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Où sont les man­ne­quins hommes plus size ?

couv mag masculin © capture ecran
© captures d'écran de presse

En France, les tops modèles masculins plus size sont quasiment exclus de l’industrie de la mode et de la publicité, alors que les mannequins femmes grande taille commencent à être bien visibles. Causette a cherché à comprendre pourquoi. 

Ils s’appellent Alexandre, André, Nicolas, Pedro, Valentin, Sven, Willem, Yulian. Ils sont grands. Musclés, mais pas trop. Minces, mais pas gringalets. Virils, mais pas oppressants. Ils ont parfois les oreilles décollées, les dents écartées, des taches de rousseur. Ils n’ont, en revanche, pas de poignées d’amour. Pas de petits bourrelets qui dépassent. Et encore moins ce ventre un peu bedonnant que les Anglo-saxons qualifient de beer belly (« panse de bière »). 

Quand on fait défiler les catalogues des plus grandes agences de mannequins (Marilyn Agency, Elite Model Paris, Metropolitan Models…), quand on plonge dans les abîmes de la publicité et quand on scrute les podiums, il y a un petit détail qui saute rapidement aux yeux : les mannequins hommes plus size sont quasi inexistants. 

Le compte Instagram de Levi’s France est, pour le coup, assez représentatif. Si la marque a choisi des femmes rondes pour porter leur emblématique 501 ou leurs sous-vêtements, avec cette légende « La beauté n’a pas de couleur, d’âge, de poids, de forme » sous une photo regroupant une tribu de femmes, leurs homologues masculins sont quant à eux totalement absents. 

Vague de body positive chez les femmes

Du côté des femmes, la révolution des corps est en marche depuis un petit bout de temps. Les deux mannequins américaines Ashley Graham et Tess Holliday, fer de lance du mouvement body positive– qui prône le fait de s’accepter tel qu’on est –, ont ouvert la voie à Paloma Elsesser – qui a récemment posé pour Vogue et défilé pour Lanvin –, à Jill Kortleve – que l’on a vu sur le podium de Chanel – et à la jeune actrice Barbie Ferreira, nouvelle égérie du styliste Jacquemus.

Pourquoi la mode masculine ne suit-elle pas le mouvement ? Attention, c’est contre-intuitif, mais l’explication résiderait dans le fait… que les hommes subissent moins de pression sur leurs corps. Thibaut de Saint Pol, sociologue à l’École normale supérieure Paris-Saclay et auteur du livre Le Corps désirable : hommes et femmes face à leur poids (éd. PUF, 2010), explique que ce sursaut féminin en faveur de la diversité des corps est dû aux « discriminations corporelles qui sont plus fortes chez les femmes que chez les hommes » :  

« Un homme ne va pas forcément surveiller son poids, il existe d’autres manières pour lui de s’accomplir socialement. Alors que, pendant longtemps, l’apparence pour les femmes a été une dimension essentielle en termes de pressions sociales. Quelque chose de la féminité est construit autour de ça […]. Il existe un enjeu social de l’obésité, du surpoids, dévalorisé chez la femme, qui a pu conduire à de fortes mobilisations pour que, notamment dans le domaine de la mode, prescripteur en termes d’image, soient pris en compte des corps très différents et en particulier les mannequins plus size. C’est un sujet politique, avec des groupes de pression et des associations. »

Grand, musclé et jeune

Les pressions sur le corps et le poids des hommes, moins étouffantes que pour les femmes, ne les ont donc pas encore poussés à se rebeller comme ces dernières contre les représentations parfaites dont les bombarde l’industrie de la mode et de la publicité, clairement héritées du patriarcat. 

« Dans la société, le surpoids n’est pas dévalorisé chez l’homme, tant qu’il n’est pas important, car cela va avec la valorisation de la force. À l’inverse, on va dévaloriser celui qui est trop mince, le gringalet. La tendance actuelle est à la mise en avant du muscle, notamment chez les plus jeunes, avec le torse musclé. Plus que le poids, c’est la taille qui est discriminante chez un homme. », décrit Thibaut de Saint Pol. 

