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Douce France…

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© M. Chaumeil/Divergence

Cette année pour les vacances, j’ai déci­dé de pri­vi­lé­gier l’écologie et donc, les trans­ports en com­mun. Je me suis ima­gi­née à bord de wagons convi­viaux, regar­dant défi­ler la France buco­lique, mon livre à por­tée de main, entou­rée de ma petite famille enthousiaste.

Bien sûr, l’écologie a un coût, sur­tout en période esti­vale, et c’est pour ça que nous sommes assis dans un « car­ré famille » dont le tarif inouï a explo­sé notre bud­get. En face de moi, ma jeune ado rebelle dans son tee-​shirt Riot Grrrl, à son côté, fis­ton plon­gé dans sa console de jeux. Chéri-​le-​bienheureux dort déjà sur mon épaule. Quand le train s’éloigne de la gare et de nos vies quo­ti­diennes, j’ai ter­ri­ble­ment envie de par­ta­ger mes réflexions lyriques, d’expliquer à la seule paire d’oreilles dis­po­nible que ce n’est pas la peine de par­tir à l’étranger pour s’évader et que « tu vas voir, ma fille, la France nous réserve des pay­sages et des ren­contres magni­fiques » ! Elle, ­nar­quoise, me demande si je vais bien­tôt chan­ter La Marseillaise. Puis met ses écouteurs.

Je décide alors de plon­ger dans mon livre. Qui est res­té dans la valise. Sous une mon­tagne d’autres valises. Je renonce à la lec­ture et me lance en soli­taire jusqu’au bar à la recherche d’un café et de convivialité. 

Je titube à tra­vers des wagons qui sentent l’œuf dur, le fro­mage, le pâté, les chaus­settes. Quand j’arrive, les gens patientent en devi­sant le long d’un comp­toir où un mon­sieur débor­dé vend des sand­wichs et des menus concoc­tés par un « chef », qui pra­tique lui aus­si des tarifs inouïs. Je devise avec ma voi­sine à pro­pos des prix exor­bi­tants. Devant nous, deux jeunes hommes hésitent lon­gue­ment entre la made­leine et le cake, décident de prendre les deux. Puis s’embrassent. Tendrement. Et repartent main dans la main. 

Un drôle de silence s’installe dans la file. Et la parole reprend, se libère, comme un mur­mure. Nauséabond. « Ce n’est pas très natu­rel quand même, non ? » m’interroge mon ex-​nouvelle copine, avec une moue de dégoût. Un homme assène : « Moi, j’ai rien contre, tant que c’est pas mon gosse… », son pote sou­pire « pauvre France… ». Je n’ai pas de mots, ils doivent être coin­cés quelque part, parce que c’est un rugis­se­ment qui sort de ma gorge, un « Grrrl » bien sonore qui fait recu­ler ma voi­sine, qui écrase le pied de son voi­sin, qui hurle « putain », ce à quoi elle lui répond « pédé » et, pour ne pas en entendre plus, je m’enfuis les lais­sant s’étriper entre eux.

De retour à mon car­ré, bou­le­ver­sée, je raconte. Les trois me regardent comme si j’avais incen­dié la voiture-​bar à che­val sur un dra­gon. Puis ché­ri com­pa­tit, avant de refer­mer les yeux ; ma nar­quoise per­sifle du bout de ses lèvres per­cées : « T’avais rai­son, Maman ! C’est pas la peine d’aller à l’étranger pour faire des ren­contres magni­fiques. » Et fis­ton, se croyant très malin, sif­flote La Marseillaise d’un air moqueur. 

Raison pour laquelle il a ter­mi­né le voyage, pri­vé de sa console de jeux, en répé­tant en boucle : « C’est pas juste. » 

Au retour, il fau­dra que je pense à lui racon­ter l’histoire du vase et de la goutte d’eau.

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