Hermes Ostrich Birkin Bag
Sac Birkin d'Hermès © Wen-Cheng Liu

Bon plan inves­tis­se­ment : on a essayé d’acheter un sac Hermès (spoi­ler : on n’a pas réussi)

Vendus à des dizaines de mil­liers d’euros, les sacs à main Hermès de seconde main semblent être une valeur sûre pour qui veut inves­tir son argent. Pas plus idiotes que les autres, nous avons ten­té de mettre nos (fausses) éco­no­mies dans ces nou­veaux bijoux de famille. Mais l’affaire n’est pas si simple… Plongée dans les arcanes de l’ultra-luxe. 

Que feriez-​vous avec 318.000 euros ? Acheter la petite mai­son au bord de mer qui vous fait rêver depuis dix piges ? Investir dans des actions à la bourse ? Ou gar­der vos lin­gots d’or sous votre oreiller car « sait-​on jamais » ? Oubliez tout ça, on a mieux pour vous : inves­tir dans… un sac à main. 318.000 euros, c’est en effet la somme qu’a dépen­sé un ache­teur ano­nyme pour acqué­rir un sac Hermès en seconde main, lors d'enchères orga­ni­sées par la mai­son Christie’s de Hong Kong en 2017 – le record à ce jour pour un sac de la marque fran­çaise. Il s’agissait plus pré­ci­sé­ment d’un sac Birkin – petit nom du « joyau » – modèle « Himalaya Niloticus Crocodile Diamond Birkin 30 ». C’est-à-dire un sac en peau de cro­co­dile avec des fini­tions en or blanc 18 carat et ser­ti de 205 dia­mants. Rien que ça. 

Si la vente à six chiffres du Birkin en cro­co reste excep­tion­nelle, les prix des sacs Hermès – modèles Birkin et Kelly en tête – donnent quasi-​toujours le tour­nis. Dernier exemple en date, la vente aux enchères de la mai­son Artcurial en avril der­nier. Si par­mi les lots il y en avait pour tous les goûts, il n’y en avait pas pour toutes les bourses. Le lot 29 – un Kelly en cro­co noir de 1972 – a été ven­du 19.680 euros ; le lot 58 – un Kelly de 1995 – est, lui, par­ti à 15.744 euros. Quant au lot 68, un Birkin bleu nuit de 2014, il a été adju­gé pour 12.644 euros. Les trois étaient esti­més entre 7.000 et 9.000 euros, ce qui cor­res­pond au prix bou­tique, qui com­mence à 7.000 euros. 

Acheter une part de rêve

Comment jus­ti­fier l’envolée de ces prix en seconde main ? Tout tient dans le nom et les valeurs de la marque (ou plu­tôt de la mai­son, moins vul­gaire) créée en 1837 et pro­dui­sant, à l'origine, des articles de cava­le­rie. Cent ans après le pre­mier sac en cuir Hermès conçu en 1922 par le petit-​fils du fon­da­teur de cette entre­prise fami­liale, Émile Hermès, deux modèles sont par­ti­cu­liè­re­ment deve­nus des légendes : le Birkin et le Kelly. L’histoire de leur créa­tion est-​elle aus­si entrée dans la légende. Le Birkin aurait été ima­gi­né en 1981 après une ren­contre inopi­née entre l’ancien diri­geant Jean-​Louis Dumas et la chan­teuse et actrice Jane Birkin, qui cher­chait un grand sac adap­té à son quo­ti­dien de mère. Quant au Kelly, lui aurait été bap­ti­sé ain­si dans les années 50 car la prin­cesse Grace Kelly de Monaco l’aurait uti­li­sé pour dis­si­mu­ler sa gros­sesse aux papa­raz­zis. Véritables ou inven­tées, qu’importe, ces anec­dotes ajoutent du luxe au luxe. « Les ache­teurs ont l’impression de se pro­cu­rer une part de l’histoire de la marque, une part de rêve fina­le­ment », estime ain­si Aline Pozzo di Borgo, pro­fes­seure experte en mar­ke­ting de luxe, auprès de Causette

« Plus les acces­soires de luxe sont chers, plus ils sont inac­ces­sibles et donc rares, ce qui accroît de fait leur désirabilité. »