La gent masculine est également peu habituée à s’ouvrir et à parler de ses complexes. Surtout s’ils concernent ceux liés aux domaines de l’apparence et de la mode « assignés de manière ancestrale, dans notre société dite moderne, au féminin », explique Émilie Coutant, sociologue du changement social et auteure d’une thèse sur les masculinités. « L’homme, dès le XIXe siècle, s’est retrouvé enfermé dans le carcan de l’ordre idéal viril », ajoute-t-elle. Mais puisque les hommes demeurent les privilégiés de nos sociétés patriarcales, ils ne se sont pour l’heure pas organisés pour se défaire desdits carcans.

Quasi pas d'offre, zéro demande

Il existe pourtant un frémissement de contestation de l’idéal masculin sur papier glacé. Le Slip français a récemment engagé un homme rond pour porter ses sous-vêtements et ses maillots de bain, justement pour « tordre gentiment le cou à des règles marketing ultra codifiées et conservatrices », explique Claire Bourdillon, directrice artistique de l’entreprise. Et de remarquer que si les marques se sont mises au body positive en ce qui concerne les mannequins femmes, c’est qu’elles s’y retrouvent financièrement : « Aujourd’hui, la représentation diversifiée des corps des femmes est vendeuse. L’industrie de la mode réalise qu’elle touche un nouveau marché en s’ouvrant à d’autres corps féminins. Je suis persuadée que si les ventes ne suivaient pas, on aurait toujours que des femmes blondes, blanches et minces représentées. Mais pour l’heure, force est de constater que, d’un point de vue marketing, les consommateurs masculins n’ont pas émis le besoin de se retrouver dans les représentations publicitaires. » 

Selon Claire Bourdillon, il est du reste « très compliqué » de trouver « de nouveaux profils plus size » masculins, en raison d’une offre très limitée des agences de mannequins. Leur nouvelle égérie grande taille, Marc Goëtzmann, est ainsi professeur de philosophie et a été dénichée sur Instagram. En dehors des canaux habituels. Contactée par mail, la prestigieuse Marilyn Agency a confirmé ne pas représenter d’hommes plus size, sans expliquer pourquoi, malgré plusieurs relances. La direction de la division masculine d’Elite Model Paris, a trouvé notre sujet « intéressant », mais n’a pas voulu répondre à nos questions. Metropolitan Models est restée injoignable. 

Un problème d’offre forcément lié à une absence de demande. Jessie Motion, ex-agent junior de la division masculine d’Elite, reconnaît que « si les agences sont là pour amener une nouvelle vision aux clients », elles doivent en même temps « répondre à leurs demandes et critères »« Aujourd’hui, les designers doivent aussi être tenus responsables. Les mensurations demandées pour les mannequins cabines sont honteuses, dénonce-t-elle. Les écoles de couture utilisent les mêmes standards pour construire leur collection. Dès l’école, on leur apprend à faire des vêtements sur des corps qui n’existent pas dans la vraie vie. »

“Le bon pote, le papa, le voisin rigolo”

Dans ce contexte un poil hostile, les mannequins hommes plus size français essaient tant bien que mal d’exister. Et ils n’ont « clairement pas les mêmes opportunités » que les autres, juge David Venkatapen, top grande taille depuis sept ans maintenant, mais obligé d’avoir un autre emploi à côté. « Je travaille plus comme modèle, à savoir que je pose pour des photographes, des cinéastes, des peintres, que comme mannequin. À part deux ou trois marques qui ont fait appel à moi, comme Gémo, il y en a peu », explique-t-il. 

