Quatre personnalités ont confié à Causette le pourquoi et le comment de leurs engagements solidaires. Inspirant.
Pénélope Bagieu
AUTRICE DE BANDES DESSINÉES
« La première fois que j’ai participé à une opération avec une association, c’était avec la Croix-Rouge, il y a quinze ans. Et j’en fais régulièrement au fil des années. Mais, là, en 2020, c’est devenu systématique, car la situation est de pire en pire… Je vends des dessins ou je relaie une story sur Instagram pour mettre en avant une campagne de communication ou un appel aux dons. Je fais aussi des choses sur le terrain, comme des cours de soutien ou de l’aide aux migrants, mais je ne souhaite pas médiatiser cet aspect-là. Déjà parce que ça fait un peu “safari chez les pauvres” et que ça donne l’impression qu’on veut se faire briller. J’ai aussi compris qu’il ne fallait pas essayer de se substituer aux associations, de prendre la parole à leur place, c’est pas bien.
Avant, je me sentais inutile. J’avais l’impression de faire du militantisme de salon. Et puis je me suis dit que j’avais un auditoire hyper large et que je pouvais relayer des messages. Je pense qu’il faut que les gens qui ont une voix qui porte s’en servent pour accompagner le travail de l’ombre. Moi, mon job est utile si je peux récupérer de l’argent. J’ai fait une vente de dessins pour la Fondation Abbé-Pierre qui a permis de récupérer 30 000 euros en quelques minutes. En fait, j’avais dessiné pour moi, pour m’exercer. Et puis j’ai entendu le discours hyper connu de l’abbé Pierre, celui de 1954, qu’on entend tout le temps, qui met une grosse claque et rend le retour à la vie normale quasi impossible. Donc, j’ai appelé la Fondation Abbé-Pierre pour leur proposer d’organiser une vente.
Si je peux inciter les gens qui ont de l’argent à le diriger vers des bonnes causes, tant mieux. Hélas, ça ne suffit pas à se sentir apaisée. De toute façon, je ne crois pas à l’activité apaisée, il faut être énervée pour que ça marche. Je pense aussi qu’il ne faut pas, non plus, dépolitiser ces gestes de solidarité. Au fond, on ne devrait pas avoir à faire tout ça, on ne devrait pas avoir à se tordre le bide en se demandant à qui donner de l’argent. Il ne faut pas oublier la colère de fond face aux gens qu’on a élus. Car, pour moi, rien n’est fait pour aider les plus pauvres. » T.T.
Marie Desplechin
Écrivaine, notamment
pour la littérature jeunesse
« Je ne sais pas si cette notion existe encore, mais mes parents étaient des cathos de gauche. Donc, j’ai grandi avec des valeurs évangéliques et l’idée qu’il faut partager. Ils étaient au PSU, très politisés. Il y avait toujours du monde chez nous. Les camarades, les copains de manif. Aller coller des affiches avec les grands, c’était le summum du bonheur. Pendant des mois, ils ont aussi hébergé un jeune Algérien menacé d’expulsion, et ma mère était au Mlac [Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, ndlr]. Mais chez eux, l’engagement n’était jamais doloriste. Toujours source de joie et tellement intéressant. Ça vous reste à vie. Et il n’y a aucune raison de ne pas y aller ensuite ! Dès mes 15 ans, j’ai commencé à m’engager. Et je n’ai jamais arrêté. C’est tout sauf chiant ! C’est l’inverse de ça. Dans les assos, on rencontre plein de gens qu’on n’aurait jamais rencontrés autrement. Ça augmente la vie, vraiment. Ça lui donne du sens. C’est un peu angoissant la vie, sinon, non ? Nos existences sont un peu minables sans ça. Il nous reste quoi ensuite ? Acheter des fringues sur Internet ? Merci…
Bien sûr, il faut accepter de se prendre des claques par moments et de perdre souvent. Mais la vie, c’est comme ça tout le temps. Après, j’ai beaucoup de compassion pour les femmes qui travaillent et élèvent des enfants en bas âge, etc. Elles ont une charge mentale de malade et loin de moi l’idée de faire la morale. On ne peut pas être sur tous les fronts. Mais d’abord, il faut se dire que ce ne sera pas toute la vie comme ça. Et aussi que les modes d’engagements sont super divers. On peut donner ses vieux jouets, de l’argent à la Cimade ou signer des pétitions. Ou tout simplement essayer d’être en cohérence avec ses valeurs au quotidien. S’intéresser à la vie de son ou sa gardien·ne d’immeuble, ou, si on le peut, ne pas radiner sur les tarifs pour la personne qui garde vos enfants. L’humanité commence là… On peut aussi réduire la viande et le poisson, acheter son savon en pain, ses brosses à dents en bambou, vérifier la composition des produits ménagers… Le penser, c’est déjà de l’engagement. Et puis il faut s’informer, penser le monde. Sinon, on est à la merci de nos peurs. Et il vaut mieux être en colère que terrifié. » S.G.
