s’achève et donne sur le port du Stiff, où tran­sitent chaque jour les passager·ères venant du conti­nent ou quit­tant l’île d’Ouessant, à deux heures à l’ouest de Brest par la mer. Ondine Morin, de longs che­veux châ­tains ornés de mèches blondes sur un visage cou­vert de taches de rous­seur, sort de son véhi­cule et se poste au bord de l’eau. Là, accro­ché à une bouée orange, le Finis Terrae, un bateau blanc et bleu long de 8,20 m, le sien, prend les vagues. « Ici, nous n’avons pas de port-​abri. Dès que le temps se gâte, on vient voir si tout se passe bien, si on n’a pas per­du de maté­riel. Même la nuit. Notre bateau, c’est un membre de la famille », déclare Ondine de sa voix calme.

L’Ouessantine y tient. Depuis dix ans, l’îlienne de nais­sance monte à bord avec son com­pa­gnon, Jean-​Denis, pour des sor­ties de pêche à la ligne dès que la météo le per­met. Avec des cannes de 1,8 à 2 mètres et des appâts lan­cés à l’arrière du bolide, il et elle attrapent dau­rades, maque­reaux, bars ou lieus noirs et jaunes à la force des bras : de 150 à 200 kilos par sor­tie. La mer d’Iroise, pour­tant, est capri­cieuse, répu­tée pour ses cou­rants et ses rochers rava­geurs, causes de bien des nau­frages. « Mais la ligne, c’est un métier d’avenir, arti­sa­nal », abonde la tren­te­naire au petit gaba­rit, que l’on sent vive et robuste. Pas de raclage des fonds marins ni de filets géants n’offrant aucune chance aux êtres sub­aqua­tiques – dau­phins com­pris –, Ondine Morin défend une pra­tique rai­son­née. La déci­sion a même été prise de suivre le « repos bio­lo­gique » et d’arrêter l’activité de jan­vier à mars : « On laisse les stocks se renou­ve­ler pen­dant deux mois, là où nor­ma­le­ment les pois­sons sont plus simples à pêcher, car ils se repro­duisent et se retrouvent en groupe. » Temps pen­dant lequel le couple entre­tient le maté­riel et pré­pare la pro­chaine saison.

Lorsqu’on remonte le fil de son par­cours, atta­blées dans le café-​boulangerie du bourg de Lampaul – le centre de ce bout de terre de 8 kilo­mètres de long –, cet enga­ge­ment se com­prend. Une enfance rêvée, indé­pen­dante, cer­clée de pay­sages sau­vages, à vaga­bon­der jusqu’aux limites de l’île. « Quand on vient d’ici, la nature c’est l’essence même de la vie. On fait corps avec ce qui nous entoure », dépeint-elle. 

De ses balades noc­turnes à tra­quer les héris­sons, gui­dée par la lumière des phares, la curieuse Ondine (génie des eaux dans la mytho­lo­gie) se forge une ima­gi­na­tion débor­dante peu­plée de cris d’oiseaux et de per­son­nages fée­riques. Le tableau va prendre un coup au moment où, comme les cama­rades de son âge, elle va devoir conti­nuer sa sco­la­ri­té au lycée sur le conti­nent, à Brest. « Je n’étais pas assez mature pour par­tir. Arrivée à Brest, j’étouffais, je ne voyais plus l’horizon », raconte-​t-​elle, encore mar­quée par cet arra­che­ment obli­ga­toire. L’adolescente mélan­co­lique veut tout arrê­ter, ses parents la poussent à pour­suivre. « Avec le recul, je me dis que c’est le genre d’épreuves qui forgent un carac­tère, qui per­mettent d’avoir une cer­taine volon­té. » L’année sui­vante, elle file à Morlaix, un peu plus dans les terres, dans un lycée agri­cole. Elle ter­mine un bac Sciences et tech­no­lo­gies de l’agronomie et de l’environnement et renoue avec ses pre­mières amours. « On était tout le temps dehors à droite à gauche, c’était génial. »

Trop jeune pour plaire 

L’île reste néan­moins dans ses pen­sées. Mais, quand on vient d’Ouessant, on le sait, dif­fi­cile de tra­vailler sur place, à moins de créer sa propre acti­vi­té. « À l’époque, j’ai consta­té que le sec­teur tou­ris­tique avait le vent en poupe, mais qu’il n’y avait pas de pro­fes­sion­nels », raconte-​t-​elle en siro­tant son café. En 2007, après son BTS et une licence en mana­ge­ment à La Rochelle, Ondine Morin est per­sua­dée de pou­voir éta­blir sur l’île une agence de voyages. Impossible sans un bre­vet spé­ci­fique. Un an plus tard, à 23 piges, elle s’engage en poli­tique pour les muni­ci­pales autour de la défense d’un tou­risme plus durable. Là encore, c’est la dés­illu­sion. « J’ai vu mon nom rayé comme tous ceux des jeunes ins­crits. Ici, la popu­la­tion est âgée, plus de 65 % a 65 ans. » Grosse déprime.

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Ondine Morin © Vincent Gouriou pour Causette

Au même moment, pour­tant, l’amoureuse de nature et de légendes « tombe » dans les archives sur le patri­moine d’Ouessant. Elle avale des connais­sances et com­mence à pro­po­ser des visites gui­dées de ses terres. « Il fal­lait que je prouve quelque chose, les habi­tants de l’île ne me fai­saient pas confiance », soutient-​elle. Peut-​être, mais elle se tue à la tâche, enchaîne les balades peu importe les condi­tions, et finit en « burn-​out », selon ses mots. Retour à la case départ, sur le conti­nent, avec son com­pa­gnon, Jean-​Denis – qui offi­cie dans la marine mar­chande –, pour se ressourcer.

