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© Contre Attaque

Penalty : de sa petite his­toire, aux mul­tiples débats qu'il occasionne

Causette s’associe au web­zine Contre Attaque, média créé par de jeunes ama­trices de foot et dont nous vous par­lions ici. Toutes les deux semaines, le same­di, vous trou­ve­rez sur notre site l’un de leurs articles. Dans ce qua­trième épi­sode, nous vous pro­po­sons de décou­vrir l'histoire et les nom­breuses règles qui encadrent une action foot­bal­lis­tique aus­si connue que sujette à contro­verse : le penal­ty. Parce qu'à quelques jours du début de l'Euro, c'est un peu la notion à maîtriser. 

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Par Chloé Michel

Olympico, 28 février 2021 : l'Olympique lyon­nais affronte l'Olympique de Marseille. Alors que les sup­por­ters mar­seillais trouvent mira­cu­leux de n’être menés que d’un but, c’est par un penal­ty – qui pro­vo­que­ra de nom­breux débats – que leur équipe va reve­nir au score juste avant la mi-​temps. Selon l’arbitre Benoît Millot, Lucas Paquetá est cou­pable d’une faute de main suite à un tir en force de Pape Gueye, à l’entrée de la sur­face. Cette erreur per­met à Arkadiusz Milik de mar­quer le but du match nul. Après cette par­tie ten­due, les dif­fé­rentes inter­pré­ta­tions du règle­ment s’opposent : pour l’Olympique lyon­nais, le pre­mier contact entre le corps de Paqueta et le bal­lon, avant le rebond sur le bras, rend la faute de main inexis­tante. Pour les autres, le défen­seur se serait trou­vé en posi­tion non natu­relle, aug­men­tant arti­fi­ciel­le­ment la sur­face de son corps avec un bras ten­du au niveau de l’épaule. Animant nombre de débats foot­bal­lis­tiques, par­fois lar­ge­ment empreints de mau­vaise foi, le penal­ty fête cette année ses 120 ans de pré­sence dans les règles offi­cielles du foot­ball. Alors, peno ou pas peno ?

La loi 14 du football

Aujourd’hui, la loi n°14 du foot­ball, enca­drée par l’International Football Association Board (IFAB), est for­mu­lée ain­si : « Un penal­ty (coup de pied de répa­ra­tion) est accor­dé si un joueur com­met une faute pas­sible d’un coup franc
direct dans sa propre sur­face de répa­ra­tion […] comme décrit dans les Lois 12 et
13 »
1. Autrement dit, toute faute sanc­tion­nable par un coup franc direct, com­mise dans la sur­face de répa­ra­tion du joueur fau­tif donne lieu à un penal­ty. C’est dans la loi 12 que sont énu­mé­rées les dif­fé­rentes fautes concer­nées, allant de la charge, au coup de pied ou au tacle, si effec­tués « de manière impru­dente, incon­si­dé­rée ou vio­lente ». Ces trois der­niers qua­li­fi­ca­tifs décident de la sanc­tion sup­plé­men­taire qui vise­ra le joueur : une faute « impru­dente » n’appellera pas de sanc­tions, tan­dis qu’une faute « incon­si­dé­rée » (sans tenir compte du carac­tère dan­ge­reux ou des consé­quences sur l’adversaire) pro­vo­que­ra un aver­tis­se­ment pour le joueur, et une faute « vio­lente » (usage exces­sif de la force au risque de mettre en dan­ger l’intégrité phy­sique de l’adversaire) amè­ne­ra l’exclusion. À ces fautes « phy­siques » s’ajoutent la tenue, ou rete­nue d’un adver­saire, ain­si que la mor­sure et le cra­chat. Enfin sont concer­nées les fautes de main : l’IFAB défi­nis­sant la limite de la « main » au bas de l’aisselle.

C’est d’un gar­dien de but irlan­dais que vien­dra l’idée, en 1890, du « penal­ty kick ». William McCrum vou­lait alors « limi­ter la bru­ta­li­té des défen­seurs ». Le cham­pion­nat local l’introduit, et la Fédération irlan­daise pousse pour qu’il soit codi­fié dans les règles inter­na­tio­nales. Après un scep­ti­cisme assez large dans le monde du foot­ball, un match entre Notts County et Stoke City dans le cham­pion­nat anglais relance le débat : mal­gré une main volon­taire d’un joueur de Notts County sur sa ligne de but pour stop­per le bal­lon, Stoke City n’en tire aucun béné­fice, le coup franc sif­flé n’ayant pas été trans­for­mé. Le 2 juin 1891, le penal­ty devient alors la loi n°13 du foot­ball. Le 14 sep­tembre, c’est John Heath, joueur de Wolverhampton, qui devient le pre­mier joueur de l’histoire à mar­quer un but sur penal­ty. En 1902 est for­mel­le­ment intro­duit le point de penal­ty, et en 1930, le gar­dien fran­çais Alex Thépot arrê­te­ra le pre­mier penal­ty accor­dé en Coupe du monde, lors d’un match France-Chili. 

D’Antonin Panenka qui, en 1976, don­ne­ra son nom à une tech­nique par­ti­cu­lière pour tirer ce coup de pied de répa­ra­tion, à Johan Cruyff, qui mar­que­ra le pre­mier penal­ty joué à deux en 1982 à l'aide de son com­père Jesper Olsen (rien n’oblige le tireur à tirer direc­te­ment au but, tant que la passe est vers l’avant et que le bal­lon pas­sé par un autre joueur revient dans les pieds du tireur), les joueurs se sont, au fil des années, appro­priés cette action si par­ti­cu­lière, la ren­dant par­fois légendaire.

