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Bilan : les com­bats extra-​sportifs des ath­lètes femmes aux Jeux olym­piques de Tokyo

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© Bryan Turner

Tenues de sport scru­tées, taux de tes­to­sté­rone cal­cu­lés, che­veux courts vili­pen­dés… Alors que les Jeux olym­piques s’achèvent ce wee­kend, Causette fait le bilan des embûches aux­quelles se sont confron­tées les spor­tives lors de cette édition.

L’édition des Jeux Olympiques qui se conclu­ra sur la céré­mo­nie de clô­ture dimanche soir est la pre­mière à frô­ler la pari­té d’athlètes. Près de 49% d’athlètes femmes par­ti­cipent et elles seront 40,5 % lors des Jeux para­lym­piques (qui se dérou­le­ront du 24 août au 5 sep­tembre). Autre réjouis­sance, il n’y a jamais eu autant d’épreuves mixtes ; 9 de plus qu’à Rio. Du côté de l'Équipe de France, les femmes ont par­ti­ci­pé plus qu’activement à la mois­son de médailles. Au total, 14 des 30 titres ont été gagnés par les Bleues et 2 par des équipes mixtes.

Exactement un siècle aupa­ra­vant, en 1921, le père fon­da­teur des Jeux modernes, Pierre de Coubertin, décla­rait pour­tant : « Une petite olym­piade femelle [en réfé­rence au com­bat d’Alice Milliat pour créer des jeux pour les femmes, ndlr] à côté de la grande olym­piade mâle. Où serait l’intérêt ? (…) Impratique, inin­té­res­sante, ines­thé­tique, et nous ne crai­gnons pas d’ajouter : incor­recte, telle serait à notre avis cette demi-​olympiade fémi­nine. Ce n’est pas là notre concep­tion des Jeux olym­piques dans les­quels nous esti­mons qu’on a cher­ché et qu’on doit conti­nuer de cher­cher la réa­li­sa­tion de la for­mule que voi­ci : l’exaltation solen­nelle et pério­dique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyau­té pour moyen, l’art pour cadre et l’applaudissement fémi­nin pour récom­pense ». Les temps ont donc bien changé. 

Lire aus­si : « Les Incorrectes » : un pro­jet de docu­men­taire sur Alice Milliat et ses héritières

Toutefois, en 2021, ce n’est pas tou­jours une mince affaire d’être une femme dans le monde des Jeux et cer­taines ont dû faire preuve d’un cou­rage par­ti­cu­lier. On a assis­té d’une part à l’épisode Simone Biles, star de l’équipe de gym­nas­tique amé­ri­caine à qui certain·es ont repro­ché son renon­ce­ment lors de l’épreuve mixte pour cause de fra­gi­li­té psy­chique, et qui leur a fait fer­mer leur cla­pet en rem­por­tant, quelques jours après et mal­gré la pres­sion, la médaille de bronze à la poutre en indi­vi­duel. D’autre part, dans un contexte de répres­sion poli­tique en Biélorussie, la sprin­teuse bié­lo­russe Krystsina Tsimanouskaya a trou­vé la force de cri­ti­quer des entraî­neurs de sa délé­ga­tion sur les réseaux sociaux et de se défendre face aux ten­ta­tives de repré­sailles de la Biélorussie. Alors que son pays la mena­çait d’un rapa­trie­ment express suite à sa prise de parole et qu’elle crai­gnait d’être pla­cée en pri­son, l’athlète a pu comp­ter sur la soli­da­ri­té du Comité inter­na­tio­nal olym­pique (CIO) et la diplo­ma­tie polo­naise pour se réfu­gier en Pologne. Mais d’autres com­bats de femmes ont été moins média­ti­sés. On vous fait le point.

Pas de décath­lon pour les femmes 

Quelques rares dis­ci­plines res­tent réser­vées aux hommes. C’est le cas du 50 kilo­mètres marche notam­ment, même si celle-​ci ne figure pas au pro­gramme de Paris 2024 et devrait être rem­pla­cée par « une épreuve mixte » encore à défi­nir. Toutefois, il n’est pas pré­vu que la dis­ci­pline olym­pique phare, le décath­lon, soit ouvert aux ath­lètes fémi­nines, qui ne dis­putent « qu’un » hep­tath­lon, soit trois épreuves de moins. La décath­lo­nienne amé­ri­caine Jordan Gray, qui détient le meilleur score de toutes les femmes actuel­le­ment actives dans ce sport, milite d’ailleurs pour qu’une équi­va­lence fémi­nine soit inté­grée aux Jeux olympiques.

