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Reportage auprès des ami·es de Fouad, lycéenne trans­genre qui s’est don­né la mort

Fouad, sco­la­ri­sée au lycée Fénelon de Lille, s’est don­né la mort le mer­cre­di 16 décembre. Ses der­nières semaines ont été enta­chées par une alter­ca­tion avec la direc­tion de l’établissement et une suite de mal­adresses que regrettent ses proches. 

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© collagesféminicide_​nancy

En cette der­nière jour­née de cours avant les vacances de Noël, les élèves du lycée Fénelon de Lille auraient dû pro­fi­ter du rythme plus léger des classes, de l’ambiance fes­tive du mois de décembre. Pourtant, les voi­là assis dans la rue, devant leur éta­blis­se­ment. Le mer­cre­di 16 décembre, leur cama­rade Fouad, lycéenne trans­genre de 17 ans, s’est don­né la mort dans sa chambre du foyer d’accueil de Lambersart (Nord). Son sui­cide a eu lieu peu après une vive alter­ca­tion avec la CPE de son lycée concer­nant sa tran­si­tion. Ses cama­rades se serrent les coudes, dans le choc et le deuil. Ils par­tagent aus­si les mêmes ques­tions. Cet échange avec la CPE pourrait-​il être à l’origine du geste de l’élève ? 

Fouad a inté­gré le lycée Fénelon à la ren­trée de sep­tembre 2020. D’emblée, l’adolescente informe l’établissement qu’elle est en pleine tran­si­tion. Le foyer qui l’accueille depuis sa rup­ture fami­liale avec ses parents l’accompagne dans sa démarche. Fouad est ain­si la pre­mière élève trans­genre qu’accueille le lycée Fénelon. 

Une tran­si­tion bien avancée

L’adolescente prend des hor­mones depuis qua­si­ment un an et au lycée, elle ne cache pas sa tran­si­tion. Fouad porte du maquillage plu­tôt voyant, de faux ongles, des bijoux fémi­nins. Sans jamais que cela ne pose pro­blème autour d’elle. « Elle était très sou­te­nue au sein du lycée, se sou­vient Cyril, un cama­rade qui avait classe de lit­té­ra­ture anglaise avec elle. Personne ne s’est sen­ti heur­té par sa tenue ». 

Fouad était une élève sou­riante, pas­sion­née par la mode et le maquillage. À ses amis les plus proches, elle parle de ses pro­jets : faire une mis­sion dans l’humanitaire, étu­dier le droit. Elle est beau­coup plus dis­crète sur sa vie en dehors des cours et sur ce qui a pu ame­ner les rela­tions qu’elle entre­te­nait avec ses parents à se dété­rio­rer. Alors qu’une enquête sur son sui­cide est lan­cée, rien ne per­met d’assurer à ce stade que la tran­si­tion de Fouad ait été la rai­son de cet éloi­gne­ment vis-​à-​vis de sa famille. 

Le 2 décembre, Fouad décide de faire un pas de plus dans sa tran­si­tion. Elle se rend au lycée vêtue d’une jupe en jean avec des col­lants, d’une veste assor­tie et d’un top noir et blanc. Une tenue clas­sique pour une lycéenne de son âge, mais qui lui vaut une convo­ca­tion chez la CPE avant même le début des cours. S’en suit un échange très ten­du durant laquelle la conseillère prin­ci­pale d’éducation sort de ses gonds : « Je com­prends ton envie d’être toi-​même. Ça, je le com­prends très bien. Et tout ça, jus­te­ment, c’est fait pour t’accompagner au mieux. C’est ça que tu ne com­prends pas. Parce que, encore une fois, il y a des sen­si­bi­li­tés qui ne sont pas les mêmes à dif­fé­rents âges. Des édu­ca­tions qui ne sont pas les mêmes ! » La jeune fille enre­gistre la scène, son télé­phone posé sur ses genoux. 

