Série : Il était une loi 3/6
À quelques semaines des législatives, Causette donne la parole à des député·es qui ont porté haut des valeurs humanistes à l’Assemblée. Ce mercredi, le député de Haute-Garonne indépendant Sébastien Nadot, qui s’est spécialisé sur l’accueil des réfugié·es, répond à nos questions.
Causette : Quelle est la chose dont vous êtes le plus fier, en tant que député ?
Sébastien Nadot : Avoir voté en décembre 2018, en plein mouvement des Gilets jaunes, contre le budget 2019 parce que je me dis alors : les gens que je représente, s’ils savaient, ils ne seraient pas d’accord. Un député LREM s’est abstenu, moi je vote contre. Trois jours après, soit deux avant Noël, on vote une loi dite d’urgence sociale, portée par Macron. C’est d’un cynisme. Puis, il y a eu le grand débat pour empapaouter tout le monde. Je ne comprends pas les députés de la majorité, sont-ils benêts ou cyniques ?
Bref, je suis devenu le mouton noir, on m’a exclu et on m’a refourgué le bureau de Gilbert Collard, qui partait au Parlement européen, ça sentait encore le cigare et Le Pen est devenue ma voisine de palier, j’étais ravi.
Être exclu de LREM, rétrospectivement, ça a été libérateur ?
S.N. : Je ne dirais pas ça, car je me suis toujours considéré comme un homme libre, mais c’était la condition pour le rester. J’étais un novice, pas vraiment assuré, mais je crois avoir fait mon devoir de parlementaire en mon âme et conscience. « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel », indique d’ailleurs la Constitution.
En tant que non-inscrit, comme on ne bénéficie plus de la force de travail d’un groupe, il devient très difficile de maîtriser l’ensemble des sujets, on finit par sélectionner. Je me suis retrouvé à prendre la parole à propos de choses sur lesquelles je n’avais aucune compréhension, donc je partais sur un autre sujet.
Par exemple lors d’un débat dans l’hémicycle sur que faire des postes laissés vides par les députés britanniques quittant le Parlement européen à la suite du Brexit. Moi, ce sujet me dépasse et je ne pense pas qu’il soit crucial de légiférer sur le nombre d’élus français au Parlement européen. Je décide donc de partir sur le financement européen d’Exxelia Technologies, une entreprise d’armement française dont les produits sont utilisés pour tuer en Palestine. En juillet 2014, à Gaza, trois enfants ont été tués et deux blessés par un tir de missile qui contenait trois potentiomètres d’Exxelia Technologies [depuis visée par une plainte de la famille, ndlr]. C’est un crime de guerre et la France en est partie prenante.
La journaliste Alice Odiot, qui a réalisé [avec Sophie Nivelle-Cardinale, ndlr] le documentaire Made in France-Au service de la guerre sur cette affaire, m’a proposé de rencontrer les parents de ces enfants, mais je n’en ai pas eu le courage.
En termes de moments forts, il y a aussi le 19 février 2019, lorsque vous affichez dans l’hémicycle la banderole « la France tue au Yémen ».
S.N. : Je n’en fais pas une fierté, ça a été horrible pour moi, cette mise en scène. Mais ça advient au bout d’une année de travail la tête sous l’eau, dans des dossiers sinistres sur les compromissions de l’industrie de l’armement. Avec les ONG et les médias d’investigation, nous apportons la preuve que des armes françaises sont utilisées par l’Arabie saoudite contre les populations civiles au Yémen.
Quand je me rends compte que je ne vais même pas avoir deux minutes de temps de parole pour évoquer ce scandale et que je dois rendre des comptes aux personnes mobilisées sur le sujet, je me dis qu’il faut faire un coup, et c’était la bonne méthode pour marquer les esprits.
Ça a été dur, d’être audible sur ces sujets éloignés des préoccupations directes des Français·es, en tant qu’exclu de la majorité ?
S.N. : La commission d’enquête que j’ai présidée sur les conditions de vie et l’accès aux droits des migrants n’a pas de conséquence législative, par manque de temps, mais aussi sans doute parce que j’étais dans l’opposition. Mais pour moi, en termes d’action politique, c’est probablement ce qui est le plus fort.