Elsa Wolinski
Écrivaine et créatrice de Sisterhood,
marque de vêtements féministe et solidaire
« Dans la société dans laquelle on vit, ce n’est pas possible de faire autrement qu’être solidaire. Sinon, c’est qu’on est vraiment un connard assis sur son tas d’argent qui laisse le monde passer. On va tous être dans la merde, cette année. Mais on peut être dans l’action. J’ai compris ça quand j’étais petite et que j’allais à la Fête de l’Huma avec mon père [Georges Wolinski, dessinateur de presse chez Charlie Hebdo, assassiné lors des attentats de 2015]. Je me rappelle m’être dit “On est tous ensemble”. C’est là que j’ai compris qu’on devait partager. Je me souviens aussi des premiers camps de migrants à Paris, il y a quatre ans. J’y suis allée pour voir les familles. L’asso OOTD Refugees cherchait des affaires pour homme. J’ai filé une valise entière de pulls et chemises de mon père. L’asso m’a ensuite envoyé des photos de jeunes qui portaient les affaires de Wolinski. C’était très émouvant. Je me suis dit : “ça sert à ça, la vie”.
Au moment où je vous parle, je suis en route pour apporter des doudous à l’asso Mam Collecte Solidaire. Elle aide les mamans et les enfants démunis. Pendant le premier confinement, j’ai déposé des cageots de légumes pour l’asso Abri de femmes. Elle m’a dit qu’une famille n’avait pas mangé depuis trois jours… J’ai aussi lancé une marque de vêtements, Sisterhood, pour laquelle je ne gagne rien et qui reverse 10 % des bénéfices à Putain de guerrières, une asso de lutte contre les violences conjugales. Ce sont des victimes qui aident d’autres victimes. Et ça ne sert pas à rien. Elles m’ont appelée pendant le premier confinement pour me dire qu’une famille avait pu s’enfuir et être logée à l’hôtel pendant une semaine grâce à ça.
Je suis aussi une militante des réseaux sociaux, où je poste beaucoup d’infos sur la solidarité. Alors, je ne suis pas encore allée dans le dur du dur : les maraudes. Mais en 2021, j’aimerais le faire. Et j’ai un projet. Créer un lieu pour les mamans et enfants à la rue de mon quartier, le XIXe arrondissement de Paris. Un espace pour qu’elles puissent se doucher, avoir des vêtements propres… Je sais que j’ai une vie de privilégiée. Je vois mon frigo rempli. Mes deux filles ont chacune leur chambre. Mais mon bonheur, c’est que ça. » A.V.
Reda Kateb
Acteur
« Je ne veux surtout pas devenir une tête de gondole de l’engagement. Même si la situation actuelle est très difficile, je me vois plutôt dans la gondole, aux côtés des autres, qu’à sa tête. Mon but n’est pas de multiplier les actions caritatives, ni de me faire une image d’artiste engagé pour occuper l’espace médiatique. Mais j’essaie de faire ce que je peux, à mon échelle.
Depuis quelques mois, je suis le parrain de l’association Le Rire médecin, qui forme et accompagne des clowns qui rendent visite aux enfants hospitalisés. Tout est parti de la lecture du livre de Caroline Simonds*, la fondatrice de l’association, qui m’a donné envie de réaliser un film sur ce sujet. On m’a accueilli à bras ouverts. J’ai eu envie de passer du temps à leurs côtés et de les suivre lors de leurs visites à l’hôpital. J’espère pouvoir y retourner bientôt, malgré les conditions sanitaires, car ce qui se passe dans une chambre entre un enfant malade et deux clowns est indicible. Avoir la chance de pénétrer cette intimité, de vivre ces moments indescriptibles m’apporte énormément. C’est un enrichissement humain, qui va au-delà du côté gratifiant d’un geste solidaire.
Ce n’est pas la première fois que je m’engage aux côtés d’une association. J’accompagne de longue date le Festival Cinébanlieue, en Seine-Saint-Denis, qui tente de repérer de nouveaux talents du cinéma. Je suis aussi le parrain de la Fondation Assistance aux animaux et du Relais Île-de-France, qui s’occupe de personnes autistes. On me sollicite régulièrement et, si c’est en accord avec ce que je pense, je dis oui. Je crois que si on m’appelle, c’est parce que ma voix porte un peu. Mais de mon côté, rien n’est réfléchi ou pensé en amont. Je fonctionne à l’échange. Toutes ces rencontres me nourrissent énormément. Et tordent le cou à plein de clichés. On dit souvent que la nouvelle génération est cupide et obsédée par la réussite matérielle, les marques, mais je peux vous dire que les jeunes que je croise dans ces associations sont à l’opposé de ça. » T.T.
* Le Rire médecin. Journal du docteur Girafe, de Caroline Simonds et Bernie Warren. Éd. Pocket, 2004.