Aline Pozzo di Borgo, pro­fes­seure experte en mar­ke­ting de luxe

Surtout que depuis leur créa­tion, leur valeur n’a jamais bais­sé. Une rai­son à cela : peu d'offres sur le mar­ché et une demande stra­to­sphé­rique. « Hermès a tou­jours su se rendre tota­le­ment dési­rable en pra­ti­quant ce qu’on appelle la stra­té­gie de la rare­té, explique Aline Pozzo di Borgo. Plus les acces­soires de luxe sont chers, plus ils sont inac­ces­sibles et donc rares, ce qui accroît de fait leur dési­ra­bi­li­té. » La recette du suc­cès s’explique par une matière pre­mière rare, peu d’ateliers et quinze à vingt-​cinq heures de tra­vail pour un seul sac, réa­li­sé à la main par le·la même arti­san de bout en bout. Ajoutez à cela un sys­tème de vente opaque et, disons-​le, un peu absurde. 

La quête du Graal 

Car si vous pen­siez acqué­rir un sac en pre­mière main, pas­sez votre che­min ou du moins pre­nez votre mal en patience : l’acquisition d’un sac Hermès semble s’apparenter à la quête du Graal. Beaucoup de choses se mur­murent d'ailleurs à ce sujet dans le milieu des fashio­nis­tas… paraît-​il qu’il fau­drait avoir déjà ache­té chez Hermès pour espé­rer obte­nir un sac ou encore que, sans conseillère atti­trée, il ne serait même pas la peine d’y pen­ser. Sur un forum consa­cré à Hermès sur le site Tripadvisor, une inter­naute affirme avoir subi un véri­table inter­ro­ga­toire sur ses moti­va­tions, façon DGSI. Seule cer­ti­tude dans ce flot d'anecdotes : la liste d’attente est longue, encore plus lorsqu’on est un·e out­si­der. Pour en avoir le cœur net, Causette a mouillé la che­mise (H&M). 

Notre petite enquête com­mence sur le site d’Hermès où, hélas, les Birkin et Kelly ne sont même pas pro­po­sés à la vente. Difficile éga­le­ment de connaître leur prix, seule­ment sait-​on qu’ils com­mencent à 7.000 euros – car on peut ajou­ter plu­sieurs options (cuir exo­tique, fini­tion en dia­mant…) qui font gon­fler l’addition. Autre point à savoir : à la dif­fé­rence d’autres marques de luxe, ren­seigne Aline Pozzo di Borgo, les pro­duits Hermès ne sont pas ven­dus dans les cor­ners des grands maga­sins. Il faut donc pas­ser les portes d'une bou­tique – il en existe 31 en France, dont trois à Paris – ou s'adresser à un reven­deur où, là, les prix explosent bien souvent.

L'étape de la prise de rendez-vous

La mai­son Hermès n’ayant pas don­né suite à notre demande d’interview, il nous reste plus qu’une seule chose à faire pour avoir le mot de la fin : se rendre sur le ter­rain. Nous choi­sis­sons la bou­tique nichée ave­nue George V dans le très chic 8e arron­dis­se­ment de Paris. Consciente de faire un peu tâche dans le décor, nous écha­fau­dons un plan bien fice­lé : nous venons de rece­voir un gros héri­tage et l’on aime­rait obte­nir des infor­ma­tions sur l’acquisition d’un sac Birkin. Devant la bou­tique ce same­di d’avril, il y a foule. Alors que nous fai­sons la queue et répé­tons notre com­bine dans notre tête, nous enta­mons la dis­cus­sion avec le jeune homme devant nous. Le cha­land, qui porte un fou­lard autour du cou et des mocas­sins à gland, nous explique qu’il vient ache­ter un bra­ce­let pour l’anniversaire de sa petite amie. Nous lui expli­quons en retour que nous cher­chons à inves­tir. « Bon cou­rage, ça a pris des mois pour ma mère », nous dit-​il en riant. 

« On reçoit plus de 30.000 demandes en France par jour et seule­ment 100 sont tirées au sort chaque soir »

