Cette année pour les vacances, j’ai décidé de privilégier l’écologie et donc, les transports en commun. Je me suis imaginée à bord de wagons conviviaux, regardant défiler la France bucolique, mon livre à portée de main, entourée de ma petite famille enthousiaste.
Bien sûr, l’écologie a un coût, surtout en période estivale, et c’est pour ça que nous sommes assis dans un « carré famille » dont le tarif inouï a explosé notre budget. En face de moi, ma jeune ado rebelle dans son tee-shirt Riot Grrrl, à son côté, fiston plongé dans sa console de jeux. Chéri-le-bienheureux dort déjà sur mon épaule. Quand le train s’éloigne de la gare et de nos vies quotidiennes, j’ai terriblement envie de partager mes réflexions lyriques, d’expliquer à la seule paire d’oreilles disponible que ce n’est pas la peine de partir à l’étranger pour s’évader et que « tu vas voir, ma fille, la France nous réserve des paysages et des rencontres magnifiques » ! Elle, narquoise, me demande si je vais bientôt chanter La Marseillaise. Puis met ses écouteurs.
Je décide alors de plonger dans mon livre. Qui est resté dans la valise. Sous une montagne d’autres valises. Je renonce à la lecture et me lance en solitaire jusqu’au bar à la recherche d’un café et de convivialité.
Je titube à travers des wagons qui sentent l’œuf dur, le fromage, le pâté, les chaussettes. Quand j’arrive, les gens patientent en devisant le long d’un comptoir où un monsieur débordé vend des sandwichs et des menus concoctés par un « chef », qui pratique lui aussi des tarifs inouïs. Je devise avec ma voisine à propos des prix exorbitants. Devant nous, deux jeunes hommes hésitent longuement entre la madeleine et le cake, décident de prendre les deux. Puis s’embrassent. Tendrement. Et repartent main dans la main.
Un drôle de silence s’installe dans la file. Et la parole reprend, se libère, comme un murmure. Nauséabond. « Ce n’est pas très naturel quand même, non ? » m’interroge mon ex-nouvelle copine, avec une moue de dégoût. Un homme assène : « Moi, j’ai rien contre, tant que c’est pas mon gosse… », son pote soupire « pauvre France… ». Je n’ai pas de mots, ils doivent être coincés quelque part, parce que c’est un rugissement qui sort de ma gorge, un « Grrrl » bien sonore qui fait reculer ma voisine, qui écrase le pied de son voisin, qui hurle « putain », ce à quoi elle lui répond « pédé » et, pour ne pas en entendre plus, je m’enfuis les laissant s’étriper entre eux.
De retour à mon carré, bouleversée, je raconte. Les trois me regardent comme si j’avais incendié la voiture-bar à cheval sur un dragon. Puis chéri compatit, avant de refermer les yeux ; ma narquoise persifle du bout de ses lèvres percées : « T’avais raison, Maman ! C’est pas la peine d’aller à l’étranger pour faire des rencontres magnifiques. » Et fiston, se croyant très malin, sifflote La Marseillaise d’un air moqueur.
Raison pour laquelle il a terminé le voyage, privé de sa console de jeux, en répétant en boucle : « C’est pas juste. »
Au retour, il faudra que je pense à lui raconter l’histoire du vase et de la goutte d’eau.