Le com­bat pour par­ti­ci­per aux Jeux

Elle aus­si a connu des obs­tacles pour pra­ti­quer libre­ment son sport. A 24 ans, Masomah Ali Zada est deve­nue à Tokyo la pre­mière femme cycliste afghane à par­ti­ci­per à une com­pé­ti­tion olym­pique. Harcelée, insul­tée et même par­fois frap­pée pour le simple fait d’être une femme qui fait du vélo, la cycliste a quit­té l’Afghanistan en 2017 pour se réfu­gier en France. Le 28 juillet, elle a donc par­ti­ci­pé au contre-​la-​montre fémi­nin de cyclisme sur route sous la ban­nière blanche aux anneaux mul­ti­co­lores de l’équipe des réfugié·es. « Aller aux Jeux Olympiques (…), ce n'était plus seule­ment pour moi. C'était pour défendre les droits des femmes, pour repré­sen­ter toutes celles vivant dans des pays comme l'Afghanistan où elles n'ont pas le droit de faire du vélo », a décla­ré Masomah Ali Zada lors de son retour à Paris.

Lire aus­si : JO de Tokyo : la cycliste afghane Masomah Alizada concour­ra pour défendre le droit des femmes à « faire ce qu’elles veulent » 

Les tenues ves­ti­men­taires, objets de scandales

Lors des qua­li­fi­ca­tions de gym­nas­tique artis­tique, les Allemandes Elisabeth Seitz, Sarah Voss, Pauline Schaefer-​Betz et Kim Bui arrivent sur le tapis arbo­rant une com­bi­nai­son recou­vrant les jambes et bras. Malgré le fait que cela soit auto­ri­sé, ce geste a encore fait beau­coup par­ler, comme lors des der­niers cham­pion­nats euro­péens. Preuve que les tenues des femmes conti­nuent d’être scru­tées et dictées.

Lire aus­si : Justaucorps inté­gral et fin de l’hypersexualisation des femmes en gym­nas­tique : geste fort ou faux débat ?

« Nous vou­lons mon­trer que chaque femme à le droit de choi­sir ce qu’elle veut por­ter », a affir­mé Elisabeth Seitz à Reuters. Ce geste fait notam­ment écho à l’amende reçue par l'équipe nor­vé­gienne de beach hand­ball pour avoir renon­cé au biki­ni lors de l’Euro. A l’inverse, la gal­loise Olivia Breen, double cham­pionne du monde para­lym­pique en ath­lé­tisme, s’est vue repro­cher le port d’un slip jugé "trop court et inap­pro­prié" en juillet der­nier lors des cham­pion­nats d'Angleterre. Difficile de s’y retrouver. 

Aux Jeux olym­piques, le CIO n’est pas en charge des tenues, ce sont les fédé­ra­tions de chaque dis­ci­pline qui fixent les règles. Celles-​ci cherchent sou­vent à impo­ser des tenues peu confor­tables à leurs cham­pionnes, à l’image de la fédé­ra­tion inter­na­tio­nale de bad­min­ton qui, en 2011, a obli­gé les joueuses à por­ter des jupes, sous peine d’être dis­qua­li­fiées. Ces injonc­tions à la « fémi­ni­té » répondent sou­vent à une exi­gence mar­ke­ting des sponsors. 

En Corée du Sud, une médaillée d’or vic­time de sexisme 

Lorsque ce ne sont pas les tenues des ath­lètes, ce sont leurs coupes de che­veux qui peuvent éga­le­ment acca­pa­rer l’attention. C’est ce qui est arri­vé à l’archère sud-​coréenne An San lors de ces Jeux de Tokyo. La jeune cham­pionne de 20 ans a rem­por­té trois médailles d’or, écra­sant ain­si un record vieux de 25 ans. Néanmoins, ce ne sont pas ses per­for­mances spor­tives qui ont été remar­quées par nombre de ses com­pa­triotes mas­cu­lins… mais ses che­veux courts. Pour ses détrac­teurs, cette coupe signi­fie qu’An San est fémi­niste et donc qu’elle ne mérite pas ses médailles. Dans un échange repé­ré par le New York Times sur le compte Instagram de l’archère, un uti­li­sa­teur lui a deman­dé pour­quoi elle avait cou­pé ses che­veux. « Parce que c’est confor­table », a‑t-​elle répon­du, accom­pa­gné d’un émo­ji souriant.