Une ven­deuse Hermès

Pas décou­ra­gées pour autant, nous entrons dans la bou­tique. Devant les ran­gées de car­rés en soie, les yeux des visiteur·teuses brillent comme ceux d'enfants au pied du sapin. Mais pas le temps de flâ­ner qu’une dame nous cueille en nous deman­dant le pour­quoi de notre venue. Après avoir ava­lé notre his­toire d'héritage, elle nous dirige vers une autre ven­deuse. Cette der­nière nous explique d’emblée qu’il ne sera pas pos­sible d’obtenir un rendez-​vous avec un·e conseiller·ère aujourd'hui. Pour cause : « Tout se passe sur rendez-​vous et pour prendre rendez-​vous, il faut scan­ner ce QR code », dit-​elle en nous ten­dant une carte. Après une rapide mise en confiance, elle nous explique que le sys­tème est « une lote­rie », chiffres ver­ti­gi­neux à l'appui. « On reçoit plus de 30.000 demandes en France par jour et seule­ment 100 sont tirées au sort chaque soir », explique-​t-​elle. Il faut donc scan­ner le QR code, rem­plir une fiche en men­tion­nant le numé­ro de sa carte d’identité (???!) et prier pour être sélectionné·e le len­de­main. « Vous rece­vrez un mail entre 20h et 20h30 », affirme la conseillère. Et si nous ne sommes pas tirées au sort ? « Il fau­dra recom­men­cer l’opération tous les jours », répond-​elle avec un large sou­rire en nous conseillant de faire par­ti­ci­per tous·tes nos ami·es « pour aug­men­ter nos chances »

« J’ai enfin réus­si à avoir un rendez-​vous pour ache­ter le sac de mes rêves ! […] J’ai expri­mé mon sou­hait à la ven­deuse, elle revient au bout d’un cer­tain temps avec une boîte… Et ma joie est retom­bée très vite comme un souf­flé. La ven­deuse me montre un sac qui n’avait rien avoir avec ce que je voulais. » 

Une cliente

Trois jours plus tard, le cou­pe­ret tombe : « Face au nombre éle­vé de demandes de rendez-​vous, nous sommes sin­cè­re­ment déso­lés de n’avoir pu vous satis­faire cette fois-​ci », indique le mail signé Hermès. Pour nous, une fois nous aura suf­fi mais sur le forum du site Tripadvisor, une per­sonne indique avoir essuyé une ving­taine d'échecs sans pou­voir accé­der au dit rendez-​vous. Et rendez-​vous ne signi­fie pas pour autant achat. Certes, vous aurez fran­chi la pre­mière étape mais il fau­dra encore mon­trer patte blanche et exi­ger un sac pas trop deman­dé. « J’ai enfin réus­si à avoir un rendez-​vous pour ache­ter le sac de mes rêves, j’étais tel­le­ment heu­reuse ! […] J’ai expri­mé mon sou­hait à la ven­deuse, elle revient au bout d’un cer­tain temps avec une boîte… Et ma joie est retom­bée très vite comme un souf­flé. La ven­deuse me montre un sac qui n’avait rien avoir avec ce que je vou­lais et en plus j’aurais pu l’acheter sur inter­net… Quand je veux un modèle pré­cis, je n’ai pas envie d’acheter autre chose, j’aurais aimé que la ven­deuse me dise direc­te­ment qu’elle n’a pas ce que je recherche », déplore ain­si une autre inter­naute sur le forum de Tripadvisor. 

Le bon plan des influenceuses

On est quand même un poil déçu : ache­ter un sac Hermès vaut paraît-​il mieux qu’investir dans l’immobilier. « Ah ça c’est sûr, ça ne per­dra jamais de valeur bien au contraire ! », nous souf­flait d’ailleurs la ven­deuse de la bou­tique George V devant notre hési­ta­tion de dila­pi­der dans un cabas de luxe notre – faux – héri­tage. Il suf­fit pour s’en rendre compte de faire un tour sur les sites de seconde main spé­cia­li­sés dans le luxe comme Vestiaire Collective ou Collector Square. On peut y ache­ter des Birkin ou Kelly en un clic, mais encore faut-​il pou­voir dépen­ser au mini­mum 10.000 euros pour un sac en bon état. 

« Ache­ter un sac Hermès, c’est aus­si ache­ter un sta­tut social. »

Aline Pozzo di Borgo, pro­fes­seure experte en mar­ke­ting de luxe

« L’explosion des sacs Hermès en seconde main s’explique par la dif­fi­cul­té d’en acqué­rir neuf, nous explique Delphine Dion, pro­fes­seure en mar­ke­ting à l’ESSEC Business School. Les gens sont prêts à dépen­ser encore plus cher pour en acqué­rir rapi­de­ment. » Ce qui explique com­ment les influen­ceuses – notam­ment issues du monde de la télé­réa­li­té – par­viennent à se pro­cu­rer des modèles dans tous les colo­ris. Car il ne faut pas oublier, pré­cise Aline Di Pozzo, « qu’acheter un sac Hermès, c’est aus­si ache­ter un sta­tut social ». Pourtant à ce jeu-​là, hélas, la lote­rie n’existe pas. 

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