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Témoignages : iels sont potes après #MeToo

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© Lucie Gibierge pour Causette

Si on s’est col­lec­ti­ve­ment mis·es à décons­truire le couple et les sexua­li­tés hété­ros, un autre type de rela­tion avec les hommes est pas­sé sous les radars : l’amitié. Pour Causette, huit hommes et femmes ont témoi­gné de leurs ami­tiés après #MeToo.

Christo

25 ans, dans le management

« J’ai fait mon coming-​out non binaire en 2019. J’ai été assigné·e homme à la nais­sance. Avec mes amies, j’ai fait atten­tion à moins pater­na­li­ser. Je pense à mon père en guise de contre-​exemple. On me per­çoit par­fois encore comme un homme, alors je fais atten­tion à cer­taines choses dans la vie quo­ti­dienne. Ne pas mar­cher der­rière une femme dans la rue la nuit, par exemple, pour ne pas qu’elle se sente sui­vie. On peut pas dire que je n’aurais pas ren­con­tré mes amies actuelles sans ce tra­vail, mais on aurait sûre­ment des liens moins forts. On res­sent aus­si des vio­lences simi­laires, une connexion émo­tion­nelle, on a des conser­va­tions très pro­fondes. Comme avec une amie, avec qui je tra­vaillais en 2018. On avait un cercle de potes en com­mun, mais pas de rela­tion forte ensemble. Un jour, on devait se pro­me­ner une petite heure sur la jour­née de tra­vail. En fait, on a mar­ché trois heures en par­lant d’écoute empa­thique et d’écoute active, deux concepts du milieu mili­tant. Depuis, c’est une très bonne amie. On a même pen­sé à lan­cer un mou­ve­ment de col­lage ensemble. En ce moment, je tra­vaille sur com­ment cas­ser la label­li­sa­tion de mes rela­tions. Pourquoi avoir besoin de caté­go­ri­ser et de hié­rar­chi­ser amour et ami­tié ? Je n’ai pas envie d’insérer des rela­tions amou­reuses en ami­tié, mais je consi­dère que mes rela­tions ami­cales sont plus fortes que la romance. Elles durent aus­si plus long­temps. Avec ma meilleure amie, on réflé­chit à la copa­ren­ta­li­té. C’est un sujet qui entre dans nos vies grâce à ces réflexions. »

Sophie

29 ans, journaliste

« Je suis de plus en plus consciente que la plu­part des ami­tiés que j’ai cru avoir étaient des friend­zones. Je m’en suis ren­du compte dès le lycée. Si j’exprimais un dés­in­té­rêt roman­tique ou que je disais “non”, je n’avais plus de potes. C’est un truc qui arrive encore. L’autre jour, un copain de la fac m’a écrit sur Facebook parce que ça fai­sait long­temps. À un moment, il demande : “Et sinon, t’as un mec ?” Je n’ai plus jamais eu de réponse. Du coup, je ché­ris mes potes mecs qui ne cherchent pas à me bai­ser et qui m’aiment quand même. On en est là ! La plu­part sont des amis d’il y a qua­si vingt ans. Avec eux, c’est une rela­tion en quelque sorte “désexua­li­sée”. Ça ne me gêne pas de leur dire “T’es trop beau aujourd’hui.” Ou vice ver­sa. Je vois aus­si qu’ils font plus atten­tion à ce qu’on subit en tant que meufs quand on sort. Avant, ils auraient dit de manière un peu abs­traite : “Je veux pas qu’un mec fasse chier Sophie.” Là, ils se rendent compte tout seuls quand on est relou avec moi et viennent me deman­der si ça va. »

Bénédicte

36 ans, formatrice

« J’ai récem­ment créé un groupe de parole pour échan­ger sur les rela­tions hommes-​femmes. J’ai lan­cé l’idée sur un groupe Facebook, car j’avais envie de me nour­rir des expé­riences des autres pour y réflé­chir. Et huit per­sonnes – quatre femmes, quatre hommes – ont accep­té d’y par­ti­ci­per et se ren­con­trer en région lyon­naise. J’ai été sur­prise par le nombre d’hommes inté­res­sés par la démarche. Ça m’a per­mis de me rap­pro­cher d’eux et de tis­ser des liens ami­caux forts que je trouve enga­geants. Certains ont la cin­quan­taine. J’ai été très éton­née de voir qu’ils par­laient même de leurs décep­tions amou­reuses. Et que cer­tains avaient par­ti­ci­pé à deux-​trois manifs fémi­nistes. Analyser nos rela­tions crée une connexion. Moi qui habite à la cam­pagne, où la rela­tion est rare et pré­cieuse, ça me donne espoir pour créer de nou­veaux liens de confiance. »

