• Rechercher
  • Mot de passe oublié ?
  • Mot de passe oublié ?

Sébastien Nadot : « Les dépu­tés de la majo­ri­té qui la jouent lar­moyants sur les enfants enfer­més en centres de réten­tion admi­nis­tra­tive, je ne les sup­porte plus »

Capture d’écran 2022 05 20 à 15.52.38
Le 19 février 2019 dans l'hémicycle, le député Sébastien Nadot brandit une pancarte dénonçant la vente d'armes françaises à l'Arabie saoudite © Nouriel Malka

Série : Il était une loi 3/​6

À quelques semaines des légis­la­tives, Causette donne la parole à des député·es qui ont por­té haut des valeurs huma­nistes à l’Assemblée. Ce mer­cre­di, le dépu­té de Haute-​Garonne indé­pen­dant Sébastien Nadot, qui s’est spé­cia­li­sé sur l’accueil des réfugié·es, répond à nos questions.

Causette : Quelle est la chose dont vous êtes le plus fier, en tant que dépu­té ?
Sébastien Nadot :
Avoir voté en décembre 2018, en plein mou­ve­ment des Gilets jaunes, contre le bud­get 2019 parce que je me dis alors : les gens que je repré­sente, s’ils savaient, ils ne seraient pas d’accord. Un dépu­té LREM s’est abs­te­nu, moi je vote contre. Trois jours après, soit deux avant Noël, on vote une loi dite d’urgence sociale, por­tée par Macron. C’est d’un cynisme. Puis, il y a eu le grand débat pour empa­paou­ter tout le monde. Je ne com­prends pas les dépu­tés de la majo­ri­té, sont-​ils benêts ou cyniques ?
Bref, je suis deve­nu le mou­ton noir, on m’a exclu et on m’a refour­gué le bureau de Gilbert Collard, qui par­tait au Parlement euro­péen, ça sen­tait encore le cigare et Le Pen est deve­nue ma voi­sine de palier, j’étais ravi. 

Être exclu de LREM, rétros­pec­ti­ve­ment, ça a été libé­ra­teur ?
S.N. :
Je ne dirais pas ça, car je me suis tou­jours consi­dé­ré comme un homme libre, mais c’était la condi­tion pour le res­ter. J’étais un novice, pas vrai­ment assu­ré, mais je crois avoir fait mon devoir de par­le­men­taire en mon âme et conscience. « Tout man­dat impé­ra­tif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est per­son­nel », indique d’ailleurs la Constitution.
En tant que non-​inscrit, comme on ne béné­fi­cie plus de la force de tra­vail d’un groupe, il devient très dif­fi­cile de maî­tri­ser l’ensemble des sujets, on finit par sélec­tion­ner. Je me suis retrou­vé à prendre la parole à pro­pos de choses sur les­quelles je n’avais aucune com­pré­hen­sion, donc je par­tais sur un autre sujet.
Par exemple lors d’un débat dans l’hémicycle sur que faire des postes lais­sés vides par les dépu­tés bri­tan­niques quit­tant le Parlement euro­péen à la suite du Brexit. Moi, ce sujet me dépasse et je ne pense pas qu’il soit cru­cial de légi­fé­rer sur le nombre d’élus fran­çais au Parlement euro­péen. Je décide donc de par­tir sur le finan­ce­ment euro­péen d’Exxelia Technologies, une entre­prise d’armement fran­çaise dont les pro­duits sont uti­li­sés pour tuer en Palestine. En juillet 2014, à Gaza, trois enfants ont été tués et deux bles­sés par un tir de mis­sile qui conte­nait trois poten­tio­mètres d’Exxelia Technologies [depuis visée par une plainte de la famille, ndlr]. C’est un crime de guerre et la France en est par­tie pre­nante.
La jour­na­liste Alice Odiot, qui a réa­li­sé [avec Sophie Nivelle-​Cardinale, ndlr] le docu­men­taire Made in France-​Au ser­vice de la guerre sur cette affaire, m’a pro­po­sé de ren­con­trer les parents de ces enfants, mais je n’en ai pas eu le courage.