Excédée, Fouad décide de quit­ter le lycée dans la fou­lée. Avant de par­tir, elle échange avec son cama­rade Cyril, qui s’apprête à aller en classe de lit­té­ra­ture anglaise. « Elle m’a expli­qué ce qu’il s’était pas­sé, je sen­tais qu’elle était très éner­vée. C’est à ce moment-​là que je lui ai deman­dé quel pro­nom elle sou­hai­tait qu’on uti­lise pour la qua­li­fier, pré­cise le jeune homme. Puis en accord avec elle, je suis allé deman­der à ma prof de lit­té­ra­ture s’il était pos­sible que les ensei­gnants uti­lisent le bon pro­nom [le fémi­nin en l’occurrence, ndlr], eux aus­si. » Celle-​ci pro­met de s’en enqué­rir auprès de la direc­tion. Fouad, elle, est à nou­veau convo­quée pour une réunion de média­tion avec le per­son­nel enca­drant du lycée, l’après-midi même. Son édu­ca­trice est pré­sente. À l’issue de cette réunion, Fouad est auto­ri­sée à por­ter des jupes. Elle revien­dra, le len­de­main, vêtue exac­te­ment de la même tenue. 

« Fouad, je vois que tu es présente »

Entre-​temps, tous les élèves du lycée ont eu vent de l’affaire et décident d’organiser des actions de sou­tien : des affiches arbo­rant les mes­sages « La trans­pho­bie tue » ou « Respectez les pro­noms des per­sonnes trans­genres » sont col­lées dans le lycée. Elles sont reti­rées peu après. Certains gar­çons et filles viennent au lycée vêtu·es d’une jupe. « Elle est venue me dire qu’elle était très tou­chée, se sou­vient Emma, cama­rade qui a acti­ve­ment orga­ni­sé ces gestes de sou­tien. Quand nous avons dis­cu­té, elle sem­blait satis­faite et contente de son échange avec l’administration. » 

Pour les ensei­gnants, en revanche, Fouad est tou­jours « un » élève. La direc­tion leur a indi­qué que les élèves devaient être gen­rés confor­mé­ment à leur état civil. Seul le pro­fes­seur de phi­lo­so­phie l’accueillera en classe d’un dis­cret : « Fouad, je vois que tu es présente. »

Dix jours plus tard, le dimanche 13 décembre, Fouad tente pour­tant une pre­mière fois de se sui­ci­der. Elle est accueillie à l’hôpital, tente de ras­su­rer ses ami·es. Mais le mer­cre­di sui­vant, elle par­vien­dra à se don­ner la mort dans sa chambre du foyer. Il faut désor­mais savoir si l’adolescente a béné­fi­cié d’un sui­vi après sa pre­mière ten­ta­tive. L’Aide sociale à l’enfance (ASE) qui la pre­nait en charge n’a pas sou­hai­té répondre à notre demande d’entretien. 

Dans la fou­lée de l’événement, la direc­tion du lycée annonce le décès de l’adolescente dans un com­mu­ni­qué neutre, dans lequel elle est dési­gnée par des pro­noms mas­cu­lins. Une nou­velle erreur qui illustre le manque de sen­si­bi­li­sa­tion des ser­vices de direc­tion sur la tran­si­den­ti­té, sou­pirent les lycéens de Fénelon. Pour autant, « je ne pense pas que Fouad se soit sui­ci­dée seule­ment à cause de l’altercation avec la CPE, mais cela a pu être l’élément déclen­cheur », estime Mila, venue mani­fes­ter son sou­tien devant le lycée avec ses amies, ven­dre­di der­nier. « Nous ne deman­dons la démis­sion de per­sonne, il faut main­te­nant faire de la péda­go­gie », ren­ché­rit l’une de ses amies à ses côtés. Le petit groupe de lycéennes acquiesce. « Je le rap­pelle, mais on ne cherche pas de cou­pable ni de bouc émis­saire. Oui, Fouad a été vic­time de dis­cri­mi­na­tion au lycée, mais ce n’est pas l’unique cause de son geste. Une enquête a été ouverte et j’espère réel­le­ment qu’on fini­ra par connaître toute la véri­té », a appuyé Anabelle, un ami très proche de Fouad et trans éga­le­ment, dans un mes­sage lar­ge­ment relayé sur Twitter. Au-​delà de la trans­pho­bie et du racisme dont l’adolescente a pu être l’objet, l’adolescent rap­pelle que Fouad avait éga­le­ment des « pro­blèmes per­son­nels ». 

