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Pensions ali­men­taires impayées : on y est presque !

Le dis­po­si­tif per­met­tant à la Caisse d’allocations fami­liales (CAF) de col­lec­ter et ver­ser les pen­sions ali­men­taires entre pro­gres­si­ve­ment en vigueur. Une évo­lu­tion atten­due de longue date, mais qui ne révo­lu­tionne pas encore la vie des familles monoparentales. 

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« Il n’y aura plus, demain, de pen­sions ali­men­taires non ver­sées. » La pro­messe d’Olivier Véran, pro­non­cée le 30 sep­tembre der­nier lors d’une visite de la Caisse d’allocations fami­liales (CAF) dans les Yvelines, est belle. Mais, déso­lée de cas­ser l’ambiance, elle ne devien­dra pas réa­li­té aus­si rapi­de­ment que le ministre de la Santé le dit. Les choses vont prendre un peu plus de temps. Le gou­ver­ne­ment com­mu­nique sur la créa­tion d’un « ser­vice public des pen­sions ali­men­taires », une for­mu­la­tion ron­flante qui sug­gère une révo­lu­tion majeure. Dans les faits, il s’agit plu­tôt d’une évo­lu­tion des outils qui se fera en deux temps : un pre­mier volet le 1er octobre et la suite le 1er jan­vier 2021. Cette réforme, déci­dée dans la fou­lée du grand débat natio­nal, pose les bases d’un sys­tème dans lequel la CAF (ou la MSA, la Sécurité sociale agri­cole) devient l’intermédiaire finan­cier entre les couples sépa­rés. En gros, c’est elle qui va récu­pé­rer l’argent auprès du parent débi­teur et le dis­tri­buer au second parent. 

Agir dès le pre­mier signalement

Première étape, depuis le 1er octobre : la pos­si­bi­li­té pour les per­son­nels de la CAF d’intervenir dans des dos­siers de pen­sions impayées. « L’opérateur public va agir dès le pre­mier signa­le­ment et sou­te­nir la per­sonne dans le temps », pro­met le cabi­net du ministre. Jusqu’à pré­sent, en cas d’incident de paie­ment, le parent – dans neuf cas sur dix, il s’agit de la mère – pou­vait se retour­ner vers l’Agence de recou­vre­ment des impayés de pen­sions ali­men­taires (Aripa) qui enga­geait une négo­cia­tion puis, en cas d’échec, des démarches pour récu­pé­rer l’argent. Les agent·es pou­vaient deman­der une sai­sie sur salaire ou sur les comptes ban­caires du parent créan­cier et remon­ter jusqu’à vingt-​quatre mois. Problème, elle n’était pas assez sol­li­ci­tée. À peine 10 à 20 % des cas lui seraient remon­tés, assure le gou­ver­ne­ment. « Cet outil a été un peu négli­gé jusqu’à pré­sent en matière de moyens humains et finan­ciers », attaque la séna­trice socia­liste de l’Oise et ancienne ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, à l’origine de la créa­tion de l’Aripa. Mais je me féli­cite de voir qu’on lui donne plus de poids et de nou­velles com­pé­tences. » Du côté de la CAF, on assure dis­po­ser des moyens humains néces­saires depuis le recru­te­ment, cette année, de 427 nou­velles per­sonnes. Au total, l’Aripa compte 800 agent·es. 

Au moins 300 000 familles concernées 

Jusqu’ici, l’agence pou­vait jouer le rôle d’intermédiaire finan­cier dans un seul cas de figure : en cas de sépa­ra­tion après des vio­lences conju­gales. Elle était offi­ciel­le­ment dési­gnée par le juge aux affaires fami­liales comme le rece­veur de la pen­sion, qu’elle rever­sait ensuite à la mère de famille concer­née. « Malheureusement, peu de juge­ments fixant cette inter­mé­dia­tion finan­cière ont été ren­dus, regrette la direc­tion natio­nale de la CAF. Peut-​être par mécon­nais­sance du dis­po­si­tif. » Depuis le début du mois d’octobre, cette logique s’étend donc à tous les dos­siers de pen­sions impayées. Et il y en a beau­coup. Selon les chiffres de la CAF, repris par le cabi­net du ministre, entre 30 % et 40 % des pen­sions ne sont pas ou mal payées. « Ouhlala, atten­dez avant d’écrire ce chiffre, nuance Laurence Rossignol. On n’en sait pas grand-​chose, c’est une extra­po­la­tion du nombre de femmes qui font des démarches auprès de la CAF, mais on n’a pas une idée aus­si pré­cise du nombre de pen­sions impayées, il y en a peut-​être plus. » En tout cas, au moins 300 000 familles mono­pa­ren­tales seraient concer­nées par ce pro­blème récur­rent. En moyenne, le ver­se­ment de cette pen­sion repré­sente 20 % des reve­nus du foyer monoparental. 