En termes de moments forts, il y a aus­si le 19 février 2019, lorsque vous affi­chez dans l’hémicycle la ban­de­role « la France tue au Yémen ».
S.N. :
Je n’en fais pas une fier­té, ça a été hor­rible pour moi, cette mise en scène. Mais ça advient au bout d’une année de tra­vail la tête sous l’eau, dans des dos­siers sinistres sur les com­pro­mis­sions de l’industrie de l’armement. Avec les ONG et les médias d’investigation, nous appor­tons la preuve que des armes fran­çaises sont uti­li­sées par l’Arabie saou­dite contre les popu­la­tions civiles au Yémen.
Quand je me rends compte que je ne vais même pas avoir deux minutes de temps de parole pour évo­quer ce scan­dale et que je dois rendre des comptes aux per­sonnes mobi­li­sées sur le sujet, je me dis qu’il faut faire un coup, et c’était la bonne méthode pour mar­quer les esprits.

Ça a été dur, d’être audible sur ces sujets éloi­gnés des pré­oc­cu­pa­tions directes des Français·es, en tant qu’exclu de la majo­ri­té ?
S.N. :
La com­mis­sion d’enquête que j’ai pré­si­dée sur les condi­tions de vie et l’accès aux droits des migrants n’a pas de consé­quence légis­la­tive, par manque de temps, mais aus­si sans doute parce que j’étais dans l’opposition. Mais pour moi, en termes d’action poli­tique, c’est pro­ba­ble­ment ce qui est le plus fort.
Dans la majo­ri­té, on fait des choses pour la vitrine, mais quand il s’agit de se mettre en tra­vers d’un ministre ou d’un amen­de­ment, il n’y a plus per­sonne. Moi, les dépu­tés de la majo­ri­té qui la jouent encore lar­moyants sur les enfants qui sont enfer­més en centres de réten­tion admi­nis­tra­tive [CRA, ndlr], je ne peux plus les sup­por­ter. Quand un texte qui per­met­trait de chan­ger les choses est débat­tu, ils sont absents ou pré­sents, mais s’abstiennent, et ça passe à la trappe. 

« Comme dépu­té, j’ai dû obte­nir une cen­taine de titres de séjour. Ce qui est assez génial, c’est que la pré­fec­ture où j’en ai obte­nu le plus, c’est celle de Paris, sous les bons hos­pices de Didier Lallement ! »

Qu’est-ce que qui a fait que vous vous êtes spé­cia­li­sé en tant que dépu­té dans la migra­tion ?
S.N. : Je crois que c’est le prisme de la vie d’avant. J’étais prof d’éducation phy­sique et spor­tive dans un col­lège avec des jeunes ne par­lant pas fran­çais. Je m’étais occu­pé d’une famille syrienne arri­vée en France en 2015 et à Toulouse en 2017. J’ai bidouillé tant bien que mal pour les épau­ler sur les pro­blèmes de sco­la­ri­sa­tion des enfants, de for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, de vali­da­tion de diplômes. Maintenant, la mère est méde­cin à la mater­ni­té de l’hôpital d’Aurillac. C’est sa force qui le lui a per­mis, mais les petits accom­pa­gne­ments par-​ci par-​là, du type lui trou­ver un stage dans un hôpi­tal, une for­ma­tion en Français et un éta­blis­se­ment sco­laire adap­té pour les enfants, c’est un coup de pouce qui faci­lite les choses.

En cinq ans de légis­la­ture, vous êtes-​vous sen­ti concrè­te­ment utile ?
S.N. :
Peut-​être via l’obtention des titres de séjour, dont j’ai fait une sorte de spé­cia­li­té. Ce n’est pas une his­toire de passe-​droit mais de réta­blir des droits, car il y a plein de per­sonnes à qui on doit un titre de séjour et à qui on ne les donne pas, ce n’est pas nor­mal. Pas mal de par­le­men­taires comme moi s’essaient à ce sport d’obtention des titres, y com­pris cer­tains dont on ne l’attendrait pas for­cé­ment, parce que les ser­vices de l’État vont mal.