Après la mort de Fouad, la conseillère prin­ci­pale d’éducation est venue accueillir les lycéens devant la grille du lycée, ce qui n’était pas dans son habi­tude. La rec­trice de l’académie de Lille a pour sa part pris la défense de la fonc­tion­naire : « Je ne crois pas qu’il y ait de mise en cause de cette CPE. Les mots qu’elle a pro­non­cés étaient justes. On sent qu’elle a été sur­prise. Elle s’est deman­dé com­ment cela allait être pris. » « Nous ne cher­chons pas de cou­pable. L’établissement n’est pas tenu res­pon­sable », pré­cisent Mila et ses amies d’une même voix. Autour d’elles, plu­sieurs militant·es trans sont éga­le­ment venu·es assis­ter au ras­sem­ble­ment. « Les sui­cides de per­sonnes trans­genres, on en a mal­heu­reu­se­ment l’habitude », sou­pire l’une d’elles. La Délégation inter­mi­nis­té­rielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-​LGBT (Dilrah) estime que le taux de sui­cide des per­sonnes trans­genres est sept fois plus éle­vé que celui des per­sonnes cis.

Bataille sur les réseaux sociaux

Bien loin de la pon­dé­ra­tion des lycéens de Fénelon, une autre bataille agite les réseaux sociaux depuis l’annonce du décès de Fouad, ain­si que la vira­li­té de la vidéo fil­mée dans le bureau de la CPE. Les coups partent en tous sens : der­rière le hash­tag #JusticePourFouad, on trouve autant d’incriminations contre l’administration que d’insultes transphobes. 

Un peu à dis­tance des lycéen·nes attroupé·es devant le lycée ven­dre­di, Marlène est venue expri­mer son sou­tien, elle aus­si. Cette étu­diante trans a été l’une des pre­mières à expli­quer l’affaire sur les réseaux, au tra­vers d’un long thread sur Twitter. « Le pre­mier média qui a relayé l’information, c’était Fdesouche, rapporte-​t-​elle. Ils m’ont citée dans l’article et j’ai reçu un tor­rent de haine. J’ai dû limi­ter l’accès à mon compte, car je rece­vais une cin­quan­taine de noti­fi­ca­tions à la minute. » 

Dans la foule de lycéen·nes et de jour­na­listes, les meilleur·es ami·es de Fouad endossent la res­pon­sa­bi­li­té de par­ler en son nom auprès des médias. Ils s’échinent paral­lè­le­ment à lut­ter contre les fausses infor­ma­tions et les récu­pé­ra­tions qui cir­culent sur les réseaux sociaux. Des étran­gers les accusent même d’utiliser le dead name de leur amie – Fouad –, un acte jugé trans­phobe. Et ce, alors même que Fouad n’avait pas encore choi­si de nou­veau pré­nom fémi­nin : elle hési­tait entre Avril et Luna. Épuisé·es, ses meilleur·es ami·es se sont écarté·es des réseaux sociaux pour quelque temps pour pou­voir enfin « faire leur deuil ». Plusieurs lycéen·nes pro­mettent des actions de sen­si­bi­li­sa­tion dès la rentrée. 

L’administration, elle, a orga­ni­sé une ren­contre avec les élèves avant leur départ en vacances. Une cel­lule d’écoute a éga­le­ment été mise en place. « Depuis le décès de Fouad, plus per­sonne par­mi le per­son­nel édu­ca­tif ne la mégenre, sou­ligne son ancienne cama­rade, Emma. Mais c’est un peu tard. » 

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