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© Nicholas Lachance @lachancephoto via unsplash graphiste visuel @cess.cess.16 (Cécile Gascuel)

Lettre d'une ado autoch­tone cana­dienne : « On nous a mis à genoux, encore une fois »

Causette est par­te­naire de Lettres d’une géné­ra­tion, un site sur lequel les adolescent·es et jeunes adultes fran­co­phones sont invité·es à écrire une lettre à un des­ti­na­taire qui ne peut pas répondre. Toutes les deux semaines, Causette publie l’une de ces mis­sives.
Dans ce cin­quième épi­sode, Mathilda, 17 ans, de Maliotenam au Québec, s'adresse aux alloch­tones1.

Vous avez entre 15 et 25 ans et sou­hai­tez par­ti­ci­per au pro­jet Lettres d’une géné­ra­tion ? Écrivez-​leur par là !

Lettre aux allochtones

CONTEXTE : Cette lettre a été écrite suite au décès, le 28 sep­tembre 2020, d’une jeune femme autoch­tone qué­bé­coise, Joyce Echaquan, décé­dée à l’hôpital sous les insultes racistes de ses infir­mières, d’une sur­dose de mor­phine, alors qu’elle leur disait y être aller­gique. Cet évé­ne­ment a sou­le­vé une grande remise en ques­tion au Canada et un débat sur le racisme sys­té­mique envers les autochtones.

"Vous n’aimez peut-​être pas qu’on vous appelle comme ça. Vous avez trop l’habitude d’être la norme et nous, nous sommes les autoch­tones, c’est à dire les autres, les dif­fé­rents de vous.

Je la connais l’image que vous avez de nous. Vous croyez nous connaître. Vous vous dites que nous ne payons pas les taxes, que nous sommes tous sur la consom­ma­tion d’alcool et de drogues, qu’on est tous des voleurs et quê­teux. Dans les centres com­mer­ciaux, cer­tains nous dévi­sagent par peur de se faire voler dans les bou­tiques. Lorsqu’on veut louer un appar­te­ment, cer­tains pro­prié­taires refusent, en disant qu’ils ont eu de mau­vaises expé­riences avec “vous autres”. Pourtant, si vous en appre­niez davan­tage sur notre culture, vous vous aper­ce­vriez que nous avons un grand res­pect pour tout ce qui nous entoure. Je vais vous dire ce que c’est être un autochtone.

Nous sommes 11 nations, aus­si dif­fé­rentes que vos nations. Pour vous, on est tous pareils, mais les dif­fé­rences entre nos peuples sont comme celles que vous avez entre vos pays. Nous les Innus, sommes un peuple qui adore rire et par­ler ! J’ai côtoyé les Atikamekw ; ils sont plus réser­vés mais accueillants et extra­or­di­naires. Moi, ils m’ont accueillie comme si j’étais une des leurs. Ce que je trouve le plus beau chez les Atikamekw, c’est qu’ils ont conser­vé leur langue mater­nelle, tan­dis que chez moi, les plus jeunes ne la parlent presque plus.

Nous sommes aujourd’hui séden­taires, vivant dans des mai­sons chauf­fées et éclai­rées comme les vôtres. Vous croyez qu’on est en dehors de votre monde ? Ben non, on a aus­si des télé­phones, Internet et les réseaux sociaux. Ils nous aident aus­si à tis­ser des liens avec d’autres com­mu­nau­tés. Et pour­tant on sait aus­si vivre en forêt.

Être autoch­tone, c’est avoir vu les terres sur les­quelles on vivait déboi­sées, , c’est être recon­nais­sant envers l’animal qu’on tue pour se nour­rir, c’est écou­ter les his­toires des aînés car nous vivons encore avec nos grands-​parents et même nos arrière-​grands-​parents. C’est res­pec­ter la terre Mère, Tshekauinu Assi en innu, ma langue. Kikawino aski en atikamekw. 

Être autoch­tone, c’est avoir les plus hauts taux de sui­cide de dépen­dance aux drogues et de mala­dies car­dio­vas­cu­laires du pays. Mais c’est savoir uti­li­ser la spi­ri­tua­li­té et le retour à la culture dans le pro­ces­sus de guérison.

Être autoch­tone, c’est être les enfants et petits-​enfants de gens qui ont été ame­nés de force dans les pen­sion­nats où ils n’avaient plus le droit de par­ler leurs langues, de pra­ti­quer leurs reli­gions, sous peine de rece­voir des coups. 