Charles

32 ans, com­mer­cial dans la musique

« J’ai gran­di avec un groupe de potes filles depuis la classe de qua­trième. Entre nous, on par­lait évi­dem­ment de tout : de nos rela­tions amou­reuses, de nos aspi­ra­tions pro­fes­sion­nelles et rela­tion­nelles, de notre façon de vivre la sexua­li­té, de règles… Je n’ai mesu­ré l’importance capi­tale d’avoir ces échanges tôt dans ma vie que très récem­ment. Le début de cette prise de conscience et de ce virage pour moi s’est fait à la lec­ture de Sorcières, de Mona Chollet [éd. Zones, 2018, ndlr], qui a appe­lé plé­thore d’autres lec­tures tirées de la lit­té­ra­ture fémi­niste foi­son­nante. J’ai d’ailleurs été sur­pris de décou­vrir tout ça, car ça ne m’a pas du tout été ensei­gné lors de ma sco­la­ri­té – cou­cou, Alice Coffin ! Il y a quelques mois, lors d’un apé­ro avec ce groupe d’amies que j’ai la chance d’avoir encore aujourd’hui, j’ai eu un moment assez solen­nel, où j’ai pris le temps de les remer­cier pour tout ça… Elles se sont un peu moquées parce que c’était peut-​être ame­né mal­adroi­te­ment. C’était sûre­ment un peu bête, mais j’ai com­pris que si elles n’avaient pas fait par­tie de ma vie, je ne serais pro­ba­ble­ment pas la même per­sonne. Plutôt que d’étaler une pré­ten­due décons­truc­tion sur les réseaux sociaux pour me faire mous­ser, je pré­fère mettre en appli­ca­tion ce que toute cette lit­té­ra­ture et ces liens m’ont appris, remer­cier celles sans qui ça ne serait pas le cas et j’essaie depuis de faire ma part tout en redou­blant d’écoute. On a aujourd’hui avec ces amies une rela­tion plus chouette que jamais. »

Amine

36 ans, thérapeute

« C’est le fait d’accepter ma vul­né­ra­bi­li­té dans mes rela­tions avec les hommes qui a natu­rel­le­ment créé un espace dif­fé­rent avec les femmes. Je vivais mes rela­tions soit sous le prisme de la com­pé­ti­tion, soit sous celui de la séduc­tion. Le fait que des femmes se soient levées et disent stop aux abus pen­dant #MeToo, qu’elles aient défen­du leurs droits en mon­trant leur part de vul­né­ra­bi­li­té a été un exemple qui m’a aidé à accep­ter ma propre vul­né­ra­bi­li­té. Je suis sen­sible aux grands sché­mas d’inégalités, car je suis né au Maroc. Je sais ce que c’est de vivre des situa­tions très sub­tiles de dis­cri­mi­na­tion, qu’elles soient sys­té­miques ou dans des rap­ports indi­vi­duels. Je ne suis pas expert du fémi­nisme, mais ma com­pagne par­tage éga­le­ment beau­coup de réflexions avec moi. Tout ça m’a aidé. Aujourd’hui, il y a clai­re­ment des femmes avec qui je sens un lien très pro­fond, que je n’aurais jamais vécu si je n’étais pas dans cette démarche. Je n’ai plus peur de par­ta­ger de la ten­dresse avec ces amies. Je l’exprime libre­ment, sans crainte. Elle est net­toyée de rap­ports d’ambiguïté. J’apprends la déli­ca­tesse, le soin. On m’avait appris : “Une femme c’est soit TA femme, soit il faut de la dis­tance”. Maintenant, j’ai com­pris qu’il y a tout un espace de ren­contre entre les deux, qui peut se révé­ler très profond. » 