Combien en avez-​vous à votre actif ?
S.N. :
On n’a pas fait l’inventaire, mais par­fois, quand il s’agit d’une famille de cinq ou six per­sonnes d’un coup, ça monte le score. Ça doit res­ter dans l’ordre d’une cen­taine. Ce qui est assez génial, c’est que la pré­fec­ture où j’en ai obte­nu le plus, c’est celle de Paris, sous les bons hos­pices de Didier Lallement ! Je ne me l’explique pas, car quand je l’ai eu en face de moi à l’occasion de la Commission d’enquête indé­pen­dante de la jus­tice, il n’avait pas été spé­cia­le­ment aimable et moi non plus. Très hon­nê­te­ment, je ne sais pas quelle était la règle don­née vis-​à-​vis des dos­siers por­tés par des par­le­men­taires, mais plu­sieurs étaient déses­pé­rés de n’arriver à rien avec la pré­fec­ture de Paris. À l’inverse, c’est avec celle de ma cir­cons­crip­tion, en Haute-​Garonne, que je galère le plus. J’imagine qu’au bout d’un moment, ils font les calculs.

« Ce n’est donc pas l’accueil des réfu­giés ukrai­niens, d’un niveau “accep­table”, qui pose pro­blème que les moyens mis pour eux et reti­rés pour les autres »

En tant que spé­cia­liste des ques­tions migra­toires, quel regard portez-​vous sur la mobi­li­sa­tion de l’État pour accueillir les réfugié·es ukrainien·nes ?
S.N. :
J’ai une vision assez claire sur le sujet : j’ai moi-​même accueilli une famille de quatre réfu­giés chez moi, à Toulouse, dans un stu­dio atte­nant à mon domi­cile. J’ai recru­té la fille de 26 ans comme col­la­bo­ra­trice par­le­men­taire depuis fin mars.
Nous fai­sons bien les choses en matière de pro­tec­tion tem­po­raire, dont le délai d’obtention est, pour une fois, satis­fai­sant. Mais pour le reste – loge­ment, emploi –, c’est très aléa­toire. Les réfu­giés ukrai­niens béné­fi­cient clai­re­ment d’un accueil bien meilleur que tous les autres. Ce n’est donc pas tant leur accueil d’un niveau « accep­table » (même si moins bon que d’autres pays, comme l’a démon­tré ma col­la­bo­ra­trice grâce à une étude com­pa­ra­tive de six États) qui pose pro­blème que les moyens mis pour eux et reti­rés aux autres, les­quels étaient déjà très loin d’obtenir un ser­vice accep­table. Donc mal­heu­reu­se­ment, avec ces choix, nous avons alour­di la charge d’un sys­tème déjà tota­le­ment défectueux ! 

« À Lampedusa, j’ai ren­con­tré une Ivoirienne de 16 ans dont la pré­oc­cu­pa­tion n’était pas tant qu’elle ait subi, durant son périple, des viols col­lec­tifs pen­dant toute une semaine, mais de savoir si elle avait, ou pas, contrac­té le sida »

Qu’est-ce qui vous pré­oc­cupe le plus par­mi les sujets que vous léguez aux pro­chains législateur·rices ?
S.N. :
La ques­tion des femmes au sein des crises migra­toires. 51 % des entrants actuels en France sont des femmes. C’est un sujet sur lequel il faut abso­lu­ment tra­vailler. Sur l’île de Lampedusa, en Italie, où arrivent les réfu­giés, j’ai ren­con­tré une Ivoirienne de 16 ans dont la pré­oc­cu­pa­tion n’était pas tant qu’elle ait subi, durant son périple, des viols col­lec­tifs pen­dant toute une semaine, mais de savoir si elle avait, ou pas, contrac­té le sida.
C’est un sujet sur lequel même une majo­ri­té conser­va­trice devrait faire montre d’humanité. D’autant plus que même le Medef dit que nous avons besoin de main d’œuvre, et il a l’oreille de Macron. 

Quand avez-​vous pris la déci­sion de ne pas vous repré­sen­ter ?
S.N. :
J’ai tra­ver­sé ces cinq ans en ayant pour bous­sole qu’aucune de mes déci­sions ne serait prise en fonc­tion de ma tra­jec­toire per­son­nelle et d’une poten­tielle réélec­tion. Ma femme vous dirait qu’elle m’a inter­ro­gé à peu près tous les six mois sur le sujet et que je lui ai tou­jours dit que je ne me repré­sen­te­rai pas.
Il y a tel­le­ment d’autres choses que j’ai envie de faire, et les dépla­ce­ments toutes les semaines m’ont usé. Quand on est dépu­té de Haute-​Garonne, le train devient vite une non-​solution, cinq heures et une fois sur trois, il y a du retard. Donc on prend l’avion pour aller voter, parce qu’en tant que non-​inscrit, per­sonne ne peut voter pour moi, ça n’a pas de sens. Je n’y res­tais qu’une demi-​heure, parce que le pré­sident de l’Assemblée natio­nale a tou­jours refu­sé de rendre pérenne la solu­tion du vote élec­tro­nique, qui a pour­tant très bien fonc­tion­né durant le confinement. 