Mes arrière-​grands-​parents et ma grand-​mère ont été aux pen­sion­nats. Ils ont été agres­sés phy­si­que­ment mais aus­si sexuel­le­ment. Ma grand-​mère a noyé tout son mal de vivre dans l’alcool et la drogue. Elle a été prise en main, mais les séquelles sont res­tées. Chaque année, on monte en forêt avec elle et mon grand-​père pen­dant deux ou trois semaines. On chasse, on trappe pen­dant plu­sieurs jours. Ils nous racontent des his­toires, notre histoire. 

Dans les réserves, les enfants peuvent jouer dehors car nous sommes tous atten­tifs les uns aux autres. On par­tage aus­si beau­coup, on s’échange de la nour­ri­ture, des élec­tro­mé­na­gers ou bien des vêtements. 

Les gens haut pla­cés ne veulent pas recon­naître que le racisme sys­té­mique existe au Québec. On dit “racisme sys­té­mique” car il est propre aux ins­ti­tu­tions et c’est ça le débat. La tra­gé­die de Joyce Echaquan en est la preuve. Cette femme Atikamekw de Manawan, mère de sept enfants, a été admise à l’hôpital pour des maux de ventre. Elle est décé­dée d’une sur­dose de mor­phine alors qu’elle ne ces­sait de dire aux infir­mières de ne pas lui en don­ner car elle était car­diaque. Elle a fait un direct sur Facebook où on l’a enten­du crier et les deux infir­mières lui lan­cer des pro­pos racistes.

C’était le soir de la fête de mon frère. Après sou­per on était à la cui­sine. Puis il m’a dit en regar­dant son téléphone : 

“Mathil, tu parles l’atikamekw, non ? Tu peux tra­duire ce que la dame dit ?” 

J’étais à peine capable de regar­der la vidéo. Quand j’ai vu ça, j’ai res­sen­ti beau­coup de colère. C’est comme si on nous met­tait à genoux, encore une fois. 

Le len­de­main soir, on a mar­ché pour se rendre aux par­kings d’un centre d’achat. On a allu­mé des lan­ternes. Il y a eu des chants, des danses de gué­ri­son et des prières. On était près de mille per­sonnes, alloch­tones et autochtones. 

Cela fait depuis les années 90 qu’on parle de la récon­ci­lia­tion avec les autoch­tones. Et ben, nous atten­dons encore. Il y aurait tant de choses à faire. Nous pour­rions faire des échanges cultu­rels, se com­prendre et col­la­bo­rer. Moi j’essaie de faire mon bout de che­min. Cet hiver, je suis allée dans une école secon­daire à Trois-​Rivières pour faire une pré­sen­ta­tion auprès de gens qui ont entre 14 et 17 ans, afin de décons­truire les pré­ju­gés sur les Amérindiens. 

J’ai d’ailleurs deman­dé à ren­con­trer le maire de Sept-​Îles pour réa­li­ser des acti­vi­tés pour les alloch­tones et autoch­tones : orga­ni­ser des jeux spor­tifs par exemple et com­men­cer une par­tie de volley-​ball, juste pour le plai­sir. Pour moi, se récon­ci­lier c’est un grand mot qu’on peut accom­plir par des petits gestes. 

Nous devons tra­vailler à bâtir une nou­velle rela­tion pour créer un ave­nir meilleur. Voilà ce que je sou­haite pour le Québec et pour nous autres. Car nous aime­rions nous aus­si nous pro­me­ner en ville sans avoir peur. Parce qu’au fond, on est tous humains. Enfin, lorsque nous par­vien­drons à la récon­ci­lia­tion, le Québec sera plus juste et plus fort. 

Nous autres à l’école, on apprend votre his­toire. Ce serait bien que vous com­men­ciez à connaître notre vraie his­toire, non ?"

Mathilda, 17 ans, Maliotenam (Québec, Canada)

Lettre d’une géné­ra­tion, épi­sode 4 : « Les seuls à t’avoir jamais com­pris sont tes copains du foyer, enfin, ceux avec qui tu ne te bats pas »

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  1. Littéralement « terre d'ailleurs », alloch­tones désigne les per­sonnes d'origine étran­gère en oppo­si­tion aux autoch­tones, lit­té­ra­le­ment « terre d'ici »[]
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