Cheveux vio­lets et gauchisme 

An San n’a pas été la seule ath­lète olym­pique à voir sa coupe de che­veux cri­ti­quée. « La femme aux che­veux vio­lets a très mal joué et passe trop de temps à pen­ser à la poli­tique de gauche radi­cale et à ne pas faire son bou­lot », n’a pas hési­té à tan­cer Donald Trump via… un com­mu­ni­qué de presse – puisque, rappelons-​le, l’ancien pré­sident des États Unis a été ban­ni de Twitter. Cette attaque vise Megan Rapinoe, star de l’équipe de foot­ball des Etats-​Unis, qui avait notam­ment vive­ment cri­ti­qué l’ancien pré­sident lors de la Coupe du Monde 2019. Rapinoe et ses coéqui­pières ont pour­tant rem­por­té une médaille de bronze à Tokyo en bat­tant les Australiennes lors de la petite finale avec un dou­blé de la joueuse de 36 ans. « Si notre équipe de foot, menée par un groupe radi­cal de folles de gauche, n'était pas ''woke", elles auraient gagné la médaille d'or au lieu du bronze », a ajou­té l’ancien loca­taire de la Maison Blanche.

La néo­zé­lan­daise Laurel Hubbard, vic­time de transphobie

Une bonne nou­velle, Tokyo 2020 sont les pre­miers Jeux olym­piques à accueillir une ath­lète trans­genre. La Néozélandaise Laurel Hubbard a par­ti­ci­pé à l’épreuve d’haltérophilie dans la caté­go­rie des plus de 87 kg. A 41 ans, elle a pu être sélec­tion­née dans la dis­ci­pline fémi­nine après un test de ses niveaux de tes­to­sté­rone qui était infé­rieurs à ceux recom­man­dés (10 nano­moles par litre de sang). Malgré un échec, sa par­ti­ci­pa­tion aura mar­qué cette édi­tion des Jeux. Toutefois, sa pré­sence a sou­le­vé de nom­breuses cri­tiques et de vifs débats. L’athlète a reçu le sou­tien du direc­teur médi­cal du CIO Richard Budgett qui a affir­mé en confé­rence de presse : « Laurel Hubbard est une femme et elle concourt selon les lois édic­tées par sa fédé­ra­tion. Et nous devons saluer son cou­rage et sa téna­ci­té pour s'être qua­li­fiée pour les Jeux ». D’autres estiment néan­moins que sa pré­sence est injuste car elle béné­fi­cie­rait d’avantages phy­siques par rap­port à ses concur­rentes. Sur les réseaux sociaux, les hash­tags #LaurelHubbardCheats (Laurel Hubbard triche) ou encore #LaurelHubbardIsAMan (Laurel Hubbard est un homme) ont été mas­si­ve­ment utilisés.

Des ath­lètes sou­mises aux contro­ver­sés tests de féminité

Si l’haltérophile a pu concou­rir dans son sport, ce n’est pas le cas de toutes les femmes. En effet, les tests de tes­to­sté­rone peuvent éga­le­ment exclure des ath­lètes de leur propre dis­ci­pline. Entré en vigueur en 2019, le nou­veau règle­ment sur l’hyperandrogénie de la fédé­ra­tion inter­na­tio­nale d’athlétisme sti­pule que pour par­ti­ci­per aux épreuves de courses entre 400m et 1 mile, les femmes doivent avoir un taux de tes­to­sté­rone infé­rieur à 5 nano­moles par litre. Dans le cas contraire, elles doivent suivre un trai­te­ment pour faire bais­ser leur taux de tes­to­sté­rone ou ten­ter de se qua­li­fier sur d’autres dis­tances. C’est le cas des Namibiennes Christine Mboma et Beatrice Masilingi qui doivent concou­rir sur des dis­tances qui ne sont pas habi­tuelles, ce qui com­pro­met donc for­te­ment leurs chances de vic­toires. D’autres, comme la Sud-​africaine Caster Semenya, double cham­pionne olym­pique et triple cham­pionne du monde sur 800 mètres, ont tout sim­ple­ment été exclus de la com­pé­ti­tion. Ces « tests de fémi­ni­té » sont notam­ment dénon­cées par l’ONG Human Rights Watch.

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