Un·e Français·e sur dix déclare avoir été vic­time d’inceste

En cette jour­née du 20 novembre qui célèbre les droits de l’enfant, AIVI, asso­cia­tion de pro­tec­tion de l’enfance, change de nom et devient Face à l’inceste. Un acte sym­bo­lique pour ce fléau qui est deve­nu, selon les mots de sa fon­da­trice, « un scan­dale de san­té publique ».

campagne contenement
© Face à l'inceste

« On s’est ren­du compte qu’il n’y a rien de mieux qu’un acro­nyme pour dis­si­mu­ler quelque chose. Alors que pour lut­ter contre quelque chose, il faut com­men­cer par le nom­mer. » Depuis vingt ans, Isabelle Aubry lutte contre les ravages de l’inceste à tra­vers AIVI (Association inter­na­tio­nale des vic­times de l’inceste), l’association de pro­tec­tion de l’enfance qu’elle a fon­dée à la fin de l’année 2000. À l’occasion de la Journée inter­na­tio­nale des droits de l’enfant, ce 20 novembre, la fon­da­trice, elle-​même vic­time d’inceste dans sa jeu­nesse, a déci­dé – encore une fois – d’agir. À com­men­cer par le chan­ge­ment d’appellation de sa struc­ture. Exit donc l’AIVI rebap­ti­sée, à comp­ter d’aujourd’hui, en un plus expli­cite « Face à l’inceste ». Un acte sym­bo­lique, certes, mais qui ne doit pas être consi­dé­ré comme une modi­fi­ca­tion pure­ment esthé­tique. « L’inceste est encore très tabou dans notre socié­té, déve­loppe Isabelle Aubry. On parle de “vio­lences sexuelles intra­fa­mi­liales”, de “pédo­phi­lie”, mais on ne nomme pas le mot exact. Il faut des cam­pagnes d’information et de sen­si­bi­li­sa­tion avec le mot inceste dedans. Cela par­ti­cipe à ouvrir le débat. Nous, ce qu’on dit au gou­ver­ne­ment, c’est : “Dites le mot et vous aide­rez à libé­rer la parole”. »

Car, outre son rôle d’information et d’entraide entre vic­times, Face à l’inceste pour­suit un objec­tif autre­ment plus ambi­tieux : celui d’obtenir un plan de lutte et de pré­ven­tion de la part de l’État, pour­vu de « moyens concrets ». Une mis­sion qui se heurte au carac­tère sacré de la cel­lule fami­liale. « Le gou­ver­ne­ment a lan­cé une com­mis­sion sur la pédo­cri­mi­na­li­té et les vio­lences sexuelles [Le secré­taire d’État char­gé de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, s’apprête à lan­cer une com­mis­sion sur les vio­lences faites aux enfants, ndlr]. Encore une fois, l’inceste est le grand oublié de la dis­cus­sion, déplore Isabelle Aubry. La socié­té est com­po­sée de familles, et l’inceste remet en cause la struc­ture même de cette ins­ti­tu­tion. Et lorsqu’on touche aux ins­ti­tu­tions, on a immé­dia­te­ment affaire à un mur. » Pourtant, l’inceste est deve­nu bien plus qu’un fléau de san­té publique, « C’est désor­mais un véri­table scan­dale de san­té publique », se révolte Isabelle. L’association Face à l’inceste vient d’ailleurs de publier une enquête avec l’institut Ipsos sur ce sujet dou­lou­reux, qui dévoile un chiffre sidé­rant : 6,7 mil­lions de Français·es seraient ou auraient été vic­times d’actes inces­tueux. Soit un·e français·e sur dix. Un drame qui touche toutes les strates de la socié­té et tous les milieux socioprofessionnels.

« La France est encore à l'âge de pierre »

Isabelle Aubry, fon­da­trice de l'association Face à l'inceste

Pourtant, les choses par­viennent à évo­luer. Lentement. Au cours des quinze der­nières années, la lutte contre l’inceste a ain­si rem­por­té quelques vic­toires, en par­tie grâce à la mobi­li­sa­tion de l’association. Un cer­tain nombre de mesures – « celles qui coûtent le moins d’argent évi­dem­ment », iro­nise Isabelle Aubry – ont ain­si fait leur entrée dans la loi fran­çaise. Citons, par exemple, l’allongement de la pres­crip­tion – éta­bli à vingt ans après la majo­ri­té, contre dix ans aupa­ra­vant –, la prise en charge médi­cale à 100 % des vic­times ou, bien enten­du, l’insertion pour les mineurs du terme « inceste » dans le Code pénal, obte­nu dans le cadre de la loi du 14 mars 2016 sur la pro­tec­tion de l’enfance. Des avan­cées notables, mais pas la pana­cée. « À l’heure actuelle, rece­voir de l’aide est un vrai par­cours du com­bat­tant pour les vic­times, insiste la mili­tante. Il n’y a pas de diag­nos­tic de soins pré­vu pour elles, aucun plan concret pour les actes d’inceste sur les enfants. Pas de prise en compte, pas de pro­to­cole, rien. Sur ce sujet, la France est encore à l’âge de pierre. »

Lire aus­si : « Ou peut-​être une nuit » : le pod­cast qui libère la parole sur l’inceste

Il faut dire que l’inceste trône en bonne place au pan­théon des tabous de la socié­té. Frappé du sceau de l’évidence pour une immense majo­ri­té de citoyen·nes, il est éton­nant de décou­vrir qu’il n’en est pas de même au regard de la loi. Avant de faire son entrée dans le Code pénal en 2016, le mot était ain­si tota­le­ment absent de la juri­dic­tion fran­çaise. Une situa­tion qui nous rap­proche de nos voi­sins espa­gnols et por­tu­gais, au contraire des Allemands ou encore des Suisses, pour qui ces rela­tions sont pas­sibles d’emprisonnement. De quoi ali­men­ter le débat lorsque les der­niers chiffres four­nis par l’association Face à l’inceste – au terme de l’enquête réa­li­sée par Ipsos – démontrent que 32 % des Français·es déclarent connaître au moins une vic­time d’inceste, et que, selon Isabelle Aubry, le risque de sui­cide chez ces vic­times serait « mul­ti­plié par quinze ».

En atten­dant une éven­tuelle prise en main du dos­sier par les ins­ti­tu­tions poli­tiques, Face à l’inceste pour­suit son com­bat, à son niveau. Les quinze membres béné­voles de l’association ont ain­si lan­cé, dans le même temps que leur nou­veau site inter­net, le hash­tag #Faceàl’inceste ce 20 novembre sur les réseaux sociaux et une péti­tion sur Change.org concer­nant l’abolition de la loi sur le consen­te­ment des mineurs. « Tout acte sexuel inces­tueux sur mineur de 0 à 18 ans doit être qua­li­fié de crime inces­tueux et puni par la loi sans qu’un hypo­thé­tique “consen­te­ment” de la vic­time ne soit exa­mi­né », réclame Isabelle avec insistance.

« La parole se libère depuis le mou­ve­ment #MeToo. Les vic­times veulent en par­ler, mais il faut que la socié­té soit prête à entendre ce qu’elles ont à dire », conclut Isabelle. Une chose est sûre, les téléspectateur·rices devront y faire face très pro­chai­ne­ment : une cam­pagne publi­ci­taire de sen­si­bi­li­sa­tion sur l’inceste va en effet faire son appa­ri­tion dès le mois de décembre.

Lire aus­si : Violences faites aux enfants : les Français·es doivent prendre le réflexe d’appeler le 119

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