Une jour­née particulière

« Jean-​Denis m’avait dit qu’il vou­lait être pêcheur-​ligneur à Ouessant. On regar­dait les annonces un peu comme ça, se rap­pelle Ondine Morin. Puis un jour, en 2010, un ami nous appelle et nous signale qu’il y a exac­te­ment le bateau qu’on recherche. » Le pré­sage pour reve­nir sur cette île qui lui man­quait d’autant plus qu’elle s’en trou­vait loin.

À leur retour à Ouessant, à l’hiver 2010–2011, elle reprend son acti­vi­té de guide. Parallèlement, cette touche-​à-​tout de 37 ans, qui connaît peu de choses à la pêche, si ce n’est que son grand-​père a été ligneur lui aus­si, embarque dans les vagues et les pois­sons avec son com­pa­gnon. « Je me suis aper­çue que j’avais la fibre », souligne-​t-​elle, des étoiles plein les yeux. Suivre les fous de Bassan qui chassent les maque­reaux en des­sous des­quels rôdent leurs pré­da­teurs, les bars, voi­là un exer­cice du quo­ti­dien en lien avec le vivant. Ouessant, pour­tant, n’est pas terre de pêcheur·euses. Le couple ne s’en for­ma­lise pas et crée son acti­vi­té, si bien que la mate­lot néo­phyte part à l’école, au Guilvinec, apprendre les rudi­ments du métier. 

La tante d’Ondine, Violette, 92 ans et des yeux bleus cou­leur d’opaline, s’en émeut : « Ondine, c’est un peu marche ou crève. Devenir patronne pêcheuse est la preuve d’un grand cou­rage, d’une téna­ci­té à toute épreuve. » Même constat chez ses col­lègues de l’office du tou­risme d’Ouessant, Pauline et Inès, qui la voient aujourd’hui alter­ner ses visites de l’île, qu’elle a reprises – 25 % de son temps actuel­le­ment – et ses sor­ties en mer : « Elle a ce côté doux et pas­sion­né et, en même temps, elle navigue sur les bateaux dans les cou­rants. On serait inca­pables de faire ce qu’elle fait. » 

Une jour­née dans la vie d’Ondine Morin ne res­semble donc à rien d’ordinaire. Le matin, quand la tem­pête ne bat pas les flots, elle part en mer. Une par­tie du butin amas­sé à la sueur du front des deux pêcheurs est sto­ckée dans une chambre froide chez les parents d’Ondine, pour être envoyée sur le conti­nent via la pla­te­forme de pêche durable Poiscaille ou à des res­tau­ra­teurs comme Julien Dumas, à la tête du res­tau­rant gas­tro­no­mique Saint-​James, à Paris. Le chef, qui a « remar­qué tout de suite qu’Ondine avait une force de carac­tère et qu’elle était inves­tie », admire sa façon de trai­ter et de conser­ver le pois­son. L’autre par­tie de la pêche est ven­due par Ondine dans sa bou­tique ­étri­quée du bourg. 

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Ondine Morin © Vincent Gouriou pour Causette
Les bars se barrent

Les maque­reaux encore brillants dans ses mains, pour le mar­ché du matin, en témoignent. La pêcheuse sait aus­si ce qu’ils valent : « En arri­vant dans le milieu, j’ai vu com­bien il était archaïque. Souvent, c’est celui qui pêche qui gagne le moins, com­pa­ré à tous les inter­mé­diaires. » Grâce à la vente directe, le couple fixe ses prix et peut vivre de son métier. Ce matin de novembre, une queue s’est for­mée devant leur stand. « Alors, la pêche est bonne en ce moment ? » s’enquièrent les acheteur·euses. Même si l’exercice la désta­bi­lise un peu, du fait des com­men­taires des client·es qui en demandent tou­jours plus (de sortes de pois­sons, de quan­ti­tés), la patronne – polaire, pan­ta­lon bleu marine et cache-​oreilles – en pro­fite pour vul­ga­ri­ser la pra­tique de la ligne. « Je ne ferais rien de bien si je ne sen­si­bi­li­sais pas, assure-​t-​elle. On ne peut plus tirer à bou­lets rouges quand le pois­son est vul­né­rable. En mer d’Iroise, on comp­tait sept foyers de bars, on n’en a plus qu’un seul. » Avec Jean-​Denis, Ondine a rejoint l’association Les Ligneurs de la pointe Bretagne, pour mettre en avant sa vision de cette acti­vi­té et déve­lop­per le mar­quage de leurs pro­duits avec des éti­quettes pré­sen­tant leur méthode de pêche. Ken Kawahara, le secré­taire de l’asso, n’hésite pas à la qua­li­fier de pion­nière : « Ondine doit être l’unique femme à la tête d’un équi­page dans l’asso. Parmi nos adhé­rents, c’est cer­tai­ne­ment celle qui s’expose le plus. Pas pour elle, mais pour défendre la petite pêche. »

L’îlienne a même eu l’occasion de prô­ner sa concep­tion éco­lo­gique lors d’un dis­cours pour l’événement La France des solu­tions, en 2018, ain­si qu’au Salon de l’agriculture en 2019. « Ce milieu, c’est David contre Goliath, avec des labels qui récom­pensent les pires pra­tiques. Mais pour une fois, Goliath écou­tait David », dit-​elle en riant. Elle n’a déci­dé­ment peur de rien.

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