Pour conclure votre man­dat de dépu­té, vous venez de dépo­ser une pro­po­si­tion de loi dans laquelle vous deman­dez la créa­tion de « jurés du Parlement », des citoyen·nes tiré·es au sort dont le rôle serait d’étudier, dans chaque dépar­te­ment et à l’aide d’un·e député·e local·e, chaque pro­po­si­tion ou pro­jet de loi afin d’émettre un avis consul­ta­tif. D’où est venue cette idée ?
S.N. : Durant mon man­dat et notam­ment au cours de l’épisode Gilets jaunes, j’ai fait le constat d’absence de lien entre les repré­sen­tés et les repré­sen­tants. Ne sont repré­sen­tés que des groupes d’influence et des lob­bies, terme que je n’emploie pas de façon péjo­ra­tive : un syn­di­cat de profs, c’est un lob­by, mais le fait est que le citoyen n’est pas for­cé­ment repré­sen­té.
L’idée est de créer une situa­tion où on tra­vaille sur l’élaboration de la loi avec les gens qu’on repré­sente pour per­mettre au par­le­men­taire d’être en prise avec le réel. On va ain­si mieux abor­der la logique des citoyens, com­prendre ce qu’ils veulent de façon par­fois contra­dic­toire, je ne suis pas naïf. Mais cela don­ne­rait du poids aux argu­men­ta­tions face à l’exécutif. Ce n’est pas le remède abso­lu pour résor­ber la rup­ture, visible dans l’abstention, mais je le vois comme une étape qui per­met­trait de se mettre sur une pente construc­tive pour amé­lio­rer l’état démo­cra­tique du pays.

« J’émets une cri­tique de la pré­si­dence Macron mais aus­si du laisser-​faire dont nous avons fait preuve par manque de cou­rage dans cette dépos­ses­sion du pou­voir parlementaire »

L’amorce de l’exposé des motifs de cette pro­po­si­tion est très dure, vous écri­vez : « La vie démo­cra­tique en France est à bout de souffle. »
S.N. : Oui, car on a pu assis­ter à de nom­breux moments où le par­le­ment n’a été qu’une chambre d’enregistrement mais sur­tout une agence de com­mu­ni­ca­tion du gou­ver­ne­ment. Évidemment, cer­tains de mes col­lègues se battent pour se faire entendre, comme Albane Gaillot, qui a décro­ché de haute lutte l’allongement du délai légal de l’IVG, alors que le gou­ver­ne­ment s’y oppo­sait.
J’ai l’impression qu’après le pre­mier man­dat de Macron, où a été effa­cé le pou­voir poli­tique du par­le­ment, le deuxième sera celui de l’effacement poli­tique du gou­ver­ne­ment. On va avoir des pan­tins de ministres et quatre-​cinq conseillers proches qui vont faire toute la poli­tique par­tout. C’est une cri­tique de la pré­si­dence Macron mais aus­si du laisser-​faire dont nous avons fait preuve par manque de cou­rage dans cette dépos­ses­sion du pou­voir par­le­men­taire : pour­quoi se gênerait-​il puisque ça fonc­tionne, que rien ne se met en travers ?

À quoi va res­sem­bler votre vie d’après ?
S.N. :
Je reviens à mes pre­mières amours en tant qu’historien, je suis en train de mon­ter un pro­jet de recherche autour de l’histoire du sport et des rela­tions inter­na­tio­nales. On m’a aus­si deman­dé d’être com­mis­saire d’une expo. En fait, je suis pas mal sol­li­ci­té. J’ai éga­le­ment fait ma demande de réin­té­gra­tion à l’Éducation natio­nale. En fait, j’aspire à retrou­ver une vie normale.

Lire aus­si l « Des femmes ont cru que la PMA pour toutes allait arri­ver vite, ne sont pas par­ties à l’étranger et c'est désor­mais trop tard » : le dépu­té Guillaume Chiche fait le bilan

Partager