Stéphanie Lamy est à la tête du col­lec­tif Abandon de famille-​Tolérance zéro ! Elle milite depuis plu­sieurs années pour faire chan­ger la situa­tion. « Mon pre­mier sou­hait, explique-​t-​elle, c’est qu’on emploie le terme de “contri­bu­tion à l’entretien et l’éducation de l’enfant” et pas de “pen­sion” qui a un petit côté rente et ne colle pas avec la réa­li­té. » Un avis par­ta­gé par le cabi­net d’Olivier Véran, qui rap­pelle que la pen­sion ali­men­taire n’est « ni une amende ni une aumône ». Si Stéphanie Lamy se réjouit que les choses évo­luent dans la bonne direc­tion, elle reste dubi­ta­tive face à la pro­messe de fin des impayés. « Pour le moment, je trouve qu’il s’agit plus d’un chan­ge­ment d’organisation des équipes de la CAF, déjà habi­li­tées à faire des sai­sies directes, que d’une révo­lu­tion sur le ter­rain. Le vrai chan­ge­ment, à mes yeux, ce sera en jan­vier. » Selon les chiffres de la CAF, qui vante un béné­fice pour les usager·ères, cinq mille demandes d’intermédiation finan­cière ont déjà été trans­mises depuis l’entrée en vigueur du dispositif.

Le 1er jan­vier 2021, ce sera la deuxième étape. C’est à par­tir de là que le sys­tème d’intermédiation finan­cière sera éten­du à tous les couples, dès la rup­ture, à condi­tion que l’un des deux en fasse la demande. Même s’il n’y a pas eu de pro­blème de paie­ment préa­lable. Une logique de pré­ven­tion, qui pour­rait sim­pli­fier bien des divorces ou des fins de Pacs. La CAF assure avoir mis en place une vaste cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion auprès des pro­fes­sion­nels de la jus­tice qui œuvrent lors des sépa­ra­tions. « Je trouve très bien de faire de la péda­go­gie et de rap­pe­ler, dès le début de la pro­cé­dure, que le non-​paiement d’une contri­bu­tion est un délit, sou­ligne Stéphanie Lamy. J’aurais aimé que ce sys­tème soit mis en place auto­ma­ti­que­ment et pas sur demande. Le fait qu’une femme réclame la dési­gna­tion d’un inter­mé­diaire pour­rait se retour­ner contre elle, car il ne faut jamais perdre de vue que ne pas payer est une façon, pour cer­tains, de gar­der le contrôle. » L’autre crainte de Stéphanie Lamy, c’est que ce sys­tème fonc­tionne sur­tout pour les cas « simples », c’est-à-dire quand l’autre parent a un emploi sala­rié stable. « J’anticipe déjà les situa­tions où ça ne va pas mar­cher, avec des pères qui donnent des faux RIB, qui ferment leurs comptes, qui orga­nisent leur insol­va­bi­li­té, souligne-​t-​elle. Je ne vois pas très bien com­ment on pour­ra les contraindre, car il est encore très facile pour les pères de se sous­traire à leurs obli­ga­tions. » Sans entrer dans les détails, le cabi­net d’Olivier Véran assure que les agent·es auront « les moyens légaux d’aller cher­cher les mau­vais payeurs » tout en admet­tant ne pas pou­voir « tout pré­ve­nir ».

Les mères en concu­bi­nage pénalisées

Lorsque la pen­sion n’est pas payée et que la CAF engage une pro­cé­dure de recou­vre­ment, elle peut ver­ser une allo­ca­tion de sou­tien fami­lial (ASF) à titre d’avance. Cette allo­ca­tion est aus­si ver­sée aux per­sonnes qui élèvent seules leur enfant ou en com­plé­ment d’une pen­sion ali­men­taire trop faible. Son mon­tant – 116 euros par mois – ne sera pas reva­lo­ri­sé pour le moment. « L’ASF a été aug­men­tée lors de la man­da­ture pré­cé­dente, jus­ti­fie le cabi­net d’Olivier Véran. 115,99 euros ce n’est pas ano­din et pas tota­le­ment décon­nec­té du mon­tant moyen des pen­sions ver­sées qui est de 170 euros. Par ailleurs, d’autres méca­nismes d’aide pour les familles mono­pa­ren­tales existent comme la prime garde d’enfants ou la prime d’activité majo­rée », se défend le cabi­net d’Olivier Véran. Pour Stéphanie Lamy, le pro­blème, c’est que cette allo­ca­tion n’est ver­sée qu’aux seules mères solos. « Si vous vivez en concu­bi­nage, vous n’y avez plus droit, donc c’est tota­le­ment à côté de la plaque comme sys­tème ! » Une cri­tique que le gou­ver­ne­ment reçoit avec un brin de gêne. « Cette ques­tion est déli­cate, reconnaît-​on au cabi­net d’Olivier Véran. Mais nous par­tons du prin­cipe que l’ASF consti­tue un sou­tien spé­cial pour un foyer avec une seule res­source. Et puis le rôle de la puis­sance publique n’est pas de payer la pen­sion ali­men­taire, mais bien de sécu­ri­ser son ver­se­ment. » Une mis­sion qu’elle va devoir mener avec plus d’efficacité. 

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