Anne

40 ans, traductrice

« Ce n’est pas moi qui me suis éloi­gnée de mes amis hommes avec la révo­lu­tion fémi­niste. Ce sont eux qui m’ont éloi­gnée. Dont un de façon très vio­lente par mes­sage WhatsApp. J’ai sen­ti la dis­tance se des­si­ner. Il n’est jamais venu me voir pour en par­ler. Un jour, j’ai reçu ce mes­sage. Il com­men­çait par pré­ve­nir que je devais choi­sir le moment pour le lire, car ça allait être dif­fi­cile. C’était tel­le­ment long que j’ai mis quarante-​cinq minutes à le ter­mi­ner. Que des insultes et des reproches qui par­laient d’événements sur les der­niers mois écou­lés alors qu’on se connais­sait depuis huit ans. J’étais sa meilleure amie. Il disait que je ne lais­sais rien pas­ser en matière de fémi­nisme. Que j’étais trop cri­tique. C’est vrai. Je demande tou­jours à ce qu’on rec­ti­fie son dis­cours s’il est oppres­sif. Il disait que je me trom­pais de cible parce qu’il était par­fai­te­ment décons­truit. Il lit beau­coup de fémi­nistes. Il a lu Paul B. Preciado. Mais il fait par­tie des gens qui se pré­tendent alliés et ne se regardent pas vrai­ment. J’ai essayé de faire de l’éducation. Je com­prends que cer­taines refusent de le faire. Dans cette rup­ture ami­cale, le fémi­nisme m’aide. Il me per­met de pla­cer cor­rec­te­ment les res­pon­sa­bi­li­tés : essayer de prendre ma part et de lui rendre la sienne. De ne pas me cou­vrir de culpabilité. »

Esther

68 ans, retraitée

« Je suis fémi­niste depuis la fin des années 1970. J’ai ren­con­tré mes amis pen­dant mes études d’éducatrice spé­cia­li­sée, en 1975. On a par­ti­ci­pé à toutes les manifs pos­sibles et ima­gi­nables. On a gar­dé le lien. Je n’ai jamais eu d’ami machiste. Mais il est vrai qu’on a plus de conver­sa­tions sur l’intime avec mes amies femmes qu’avec mes copains. Et ça n’a pas chan­gé depuis #MeToo… Mon petit voi­sin – un jeune de 40 ans avec qui je suis deve­nue amie – connaît peu de ma vie amou­reuse, sauf quand il y a un grand séisme. Mais peut-​être que je fais aus­si par­tie de la pro­blé­ma­tique. Que j’ai inté­rio­ri­sé que l’intime était fémi­nin. C’est vrai que ça pour­rait m’apporter, de par­ta­ger ça avec un ami homme. De savoir ce que vit l’autre, ce qu’il se passe dans la tête d’un homme. Il est aus­si vrai que j’ai une charge men­tale orga­ni­sa­tion­nelle avec mes amis. Les mecs se reposent sur toi pour tout orga­ni­ser. Parfois, j’ai envie de leur dire : pour­quoi tu ne penses pas à moi ? » 

Adèle

28 ans, char­gée de communication

« J’ai deux très bons copains hété­ros qui cochent beau­coup de cases de la viri­li­té tra­di : ils sont grands, bar­bus, du style à faire des réflexions sur les nanas “qui en font trop” pen­dant leurs règles et que d’ailleurs, c’est dégueu. La der­nière fois que je les ai vus, j’avais jus­te­ment super mal au ventre. Et je n’avais pas de pro­tec­tions. On matait Le Seigneur des anneaux chez l’un d’eux. J’étais enrou­lée dans un plaid sur le cana­pé. Et là, sans rien dire, l’un d’eux est allé me faire une bouillotte. L’autre est sor­ti me cher­cher des pro­tec­tions. Entre-​temps, j’ai taché le plaid. Je me suis dit : “Ils vont me faire une blague pour me tacler gen­ti­ment.” À l’inverse, ils m’ont pro­po­sé de faire une pause pour que je puisse prendre une douche et reprendre le film après. Je me suis dit : “Wow, du che­min a été fait !” Ils n’ont pas for­cé­ment tout lu en matière de fémi­nisme, mais l’un d’eux a un frère qui a été assi­gné fille à la nais­sance et a com­men­cé sa tran­si­tion récem­ment. Ça a dû jouer dans son ouver­ture. J’ai aus­si un autre copain qui ne croyait pas à l’écart sala­rial entre les hommes et les femmes. Il ne croyait pas au har­cè­le­ment de rue non plus, car il n’en avait jamais été témoin. À force de dis­cus­sions, à force de lui mon­trer des études sour­cées et avec la libé­ra­tion de la parole, il s’est ren­du compte de ce qu’on vivait en tant que femmes. Il est plus empa­thique. Maintenant, il m’envoie des articles de Titiou Lecoq que je n’avais même pas repé­rés et a chan­gé sa manière de m’écouter. »

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