Dans la majorité, on fait des choses pour la vitrine, mais quand il s’agit de se mettre en travers d’un ministre ou d’un amendement, il n’y a plus personne. Moi, les députés de la majorité qui la jouent encore larmoyants sur les enfants qui sont enfermés en centres de rétention administrative [CRA, ndlr], je ne peux plus les supporter. Quand un texte qui permettrait de changer les choses est débattu, ils sont absents ou présents, mais s’abstiennent, et ça passe à la trappe.
Qu’est-ce que qui a fait que vous vous êtes spécialisé en tant que député dans la migration ?
S.N. : Je crois que c’est le prisme de la vie d’avant. J’étais prof d’éducation physique et sportive dans un collège avec des jeunes ne parlant pas français. Je m’étais occupé d’une famille syrienne arrivée en France en 2015 et à Toulouse en 2017. J’ai bidouillé tant bien que mal pour les épauler sur les problèmes de scolarisation des enfants, de formation professionnelle, de validation de diplômes. Maintenant, la mère est médecin à la maternité de l’hôpital d’Aurillac. C’est sa force qui le lui a permis, mais les petits accompagnements par-ci par-là, du type lui trouver un stage dans un hôpital, une formation en Français et un établissement scolaire adapté pour les enfants, c’est un coup de pouce qui facilite les choses.
En cinq ans de législature, vous êtes-vous senti concrètement utile ?
S.N. : Peut-être via l’obtention des titres de séjour, dont j’ai fait une sorte de spécialité. Ce n’est pas une histoire de passe-droit mais de rétablir des droits, car il y a plein de personnes à qui on doit un titre de séjour et à qui on ne les donne pas, ce n’est pas normal. Pas mal de parlementaires comme moi s’essaient à ce sport d’obtention des titres, y compris certains dont on ne l’attendrait pas forcément, parce que les services de l’État vont mal.
Combien en avez-vous à votre actif ?
S.N. : On n’a pas fait l’inventaire, mais parfois, quand il s’agit d’une famille de cinq ou six personnes d’un coup, ça monte le score. Ça doit rester dans l’ordre d’une centaine. Ce qui est assez génial, c’est que la préfecture où j’en ai obtenu le plus, c’est celle de Paris, sous les bons hospices de Didier Lallement ! Je ne me l’explique pas, car quand je l’ai eu en face de moi à l’occasion de la Commission d’enquête indépendante de la justice, il n’avait pas été spécialement aimable et moi non plus. Très honnêtement, je ne sais pas quelle était la règle donnée vis-à-vis des dossiers portés par des parlementaires, mais plusieurs étaient désespérés de n’arriver à rien avec la préfecture de Paris. À l’inverse, c’est avec celle de ma circonscription, en Haute-Garonne, que je galère le plus. J’imagine qu’au bout d’un moment, ils font les calculs.
En tant que spécialiste des questions migratoires, quel regard portez-vous sur la mobilisation de l’État pour accueillir les réfugié·es ukrainien·nes ?
S.N. : J’ai une vision assez claire sur le sujet : j’ai moi-même accueilli une famille de quatre réfugiés chez moi, à Toulouse, dans un studio attenant à mon domicile. J’ai recruté la fille de 26 ans comme collaboratrice parlementaire depuis fin mars.
Nous faisons bien les choses en matière de protection temporaire, dont le délai d’obtention est, pour une fois, satisfaisant. Mais pour le reste – logement, emploi –, c’est très aléatoire. Les réfugiés ukrainiens bénéficient clairement d’un accueil bien meilleur que tous les autres. Ce n’est donc pas tant leur accueil d’un niveau « acceptable » (même si moins bon que d’autres pays, comme l’a démontré ma collaboratrice grâce à une étude comparative de six États) qui pose problème que les moyens mis pour eux et retirés aux autres, lesquels étaient déjà très loin d’obtenir un service acceptable. Donc malheureusement, avec ces choix, nous avons alourdi la charge d’un système déjà totalement défectueux !
Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus parmi les sujets que vous léguez aux prochains législateur·rices ?
