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Inceste : l’association Les Papillons essaime des boîtes aux lettres pour col­lec­ter la parole des victimes

girl covering her face with both hands
© Caleb Woods

Laurent Boyet, vic­time d’inceste dans son enfance, a lan­cé il y a deux ans l’association Les Papillons. L’objectif : déployer des boîtes aux lettres dans un maxi­mum d’établissements sco­laires et spor­tifs pour que les plus jeunes puissent témoi­gner des vio­lences qu’ils subissent.

Selon un récent son­dage Ipsos, un Français sur dix affirme avoir été vic­time d’inceste. Le chiffre est énorme. Le week-​end du 16 jan­vier, après la révé­la­tion de l’affaire Olivier Duhamel, des mil­liers de témoi­gnages affluent sur Twitter avec le mot-​clé #MeTooInceste. Une par­tie des mil­lions de vic­times racontent quand c’est arri­vé, par qui ils et elles ont été violé·es : la parole se libère. 

Pour Laurent Boyet, il aura fal­lu trente ans. Trente ans pour que ce capi­taine de police du sud de la France arrive à racon­ter les vio­lences sexuelles com­mises sur lui par son frère entre ses 6 ans et ses 9 ans. « Ce qui m’a vrai­ment détruit, ce sont les années de silence », confie l’énergique père de famille. C’est grâce à sa femme qu’il arrive d’abord à lâcher le secret puis dans un livre publié en 2017, Tous les frères font comme ça. Une façon d’exorciser son his­toire et de « la jeter au visage de mon frère en lui disant "à toi main­te­nant, à toi de por­ter ce far­deau, à toi d'avoir honte" ».

Pour que la honte change de camp, Laurent Boyet créée en 2019 l’association Les Papillons. Le prin­cipe est simple : ins­tal­ler des boites aux lettres dans les éta­blis­se­ments sco­laires et spor­tifs afin de recueillir la parole des vic­times de mal­trai­tances. Inceste, mais aus­si vio­lences inter­fa­mi­liales, har­cè­le­ment sco­laire… tous les témoi­gnages sont accep­tés, sous forme écrites ou via des des­sins, et doivent être signés. Ils sont ensuite col­lec­tés deux fois par semaine par des béné­voles et envoyés à Laurent Boyet et son équipe com­po­sée notam­ment de psy­cho­logues. La cel­lule les traite, apporte une réponse, géné­ra­le­ment par le biais de l'établissement, et fait, quand c’est néces­saire, un signa­le­ment à la CRIP (cel­lule de recueil des infor­ma­tions pré­oc­cu­pantes) du dépar­te­ment concerné.

« Ecrire c’est un vrai geste, c’est enle­ver quelque chose de soi » 

Laurent B,oyer

En moins de deux ans – et mal­gré la crise sani­taire – l’association a réus­si à fédé­rer 500 adhérent·es, réparti·es sur 85 dépar­te­ments, et à déployer 40 boîtes aux lettres qui ont déjà reçu une cin­quan­taine de mots. Ecoles, col­lèges, lycées, mais aus­si halles des sports, les Papillons sèment leurs boites aux lettres par­tout et viennent de signer une conven­tion avec les fédé­ra­tions fran­çaises de judo et de natation. 

Dans le Finistère, où Maud Soulat est réfé­rente de l’association, une quin­zaine de mots ont été recueillis depuis début octobre. « Avec la fer­me­ture des éta­blis­se­ment spor­tifs, c’est déjà beau­coup », observe-​t-​elle. Maud Soulat est béné­vole et a pro­ba­ble­ment choi­si de s’engager dans l’association car elle aus­si a été vic­time d’inceste. Cadre et maman d’un petit gar­çon, elle l’assure : si un tel outil avait exis­té à son époque, elle s’en serait sai­sit. « Ecrire ou des­si­ner, c’est plus facile parce que c’est dif­fi­cile d’affronter le regard de quelqu’un, d’avoir peur qu’il ne nous croit pas et de le voir dans les yeux. Là, c’est un prin­cipe de la bou­teille à la mer. Sauf que l’enfant sait qu’il aura for­cé­ment une réponse. » Dans les petits mots recueillis, on trouve des dis­putes de cours de récré mais aus­si des pro­blèmes graves, comme ce des­sin, on ne peut plus expli­cite d’un tout jeune enfant. Dessus, on voyait un per­son­nage plus grand tou­cher les par­ties intimes d'un petit. Certains sont signés des vic­times, d’autres de leurs ami·es.

Pour Anne Réveillère-​Maury, direc­trice de la pro­tec­tion de l’enfance en Charente, dépar­te­ment où deux boîtes aux lettres ont été ins­tal­lés, il faut encou­ra­ger ce genre d’initiative : « Plus on aura de dis­po­si­tifs pour libé­rer la parole et de façons dif­fé­rentes, mieux ce sera ! Car fina­le­ment il y a des familles très sui­vies par nos ser­vices, mais les vio­lences peuvent avoir lieu dans toutes. Si par ce biais là ils peuvent racon­ter, je pense que ça va tou­cher des familles qui ne sont pas du tout connues et dont on n’aurait pro­ba­ble­ment jamais eu connais­sance autre­ment, j’en suis per­sua­dée. » Anne Réveillère-​Maury s’inquiète d’avoir vu les « infor­ma­tions pré­oc­cu­pantes » divi­sée par deux l’an der­nier. « Ce n’est pas un bon signal, au contraire, avec la fer­me­ture des écoles et des clubs de sports, on a per­du des lieux pro­pices aux signa­le­ments. » A Quimper, Maud Soulat raconte que ces der­niers jours, avec la vague #metooin­ceste, elle reçoit de nom­breux mes­sages de per­sonnes volon­taires pour se mobi­li­ser auprès de l’association. Ça tombe bien, les Papillons ont des besoins par­tout. Elle conclut : « J’espère que cette vague là, elle, ne va pas retomber. »

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