Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes : qui a peur du clitoris ?

Julia Pietri, artiste fémi­niste et créa­trice du Gang du Clito, dévoile ce lun­di 8 mars un cli­to­ris géant de 5 m éri­gé place du Trocadéro à Paris. Une action co-​organisée par Simone Média et réa­li­sée pour dénon­cer l’inégalité de trai­te­ment ins­ti­tu­tion­nel et médi­cal de l’organe du cli­to­ris. Elles publient dans Causette, ci-​dessous, une tri­bune accom­pa­gnant leur geste.

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Lundi 8 mars 2021, place du Trocadéro à Paris. © Simone Média

Tribune

Savez-​vous que la pre­mière écho­gra­phie du cli­to­ris date seule­ment de 2008 ? Le constat est inquié­tant, mal­gré que le cli­to­ris soit un organe à part entière, comme l'est la langue, l’estomac, ou encore le pénis, ce der­nier n’a pas le droit au même trai­te­ment médical. 

Le Docteur Pierre Foldès, à l’origine des pre­mières recherches sur le Clitoris qui lui ont per­mis de mettre au point sa pre­mière chi­rur­gie répa­ra­trice sur une femme vic­time d'excision en 1984 ; a déjà, à l’époque, dénon­cé l'absence totale de réfé­rence ana­to­mique et phy­sio­lo­gique moderne sur le Clitoris. Pourtant, aujourd’hui, le réfé­ren­tiel du cli­to­ris n’a pas beau­coup avan­cé. Odile Buisson, la gyné­co­logue à qui nous devons la pre­mière écho­gra­phie du cli­to­ris en 2008, parle d ' "héré­sie" du retard de la recherche de méde­cine sexuelle en France. “La méde­cine sexuelle n’est pas étu­diée. Souvent, quand on est jeune méde­cin, on a des ques­tions de nos patientes, mais on ne sait pas quoi répondre”, nous explique Odile Buisson. 

Est-​il nor­mal que ma gyné­co­logue n'ait pas étu­dié le cli­to­ris ? En effet, le cli­to­ris n’a pas de liste offi­cielle de patho­lo­gies médi­cales comme son homo­logue le pénis. La feuille est qua­si blanche. L’organe du cli­to­ris, serait-​il alors le seul organe de notre corps dépour­vu de patho­lo­gies ? En 2021, nous n’avons pas de réponse scien­ti­fique. Quelles sont ses mal­for­ma­tions ? Ou encore ses dys­fonc­tion­ne­ments ? Bien enten­du, comme tous organes, il pos­sède sûre­ment ses patho­lo­gies, mais, consé­quence du manque de recherches publiques, elles res­tent incon­nues des praticien.ne.s ; ce qui engendre des retards consi­dé­rables de diag­nos­tics médi­caux. Les recherches concer­nant les pro­blèmes érec­tiles du pénis existent ; la com­mer­cia­li­sa­tion du via­gra en 1998 pour ne citer qu’un exemple, mais les recherches concer­nant les pro­blèmes d’érection du cli­to­ris n'existent pas. À quand des hôpi­taux aus­si bien équi­pés pour soi­gner le cli­to­ris que les pénis ? Rappelons qu’en moyenne, 52% de la popu­la­tion fran­çaise pos­sède un cli­to­ris. Il est temps que les patho­lo­gies du cli­to­ris soient ensei­gnées digne­ment en école de médecine. 

Transformer les imaginaires

L’inégalité de trai­te­ment du cli­to­ris n’a pas que des réper­cus­sions sym­bo­liques. Les retards de la recherche en méde­cine sexuelle impliquent une rup­ture de consi­dé­ra­tion du cli­to­ris dans la socié­té. Une sorte d’excision men­tale, qu'elle soit cultu­relle, infor­ma­tive ou édu­ca­tive : à l’école par exemple. Ce qui explique peut-​être pour­quoi l’éducation natio­nale n’a pas ren­du obli­ga­toire l’anatomie exacte du cli­to­ris dans les manuels sco­laires au col­lège. Ce qui serait pour­tant d’utilité publique, lorsque l’on sait que la majo­ri­té sexuelle est à 15 ans. En 2017, seul un manuel de sciences de la vie et de la Terre (SVT) – celui des édi­tions Magnard – sur huit repré­sente cor­rec­te­ment le cli­to­ris au pro­gramme de qua­trième. Les sept autres édi­teurs ont conser­vé leurs des­sins erro­nés. Sur ces planches, on remarque que la vulve et la par­tie interne du cli­to­ris ne sont jamais des­si­nées entiè­re­ment, alors que le cli­to­ris mesure dix cen­ti­mètres ! Seule la par­tie externe est repré­sen­tée. En 2019, 5 nou­veaux manuels men­tionnent le cli­to­ris, mais il faut attendre la classe de seconde pour le découvrir. 

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© Simone Média /​Gang du clito

Nous devons lut­ter contre l’analphabétisme sexuel, c’est un enjeu d’égalité ! Le sché­ma patriar­cal, qui consiste à oppo­ser un sexe fort et un sexe faible doit dis­pa­raître de notre sys­tème édu­ca­tif. Nous devons pou­voir édu­quer les jeunes à la conscience de leur sexe de manière éga­li­taire. Sinon, com­ment peut-​on leur ensei­gner la conscience du consen­te­ment ? S'il n’y a rien entre les jambes, il n’y a rien à pro­té­ger. Parler du cli­to­ris s’inscrit aus­si dans une lutte contre la culture du viol. Rappelons que selon un rap­port sur l’éducation sexuelle ren­du public en juin 2016 par le Haut Conseil à l’égalité, un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles pos­sèdent un cli­to­ris, et 83 % d’entre elles ignorent sa fonc­tion éro­gène. Pourtant, elles sont 53 % à savoir repré­sen­ter le sexe masculin.

Ce désert clitéro-​médical a des réper­cus­sions socié­tales sur la san­té sexuelle de la popu­la­tion. Sans par­ler de “sexua­li­té”, ni de “plai­sir”, mais bien de san­té sexuelle et d’égalité de trai­te­ment ; c’est-à-dire d’accès aux soins et à l'information pour toutes et tous : un droit fon­da­men­tal de notre consti­tu­tion. Reconnaître le cli­to­ris comme un organe à part entière, c’est aus­si mesu­rer la por­tée des muti­la­tions sexuelles dans la volon­té de détruire les femmes. L’excision est encore très lar­ge­ment pra­ti­quée dans le monde : l’OMS estime à 180 000 le nombre de per­sonnes ris­quant l’excision chaque année au sein de l’Union euro­péenne ; l’INED décomp­tait 53 000 per­sonnes exci­sées rési­dant en France en 2004.

C’est pour­quoi je pose cette ques­tion : qui a peur du cli­to­ris1 ?

Tribune à l’initiative de Julia Pietri, co-​signée par Simone Média
Rédaction : Julia Pietri 
Premier·ères signa­taires : Frédérique Martz, cofon­da­trice et direc­trice de l’institut Woman Safe & Children ; Pierre Foldès, chi­rur­gien uro­logue, cofon­da­teur de l’institut Woman Safe & Children ; Odile Buisson, gyné­co­logue et obs­té­tri­cienne fran­çaise ; Bouchera Azzouz, réa­li­sa­trice et pré­si­dente du Féminisme Populaire ; la rédac­tion du maga­zine Causette.

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  1. Pour reprendre la for­mule de l'ouvrage d'Odile Buisson publié en 2011, Qui a peur du point G ? Le plai­sir fémi­nin, une angoisse mas­cu­line[]
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