S.N. : La question des femmes au sein des crises migratoires. 51 % des entrants actuels en France sont des femmes. C’est un sujet sur lequel il faut absolument travailler. Sur l’île de Lampedusa, en Italie, où arrivent les réfugiés, j’ai rencontré une Ivoirienne de 16 ans dont la préoccupation n’était pas tant qu’elle ait subi, durant son périple, des viols collectifs pendant toute une semaine, mais de savoir si elle avait, ou pas, contracté le sida.
C’est un sujet sur lequel même une majorité conservatrice devrait faire montre d’humanité. D’autant plus que même le Medef dit que nous avons besoin de main d’œuvre, et il a l’oreille de Macron.
Quand avez-vous pris la décision de ne pas vous représenter ?
S.N. : J’ai traversé ces cinq ans en ayant pour boussole qu’aucune de mes décisions ne serait prise en fonction de ma trajectoire personnelle et d’une potentielle réélection. Ma femme vous dirait qu’elle m’a interrogé à peu près tous les six mois sur le sujet et que je lui ai toujours dit que je ne me représenterai pas.
Il y a tellement d’autres choses que j’ai envie de faire, et les déplacements toutes les semaines m’ont usé. Quand on est député de Haute-Garonne, le train devient vite une non-solution, cinq heures et une fois sur trois, il y a du retard. Donc on prend l’avion pour aller voter, parce qu’en tant que non-inscrit, personne ne peut voter pour moi, ça n’a pas de sens. Je n’y restais qu’une demi-heure, parce que le président de l’Assemblée nationale a toujours refusé de rendre pérenne la solution du vote électronique, qui a pourtant très bien fonctionné durant le confinement.
Pour conclure votre mandat de député, vous venez de déposer une proposition de loi dans laquelle vous demandez la création de « jurés du Parlement », des citoyen·nes tiré·es au sort dont le rôle serait d’étudier, dans chaque département et à l’aide d’un·e député·e local·e, chaque proposition ou projet de loi afin d’émettre un avis consultatif. D’où est venue cette idée ?
S.N. : Durant mon mandat et notamment au cours de l’épisode Gilets jaunes, j’ai fait le constat d’absence de lien entre les représentés et les représentants. Ne sont représentés que des groupes d’influence et des lobbies, terme que je n’emploie pas de façon péjorative : un syndicat de profs, c’est un lobby, mais le fait est que le citoyen n’est pas forcément représenté.
L’idée est de créer une situation où on travaille sur l’élaboration de la loi avec les gens qu’on représente pour permettre au parlementaire d’être en prise avec le réel. On va ainsi mieux aborder la logique des citoyens, comprendre ce qu’ils veulent de façon parfois contradictoire, je ne suis pas naïf. Mais cela donnerait du poids aux argumentations face à l’exécutif. Ce n’est pas le remède absolu pour résorber la rupture, visible dans l’abstention, mais je le vois comme une étape qui permettrait de se mettre sur une pente constructive pour améliorer l’état démocratique du pays.
L’amorce de l’exposé des motifs de cette proposition est très dure, vous écrivez : « La vie démocratique en France est à bout de souffle. »
S.N. : Oui, car on a pu assister à de nombreux moments où le parlement n’a été qu’une chambre d’enregistrement mais surtout une agence de communication du gouvernement. Évidemment, certains de mes collègues se battent pour se faire entendre, comme Albane Gaillot, qui a décroché de haute lutte l’allongement du délai légal de l’IVG, alors que le gouvernement s’y opposait.
J’ai l’impression qu’après le premier mandat de Macron, où a été effacé le pouvoir politique du parlement, le deuxième sera celui de l’effacement politique du gouvernement. On va avoir des pantins de ministres et quatre-cinq conseillers proches qui vont faire toute la politique partout. C’est une critique de la présidence Macron mais aussi du laisser-faire dont nous avons fait preuve par manque de courage dans cette dépossession du pouvoir parlementaire : pourquoi se gênerait-il puisque ça fonctionne, que rien ne se met en travers ?
À quoi va ressembler votre vie d’après ?
S.N. : Je reviens à mes premières amours en tant qu’historien, je suis en train de monter un projet de recherche autour de l’histoire du sport et des relations internationales. On m’a aussi demandé d’être commissaire d’une expo. En fait, je suis pas mal sollicité. J’ai également fait ma demande de réintégration à l’Éducation nationale. En fait, j’aspire à retrouver une vie normale.