Et quand des hommes ronds sont enfin castés, ils se retrouvent très souvent dans « des rôles stéréotypés », se désole le quarantenaire. « Il y a le bon pote, le papa, le voisin rigolo… Il n’y a pas de pub dans lequel le beau gosse est le gros mec. Alors qu’on peut être beau et gros ! » Car des stéréotypes tenaces sont encore associés aux hommes ronds, ceux d’être joyeux, drôle, bon vivant. Les marques ne voient pas les plus size comme « quelque chose de positif, ajoute-t-il. Pour certaines, ça ne fait pas rêver, c’est peut-être trop proche de la réalité. »

Marc Goëtzmann le slip francais
Marc Goëtzmann (@
scholar_bear sur Instagram) © Le Slip Français

Marc Goëtzmann s’est aussi confronté à des clichés dans les commentaires postés sous les photos du Slip français sur les réseaux sociaux. S’il a été « globalement surpris par des retours positifs », les remarques négatives étaient néanmoins présentes : « Les gens ont des présupposés sur la personne qu’ils voient. Le corps en question est forcément celui de quelqu’un qui n’est pas sportif, qui est feignant, pas forcément très intelligent, pas en bonne santé… Je me souviens qu’un commentaire disait que c’était le nouvel idéal du “mec canapé-football-bière”. Moi, je suis sportif, je bouge pas mal, je ne me reconnais pas forcément dans ces remarques », déplore-t-il.

Engager un top masculin grande taille n’est, par ailleurs, pas seulement important pour faire avancer les représentations et les mentalités. C’est aussi une question « très pratique », assure Marc Goëtzmann. Pour les pantalons et sous-vêtements, « cela permet de savoir ce que ça peut donner sur quelqu’un qui n’a pas le physique habituel des pubs ».

Des corps “instagrammables” 

En France, une agence, baptisée Plus, essaie de faire bouger les lignes en ne représentant que des mannequins grande taille. Il n’y a dans son « catalogue », pour l’instant, que trente-sept tops hommes contre deux cents tops femmes, car l’agence a commencé les hommes « il n’y a pas longtemps » et la demande est très « récente » pour eux, encore plus que pour les femmes, explique Sylvie Fabregon, sa directrice de casting. « Au début, on n’avait pas de demande. On n’arrivait pas à trouver d’hommes. Ils ne se présentaient pas non plus en tant que mannequins. On n’avait ni demande ni offre. Maintenant on reçoit des candidatures d’hommes plus size, ce qui n’était pas le cas il y a encore deux ans. La société se diversifie et la pub suit », poursuit-elle. « Les demandes concernent aussi bien des produits de beauté, comme la jeune marque Horace, que des défilés », ajoute Sylvie Fabregon, sans révéler le nom du couturier qui a contacté l’agence, les tractations étant toujours en cours.

Les réseaux sociaux ont un rôle important dans ce changement de mentalités. David Venkatapen, qui fait partie de l’agence Plus, a confié avoir eu plusieurs propositions grâce à son compte Instagram. Notamment de la part de jeunes marques. C’est d’ailleurs sur ce réseau social que la communauté de tops masculins plus size se développe. « Je suis d’autres mannequins étrangers. Je suis impressionné parce qu’il s’agit de leur seul emploi. Et certains sont juste considérés comme mannequins. Ils ne sont pas ”mannequins grande taille” », observe-t-il. 

Car aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, les hommes ronds ont davantage réussi à percer qu’en France, avec des noms qui commencent à être connus du grand public comme ceux de l’Américain Zach Miko, signé en 2016 chez IMG Models, du Britannique Raul Samuel et de l’Espagnol Christian Paris. Pour Jessie Motion, c’est en partie parce qu’en France « on aime mettre une espèce de distance qui est censée faire rêver le consommateur au lieu de se projeter ». Alors que dans ces pays, l’inclusivité et le body positive sont beaucoup plus ancrés dans leur culture, selon elle.  

Les lignes devraient cependant continuer à bouger, avec une jeunesse plus ouverte sur les questions de masculinité et qui ne se reconnaît plus dans les représentations stéréotypées. « Si une marque ne veut pas paraître trop ringarde, elle sera obligée de changer sa ligne éditoriale », prophétise David Venkatapen. Chiche !

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