Jeux de mains, jeux de vilains
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Après 118 ans d’existence, le penal­ty en tant que loi du foot­ball va connaître une modi­fi­ca­tion majeure en mars 2019, suite au 133e congrès annuel de l’IFAB. Voulant mettre fin aux mul­tiples débats consé­cu­tifs aux penal­tys sif­flés pour faute de main, l’IFAB décide alors de sup­pri­mer la dis­tinc­tion entre main volon­taire et invo­lon­taire, qui gui­dait aupa­ra­vant l’arbitre dans sa déci­sion. Les mains dans la sur­face seront donc sys­té­ma­ti­que­ment sanc­tion­nées, que ce soit pour les défen­seurs ou pour les atta­quants. Les débats volon­taire /​invo­lon­taire sont donc désor­mais rem­pla­cés par des débats quant à l’utilisation de leur corps par les joueurs : augmentent-​ils arti­fi­ciel­le­ment la sur­face de leurs corps ? Sont-​ils dans une posi­tion « naturelle » ?

Sur cette ques­tion, au vu des der­niers matchs, per­sonne ne semble bien d’accord. D’abord, la posi­tion « natu­relle » telle que vue par l’IFAB ne convainc pas : pour Lionel Mathis, ex-​milieu de ter­rain à Auxerre ou Guingamp, « c'est lorsqu'on a les bras raides le long du corps que la posi­tion n'est pas natu­relle […] c’est impos­sible de bien défendre de cette façon »2. Lui aime­rait qu’on res­pon­sa­bi­lise davan­tage les joueurs : pour Mathis, si le bal­lon rebon­dit sur le bras ou la main suite à un contrôle raté, la main devrait être sifflée. 

Les penal­tys, un sym­bole de l'émotion dans le football ?

Le débat est d’autant plus vif qu’il est bien sou­vent impré­gné par la contro­verse autour de l’assistance à l’arbitrage vidéo. Alors que la dis­tinc­tion entre main volon­taire et invo­lon­taire lais­sait une marge d’interprétation consé­quente à l’arbitre, les véri­fi­ca­tions actuelles paraissent éloi­gner « l’humain » de la déci­sion : le contact main-​ballon devient néces­sai­re­ment pro­blème, le sen­ti­ment de l’instant ne peut plus se sub­sti­tuer à la règle écrite. C’est en tout cas l’avis de Michel Platini, qui, dans une lettre à l’attention de Philippe Piat, pré­sident du syn­di­cat des foot­bal­leurs, cible net­te­ment les arbitres : « Ils n’ont plus à inter­pré­ter le règle­ment, mais sim­ple­ment à l’appliquer. Comme si toutes leurs déci­sions devaient ren­trer dans des cases. […] L’arbitre est un rouage essen­tiel du foot­ball, mais il n’en est pas l’architecte »3.

La VAR (assis­tance vidéo à l'arbitrage) et les penal­tys seraient-​ils les tue‑l’amour du foot­ball ? Si la ques­tion divise, il est cer­tain que cer­taines situa­tions deviennent par­ti­cu­liè­re­ment ubuesques. Le hui­tième de finale retour entre Dortmund et Séville le 9 mars der­nier l’a encore mon­tré : alors qu’Haaland avait ins­crit son deuxième but et s'apprêtait à mar­quer le troi­sième depuis le rond cen­tral, ce der­nier a été annu­lé pour être rem­pla­cé par un penal­ty sif­flé en faveur de Dortmund, en rai­son d'une charge illi­cite de Koundé. Un penal­ty d’abord man­qué par ce même Haaland – car arrê­té par le gar­dien sévil­lan – mais une minute plus tard annon­cé illi­cite par la VAR, le gar­dien n’ayant pas les pieds sur sa ligne au moment du tir. Sur sa deuxième ten­ta­tive, Haaland trans­forme le penal­ty et ramène son équipe à 2−0… lui don­nant donc le même avan­tage qu’après son but refu­sé trois minutes plus tôt.

Concentré de contro­verses et d’émotions, le penal­ty est donc depuis 120 ans un élé­ment phare des matchs de foot­ball. Du trau­ma­tisme (com­ment oublier celui sif­flé à la der­nière minute pour Manchester United en hui­tième de finale retour de Ligue des cham­pions au Parc des Princes en mai 2019), au run­ning gag (« Penalty pour Lyon »), tout fan de foot a un sou­ve­nir par­ti­cu­lier lié à cette action. Face à sa ratio­na­li­sa­tion à l’extrême tant par les nou­velles règles que par la VAR, la renais­sance du coup franc indi­rect dans la sur­face per­met­trait de réin­tro­duire une échelle de sévé­ri­té face aux fautes, et aux foot­bal­leurs de jouer sans pen­ser à tout prix à le pro­vo­quer. Redonnant au penal­ty sa place à part au sein des actions d’un match de football.

Contre Attaque, épi­sode 3 l Les Terrao de Cima, ter­rains de foot et hauts lieux de la vie sociale et cultu­relle de São Paulo

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  1. cf. Laws of the Game, IFAB[]
  2. Thibaud Geffrotin, “Main dans la sur­face, on siffle ou on laisse jouer ? »,publié dans Le Point, le 13 avril 2019[]
  3. Ibid[]
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